L'historienne et philosophe bretonne, Mona Ozouf, se raconte dans un documentaire inédit. Elle nous livre son regard sur l'identité et les singularités qui la façonnent à travers sa propre expérience. Un récit émouvant signé Catherine Bernstein, à ne pas manquer sur France 3 Bretagne
Mona Ozouf, de son vrai nom Mona Annig Sohier, nait le 24 février 1931 dans la petite commune finistérienne de Lannilis. Fille d'instituteurs bretonnants et militants de la cause bretonne, Mona Ozouf a vu son enfance bercée par la culture bretonne.
Une enfance bercée par la Bretagne
Alors qu'elle n'a que quatre ans, son père décède d'une broncho-pneumonie. Elle raconte alors s'être créé des "souvenirs ou plutôt une légende" de ce dernier via des photographies et via sa bibliothèque, "une bibliothèque dédiée à la Bretagne". Tout cela crée de profondes appartenances et singularités constitutives de son identité.
Elle décrit la mort de son père comme un événement dont sa mère ne s'est jamais remise. Sa grand-mère, très conservatrice, venue en quelques sortes consolider le cadre familial, a eut pour sa mère l'effet de la "fin d'un horizon". Elle précise qu'il était totalement inconcevable pour sa grand-mère de se remarier après la perte de l'époux. "J'ai compris très tard, que c'était un enfermement définitif et une impossibilité de refaire sa vie." raconte-t-elle.
Cette grand-mère a inculqué à Mona Ozouf une vision très dogmatique et religieuse de la société et des "bonnes mœurs".
Plus tard, jeune fille, Mona Ozouf est allée sur les injonctions de sa mère à Paris, pour étudier à Normal' Sup. Pour la première fois de sa vie, elle quitte la Bretagne. Elle ressent en elle cette tradition bretonne comme faisant partie intégrante de son identité.
Commence alors pour elle la véritable appréhension du monde, et des singularités qui la composent. Un nouveau départ dans sa vie.
Une culture bretonne faite de religion et de normes
Mona Ozouf décrit dans ce film les spécificités de la culture bretonne. Elle raconte la très forte place qu'occupe la religion, a tel point qu'elle en devient presque un déterminisme ou tout du moins un critère social.
Le monde de l'église est central dans la culture bretonne. "Dans mes souvenirs, l'espace de l'église est un espace sociologiquement quadrillé. Un premier carré est occupé par les garçons qui viennent de l'école des Frères, l'école catholique. On laisse un petit espace et de l'autre coté se trouvent les garçons de l'école laïque".
Mona Ozouf explique que l'église, dans laquelle elle avait pour habitude de se rendre tous les dimanches, était séparée en quatre groupes. Au devant, les garçons de l'école catholique. A l'arrière les garçons de l'école laïque " tenu a distance par un espace de séparation". De l'autre côté de l'allée centrale est organisée la même disposition pour les filles.
Rien ne s'échange entre ces quatre espaces. La parole ne circule jamais. Cet espace est vécu pour un enfant comme un espace de l'inégalité. Je pense que le curé aggrave cette séparation topographique par une sorte de séparation mentale. Il est persuadé que les enfants catholiques sauront mieux leurs leçons, leur catéchisme. Cette séparation que je viens d'évoquer n'est bien-sûr pas réservée à l'espace ecclésial.
Mona OzoufProtagoniste
Le jardin des âmes
La mort aussi est un sujet très présent dans la culture bretonne, et pour Mona Ozouf particuliérement. Étant orpheline de père, elle en a tout particulièrement fait l'expérience et ressentit le poids.
"C'est ma grand-mère qui m'a fait comprendre que la conversation avec les morts ne s'éteint jamais. Même s'il faut bien le dire, elle manque de réciprocité, on ne cesse de s'entretenir avec les morts qui ont compté. Il faut ajouter à ça, cette circonstance particulière à la Bretagne et certaines autres formes de vies religieuses - mais c'est particulièrement vrai en Bretagne- : les morts continuent à avoir des exigences. C'est par exemple aux morts qu'il faut réserver la crêpe la plus grillée, la plus réussie, dans les offrandes que l'on peut leur faire. Le cimetière en Breton, c'est le jardin des âmes".
L'importance de l'école
Mona Ozouf a baigné toute sa vie dans l'éducation. Adulte elle devient institutrice, un métier et surtout une institution qu'elle chérie beaucoup. Elle livre de touchants témoignages sur ce que représentait l'école pour elle.
De manière générale, le film retrace avec émotion, l'intégration et l'acquisition du sentiment d'appartenance sociale que permet l'école à Mona Ozouf. Étudiante, elle raconte s'être fait un groupe d'amis historiens à Paris, à son entrée dans les études supérieures. Elle explique que ces derniers lui faisaient appel pour des écrits et se souvient du sentiment de gratitude et de reconnaissance qu'elle éprouvait à ces demandes.
Cette identité que j'ai cherché à enfermer dans une définition est introuvable. Si elle l'était elle nous enfermerait dans une solidarité de clocher. Au lieu de nous demander qui nous sommes demandons nous qui est l'autre.
Mona OzoufProtagoniste
Enfin, si notre identité est faite de notre appartenance, Mona Ozouf rappelle : "Nos appartenances sont multiples, mais la partie élective peut ne pas être notre patrie native. On peut combiner les deux, elles ne sont pas antagonistes." Elle porte là un beau message qui s'affranchit de toute forme de déterminisme.
► Les identités de Mona Ozouf réalisé par Catherine Bernstein, à voir jeudi 10 mars à 23h20 sur France 3 Bretagne