Vincent Bolloré a-t-il frauduleusement aidé les campagnes présidentielles 2010 de Faure Gnassingbé au Togo et d'Alpha Condé en Guinée en échange de contrats dans ces pays ? Le Parquet national financier (PNF) requiert un procès contre le tout puissant industriel breton, notamment pour corruption. Sa défense va demander le non-lieu. La décision finale sur le procès revient maintenant à un juge d'instruction financier.

L'Agence France Presse l'a appris "de source proche du dossier". Le Parquet national financier (PNF) a requis un procès contre l'homme d'affaires Vincent Bolloré pour corruption dans l'enquête sur l'attribution frauduleuse de la gestion des ports de Lomé au Togo et de Conakry en Guinée entre 2009 et 2011, a-t-on appris par l'AFP ce vendredi 7 juin 2024.

Lire aussi : Corruption au Togo: le milliardaire breton Vincent Bolloré menacé de procès

Saisis depuis 2013, des juges financiers parisiens soupçonnent le groupe Bolloré (sa tête de proue : Vincent Bolloré, et deux autres hauts responsables) d'avoir utilisé les activités de conseil politique de la filiale Euro RSCG (devenue Havas) pour décrocher frauduleusement la gestion du port de Lomé au moment de la campagne de Faure Gnassingbé à l'élection présidentielle 2010 au Togo.

Non-lieu demandé

Sollicitée, la défense du milliardaire breton a indiqué qu'elle demandait le non-lieu. Les avocats de Vincent Bolloré et du groupe Bolloré, Maîtres Céline Astolfe et Olivier Baratelli ont indiqué qu'"une demande de non-lieu sera présentée (...), les faits étant contestés depuis le premier jour dans un dossier juridiquement vide."

Et de préciser que le "faux pas" de la non-validation de la CRPC en 2021 "prive définitivement les parties du droit à être jugées de manière impartiale et objective", d'après ces conseils.

Culpabilité "préalablement" reconnue

Quel est ce "faux-pas" dont parlent les avocats ? Pour mémoire, le milliardaire pensait déjà en 2021 échapper à un procès pour corruption. Pour éviter un long procès pénal, la 11e fortune de France ainsi que Gilles Alix, directeur général du groupe Bolloré de l'époque, et Jean-Philippe Dorent, directeur international chez Havas, avaient en effet sollicité une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et proposaient de payer 375.000 euros d'amende.

Lors de l'audience publique en février 2021, Vincent Bolloré, Gilles Alix, directeur général du groupe Bolloré, et Jean-Philippe Dorent, directeur international de l'agence de communication Havas (filiale de Bolloré) avaient, dans le cadre de cette comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), reconnu avoir utilisé les activités de conseil politique de la filiale Havas afin de décrocher la gestion des ports de Lomé au Togo et de Conakry en Guinée au bénéfice  d'une autre filiale, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.

Mais à la surprise de la défense comme de l'accusation, la juge du tribunal judiciaire, la juge Isabelle Prévost-Desprez avait refusé d'homologuer cet accord, estimant "nécessaire" qu'il soit jugé en correctionnelle et renvoyant le dossier à l'instruction. Elle avait en revanche homologué une convention judiciaire d'intérêt public (Cjip) pour le groupe Bolloré, qui avait payé 12 millions d'euros d'amende contre l'abandon des poursuites.

Les infractions, reconnues par la 17e fortune française en 2020 (selon le classement du magazine Challenges) et les deux dirigeants, ont "gravement porté atteinte à l'ordre public économique" et "à la souveraineté du Togo", avait-elle justifié. 

L'industriel breton, 72 ans, avait contesté jusqu'en cassation ce revers procédural, une grave atteinte à sa présomption d'innocence d'après lui, mais la plus haute juridiction judiciaire a validé fin novembre la procédure, ouvrant la voie à un nouveau procès pénal. Un recours est déposé devant la CEDH, la Cour européenne des droits de l'homme.

Conseils politiques contre contrats

SDV avait obtenu la gestion du port de Conakry quelques mois après l'élection à la présidence guinéenne d'Alpha Condé fin 2010 et avait remporté la concession à Lomé peu avant la réélection en 2010 au Togo de Faure Gnassingbé. Ces deux personnalités politiques étaient alors toutes deux conseillées par Havas pour leur campagne électorale.

En contrepartie de ce "pacte de corruption" allégué, le groupe Bolloré aurait profité de différents contrats, dont celui de la gestion du port de Lomé, mais aussi "d'avantages fiscaux".

Quant aux infractions en Guinée, les protagonistes de l'affaire avaient obtenu en juin 2019 l'annulation par la cour d'appel de Paris de leur mise en examen pour une partie de ces infractions, pour cause de prescription.

Corruption active d'agent public

Mais ce lundi 3 juin 2024, selon une source proche du dossier à l'AFP, le PNF a donc requis un procès pour corruption active d'agent public étranger contre le milliardaire conservateur et M. Alix, pour abus de confiance pour ce dernier et complicité de celle-ci pour Messieurs Bolloré et Dorent.

D'après des éléments des réquisitions dont l'AFP a eu connaissance, les deux procureurs financiers estiment que "contrairement à ses déclarations, il apparaît que Vincent Bolloré suivait personnellement et régulièrement les activités du groupe au Togo, qu'il avait engagé le groupe Bolloré dans la campagne électorale de Faure Gnassingé et qu'il était directement intervenu dans le recrutement" de Patrick Bolouvi, demi-frère du président togolais, au poste de directeur général de Havas Media Togo.

Le procès demandé aujourd'hui par le PNF concerne aussi le soupçon de participation frauduleuse d'une filiale du groupe Bolloré aux "frais de communication" de la campagne présidentielle 2010 d'Alpha Condé en Guinée, à hauteur de 170.000 euros. "Sa candidature présentait pour nous un grand intérêt. Vincent Bolloré était d'accord pour participer à ces dépenses", avait concédé M. Alix en garde à vue.

Demande de renvoi saluée

"Je me réjouis de cette demande de renvoi" dans ce "lourd dossier qui dure depuis 2013 (...) dans lequel est particulièrement mouillé le président du Togo" et dans lequel M. Bolloré "a tenté, à plusieurs reprises, de faire obstruction à la manifestation de la vérité", a indiqué Maître Alexis Ihou, avocat du défunt Agbéyomé Kodjo et de Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, candidats malheureux à la présidentielle de 2010 au Togo.

"Les associations Sherpa et Anticor se réjouissent de ce réquisitoire", a également indiqué Maître Jérôme Karsenti, d'après qui "les avocats de Vincent Bolloré auront pris toutes les initiatives judiciaires et soulevé toutes les arguties juridiques pour échapper à son procès".

En 2022, le groupe Bolloré a vendu à l'armateur italo-suisse MSC sa branche logistique en Afrique, emblématique du groupe et qui employait plus de 20.000 personnes et concernait plus de vingt pays sur le continent africain.

La décision finale sur le procès revient maintenant au juge d'instruction financier Serge Tournaire.

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