En quatre décennies, Vincent Bolloré a fait d’une petite papeterie un empire financier et médiatique. A la fois décrié et admiré, le milliardaire breton, bientôt âgé de 70 ans, passe symboliquement le relais ce jeudi le jour du bicentenaire de l’entreprise familiale. Cela se fera en Bretagne, dans le Finistère, à Ergué-Gabéric. Comme il se doit.
Maître dans la finance, l’homme d’affaires finistérien est aussi un maître du temps. Depuis des années, il garde sur son téléphone une application qui décompte les jours qui le sépare de la date "fatidique" : le 17 février 2022.
200 ans plus tard
Ce jeudi, le milliardaire breton va célébrer les 200 ans d’existence de l’entreprise Bolloré. Il va aussi annoncé officiellement sa retraite. La cérémonie a été programmée au Manoir de l'Odet, la demeure historique de la famille. Au départ 700 convives devaient se réunir. Il n’y en aura qu’une centaine. C’est finalement la crise de la Covid qui aura eu raison des volontés de Vincent Bolloré à qui on ne refuse pourtant habituellement pas grand-chose. Mais un second grand raout a d’ores et déjà été tout de même programmé début juillet à Paris.
Parmi les invités triés sur le volet cette semaine, Bernard Poignant, l’ami fidèle. L’ancien député-maire de Quimper, conseiller de François Hollande à l’Elysée, y prononcera un discours. "Comme à chaque rassemblement organisé avec Vincent Bolloré, il y aura le protocole de la République et le protocole de l’amitié", explique l’ancien élu. Son lien indéfectible avec l’homme d’affaires souvent critiqué en surprend encore beaucoup. "Moi en matière d’amitié, je ne suis pas écologiste. Je ne suis pas dans le tri sélectif" répond avec un sourire Bernard Poignant.
Et ce dernier de rappeler leur première rencontre au début des années 80 : "J'étais le fonctionnaire, lui était l'actionnaire. J'étais le boursier, lui l'héritier. Et pourtant on s'est tout de suite compris. J'ai été séduit à l'époque par ce jeune banquier qui a tenu parole pour sauver une papeterie promise à une mort certaine. Il a su instaurer un lien de confiance avec les gens d'Ergué-Gabéric."
"Tout doit revenir à la Bretagne"
Un lien particulier tissé depuis deux siècles sur les rives de l’Odet. La légende Bolloré est née en 1822 autour d'un moulin à papier, puis s’est renforcée autour d'une cité ouvrière construite en 1917, deux écoles pour les filles et les garçons, et les terrains de foot des Paotred Dispount.
Une légende entretenue par un paternalisme et un catholicisme social propres à la Bretagne. Egalement par des figures héroïques comme l’oncle Gwenn-Aël Bolloré qui a débarqué avec le commando Kieffer sur les plages de Normandie en 1944.
En fait depuis 40 ans, il y a le Vincent Bolloré "parisien", flibustier de la finance, insatiable investisseur en Afrique et en Asie, empereur de l’édition et des médias. Et "Bollo" comme le surnomment ses intimes, industriel fidèle à la terre cornouaillaise et très attaché à l’emploi. Avec lui, les deux usines locales sont passées du papier cigarette au film plastique ultrafin, des condensateurs électriques aux batteries lithium.
"Rien n’obligeait Vincent Bolloré à installer à Ergué-Gabéric une usine de bus électrique. Ce n’était pas la logique économique. Pourtant il l’a fait. Il est le symbole d’un capitalisme familial qui sera toujours mieux que le capitalisme des fonds de pension et des fonds souverains. Encore aujourd’hui, il assure 900 fiches de paie au niveau local. Et ici c’est sacré" explique Bernard Poignant.
"Tout l'argent qu'on gagne dans le monde doit revenir à la source, en Bretagne" aime à répéter le milliardaire, 8ème fortune française. "L’attachement à la Bretagne, au Finistère relève du devoir et c’est ce qu’il a transmis à deux de ses fils, Cyrille et Yannick désormais aux commandes du groupe" souligne l’ancien maire de Quimper.
Mais d’autres détails illustrent l’attachement viscéral de Vincent Bolloré à l’identité bretonne. "Sa holding internationale a beau siéger avenue de Friedland à Paris, elle a été baptisée "La Compagnie de l’Odet". Vincent Bolloré, c'est désormais un géant des médias, mais c’est aussi en littérature depuis 25 ans le parrain du Prix Bretagne. Des gages de fidélité exceptionnels à la Bretagne" fait remarquer Patrick Mahé, fondateur du salon du Livre de Vannes et nouveau patron du magazine Paris-Match.
"Business is business"
Une solidarité bretonne qui peut tout de même connaître certaines limites quand les intérêts du groupe sont en jeu. A deux reprises, cette solidarité n’a pas pesé grand-chose.
Durant trois ans, notamment, entre 2015 et 2018, Vincent Bolloré a tenté une OPA sur une autre entreprise bretonne florissante, le groupe Ubisoft dirigé par les frères Guillemot, voisins du Morbihan, laissant des traces dans le Landerneau économique breton. "Business is business" tempère Jean-Guy Le Floch, le patron d’ Armor-Lux. "J’ai été son lieutenant durant 15 ans au sein de la papeterie OCB. C’est un mec qui a toujours mis "ses couilles sur le billot" pour défendre les salariés bretons. Je l’ai aidé mais il m’a aussi beaucoup aidé. Cela ne je l’oublierai jamais" explique sans détours le chef d’entreprise finistérien.
Il y a deux ans, c’est un autre Finistérien qui cette fois-ci le rappelle à l’ordre suite au limogeage du journaliste Stéphane Guy du groupe Canal+. L'ancien international Paul Le Guen l’interpelle dans une tribune publiée dans le Monde pour lui donner une leçon de "bretonnitude" : "Vous le savez aussi bien que moi, notre Bécassine, notre chère bécassine, a mis au point une arme redoutable pour supporter tous les dénigrements de la Terre : l'art de la plaisanterie. Un Breton, j'en suis certain, ne doit pas se raidir face à de si anodines critiques."
Vincent, le catholique
Mais, c’est bien dans son rapport à la religion, que l’homme d’affaires peut aussi revendiquer sa "bretonnité". Comme sa terre natale, la dynastie Bolloré a été irriguée par le catholicisme.
Chaque année, le pèlerinage à la petite chapelle de Kervedot est un rituel. Le capitaine d’industrie aime les images de saints et les médailles miraculeuses. Une statuette de la vierge trône également sur son bureau.
"Vincent n’est pas un intégriste, c’est un catholique traditionaliste au sens noble du terme. Par exemple, il n’investit pas sa fortune personnelle dans l’art contemporain ou dans un club de foot. Il préfère donner pour la Fondation de la 2ème Chance ou le foyer Dom Bosco qui héberge des étudiants à Paris" explique son ami Bernard Poignant.
Officiellement retraité dès ce printemps, devenant désormais simple conseiller selon ses dires, Vincent Bolloré aura sans doute plus de temps pour ses "bonnes œuvres". Et peut-être aussi pour ses deux refuges bretons : Beg Meil et l’Île du Loc’h. Une île rachetée il y a douze ans par le milliardaire et annoncée comme la première île totalement autonome, et sans empreinte carbone, dans l’archipel des Glénan.
Quant à l’empreinte laissée par la dynastie Bolloré, la postérité s’en chargera.