Finistère : les plaisanciers "vent debout" contre le préfet

"Si tu tombes à l'eau t'es mort": les plaisanciers peuvent prendre la mer en ce premier week-end de déconfinement. Mais dans le Finistère, ils doivent être seuls ou en famille, une règle que certains dénoncent, jugeant dangereuse la navigation en solitaire.

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"C'est une grosse connerie, ça pousse les gens à sortir seuls, et beaucoup ne le font jamais. Si tu tombes à l'eau, t'es mort", s'emporte Vianney Caroff, 25 ans, croisé sur un ponton du port de plaisance de Brest.
 

Plaisance en eaux troubles


Dans le Finistère, comme dans plusieurs départements classés en vert, la navigation de plaisance a été autorisée, mais avec une particularité : uniquement avec les partenaires de confinement, comme la famille, ou seul. Un arrêté pris par le préfet du Finistère, et pas par le préfêt maritime, au grand dam des marins.

Dans son arrêté du 13 mai, le préfet du Finistère réserve les activités de plaisance "à la pratique individuelle, ou à celle des personnes regroupées au sein d'un même domicile".

"Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de plaisanciers qui soient sereins quand il s'agit de naviguer seul", assurent d'une même voix Oregan Ségalen et Colin Baumgard, 21 ans, profitant d'un large soleil sur le Reder ar Mor, le bateau de leur école d'ingénieurs. Les deux étudiants peuvent ainsi se retrouver sur les pontons, mais pas naviguer ensemble.
 

La barre des 300 mètres


Sur le port de Bénodet cette spécificité du déconfinement finistérien provoque l'incompréhension, d'autant plus qu'au-delà des 300 mètres du rivage, le préfet maritime a la main et la navigation avec un co-équipier est autorisée. Le problème, c'est franchir cette barre des 300 mètres.
 

Claude Viguier, plaisancier, ne décolère pas. "Je pars en mer avec ma femme, après toute la cacophonie de cette semaine entre les technocrates de terre, et de mer, qui n'arrivent pas à s'entendre!". Michel Thierry doit emmener son bateau de Bénodet à Port-la-Forêt, "Je suis obligé d'y aller seul, imaginez que je fasse un malaise..."

Jean-Michel Couvreur, est le président de l'association des plaisanciers de Bénodet. "Aller à la pêche seul c'est vraiment dangereux, quand on se penche pour tirer un filet, ou remonter un casier, on peut basculer. Il faut être au moins deux, l'un pour assurer l'autre"

Les bénévoles de la société de sauvetage en mer sont inquiets. "Il va y avoir des accidents, c'est sûr" nous dit Guy L'Haridon, président de la SNSM de Bénodet. "Un touriste, qui n'est pas amarriné, habitué à naviguer seul... on va retrouver une coque vide, c'est sûr et certain".

Faut arrêter ça, laisser les gens naviguer à deux ou trois, pour au moins déclencher les secours - Guy L'Haridon, SNSM Bénodet

Jean-Yves se fait aider par un copain pour hisser les voiles. "Cette décision choque ma nature de Breton, je suis un navigateur parmi d'autres. Je ne vois pas ce qu'un virus ferait sur mon bateau, plus que dans un supermarché..."

Je regrette que des personnes qui ne connaissent rien à la mer prennent ce genre de décision. Le préfet maritime est légitime pour nous, c'est le seul à qui je reconnais, en tout cas en tant que marin, une autorité pour me dire ce que je dois faire ou pas - Jean-Yves, plaisancier à Bénodet
 


Avis de tempête

    
"Après une telle période de confinement les gens sont capables de commettre des imprudences", souligne Jean-Paul Hellequin, président de l'association de défense de l'environnement maritime Mor Glaz. Selon lui, "le gouvernement n'aurait pas dû confier aux préfets terrestres une compétence habituellement dévolue aux préfets maritimes." 

Que le préfet terrestre garde donc ses compétences sur le littoral et qu'il laisse l'espace maritime au préfet maritime - Jean-Paul Hellequin, association Mor Glaz.

"Dans le cadre d'une crise sanitaire, ce qui prime, c'est la partie santé publique, avant même de parler de navigation, donc c'est entre les mains de l'Etat et du préfet de département", explique de son côté Yann Rabuteau, juriste spécialisé dans les questions maritimes.

Il juge cependant juridiquement "surprenante" la réglementation préfectorale : elle "s'applique à bord du bateau, alors que la navigation relève du préfet maritime", s'étonne-t-il. "Ce n'est pas une expertise de marin (...) ça choque la logique de la sécurité maritime" relève Yann Rabuteau;

"L'usage est que le préfet terrestre pour faire son arrêté demande l'avis du préfet maritime", tempère Laurent Mérer, lui-même ancien préfet maritime. "Qu'on recommande de sortir seul n'est peut-être pas très adroit, mais aucun règlement ne l'interdit et c'est à chacun de prendre ses responsabilités", estime-t-il.
 
 

Annonces contradictoires


La communauté nautique avait salué le 7 mai l'intervention du Premier ministre annonçant la levée le 11 mai des arrêtés d'interdiction de la navigation de plaisance. Mais elle avait ensuite dénoncé une situation génératrice de "confusion et d'incompréhension".

Le décret du 11 mai prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 interdit la plaisance et les activités nautiques, confiant aux préfets de département la responsabilité de les autoriser sur demande des maires.
 

"Un jour on peut sortir, pas le lendemain, puis seulement avec des gens du même foyer...", peste Vianney Caroff, en colère contre des "annonces contradictoires".

On ne s'y retrouve pas. Chacun a lu quelque chose de différent, il y a un manque de clarté -  Oregan Ségalen et Colin Baumgard.

La préfecture maritime de l'Atlantique, compétente depuis la frontière espagnole jusqu'au Mont-Saint-Michel, n'a pas souhaité commenter l'arrêté préfectoral finistérien.

Dans les Côtes d'Armor et le Morbihan, les plaisanciers peuvent eux profiter de sorties en mer dans la limite de dix personnes maximum à bord.
 



 
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