A la mi-novembre 2021, Karim Vincent-Viry a créé "Finistérestes 29". Une petite coopérative installée dans l’entrepôt d’un copain pour lutter contre le gaspillage alimentaire. A l’époque, elle employait un salarié et produisait une centaine de paniers de légumes moches par jour. Un an après, la coopérative compte 40 personnes, livre 3.000 paniers par jour et déborde de projets.
"Le premier jour, on a eu 100 clients. Je me suis dit : 'c’est peut être un coup de chance'. Le deuxième jour, on a à nouveau eu 100 clients." Il y a un an, quelques jours après le lancement de Finistérestes 29, Karim Vincent-Viry avait encore un peu de mal à réaliser.
Au moment de souffler sa première bougie, il a toujours cette même incrédulité et plein d’étoiles dans les yeux. "Même dans le plus beau de mes rêves, je n’aurais jamais espéré vivre ce qu’on est en train de vivre" reconnaît-il un peu ému.
C’est que sa petite coopérative a bien grandi !
Tout a commencé un soir à l’apéro avec des amis. Karim Vincent-Viry, responsable des achats de fruits et légumes pour la grande distribution, raconte son malaise à chaque fois qu’il entre dans un entrepôt de légumes. "Dans chaque hangar, il y a des tas de tous les légumes moches condamnés à partir à la poubelle pour la seule et unique raison qu’ils étaient trop petits ou trop gros, un peu tordus ou déformés. Et pendant ce temps, des gens ont faim" lâche-t-il.
Il décide donc de confectionner des paniers avec ses légumes frais, bons mais à l'aspect parfois un peu ingrat. Un ami, producteur, lui prête un petit coin de son atelier et c’est parti. Carottes tordues, panais fourchus, choux trop petits composent des filets de 5 à 10 kilos de légumes pour 5 euros.
En quelques jours, grâce notamment aux réseaux sociaux, la demande explose.
De jolis chiffres comme cadeau d’anniversaire
Aujourd’hui, Finistérestes 29 emploie 40 personnes, commercialise 3.000 paniers par jour dans une cinquantaine de points relais. "C’est tout juste génial, sourit son fondateur. On arrive à sauver des produits, à aider des producteurs et on permet aux gens de manger sainement."
Mais Karim Vincent-Viry tempère aussitôt son enthousiasme. "Finistérestes 29" sauve 5 camions de légumes par jour, mais 5 autres continuent de partir à la poubelle. En France, on jette 1 kilo de fruits et légumes sur 5."
Plus gros producteurs et donc plus gros gaspilleurs.
"La Bretagne, c’est le grenier de la France. On est champions en tout. En production de légumes, de porcs, de volailles, d’œufs… et donc, comme nous sommes les plus gros producteurs, nous sommes aussi les plus gros gaspilleurs."
"L’autre jour, raconte Karim Vincent-Viry, un éleveur m’a dit 'si je pouvais faire des poulets sans pattes et sans ailes, ce serait top'. Tout le monde veut du blanc ! Personne ne veut du reste… Mais pour l’instant, il faut des cuisses à nos poulets !" Finistérestes 29 va bientôt s’occuper des ailes et des pattes de ses messieurs !
Chaque filière a son gaspillage
Karin a mis le doigt dans l’engrenage et, à son plus grand bonheur, la machine s’emballe. "Chaque jour, en Bretagne, on tue des milliers de cochons. Mais suivant les saisons et les températures, on mange certains morceaux et pas d’autres. Dans le cochon, tout est bon, mais pas tout le temps."
En été, on vend des saucisses et du filet mignon, en hiver de la palette ! "Les experts parlent de déséquilibre matière, pour moi, ça s’appelle juste du gâchis." Depuis quelques semaines, la coopérative propose des sacs de sauté ou de ribs de porc pour quelques euros.
Elle vend aussi du poisson depuis le printemps. "Les pêcheurs vont en mer et nous on ne mange que la moitié des poissons qu’ils sortent de l’eau parce qu’on a décidé qu’un filet devait peser 150 grammes, on ne mange donc que ce qui se trouve dans la partie la plus large du filet. Le reste, tout aussi bon, partait faire des croquettes pour les chats." Finistérestes 29 en vend 1 tonne par jour.
De plus en plus de choses dans les paniers
Idem pour le fromage, les fruits… "Quand quelqu’un m’appelle et me dit qu’il a de la marchandise à sauver, je fais tout ce que je peux pour trouver une solution" témoigne Karim Vincent-Viry.
Un industriel qui fabrique des camemberts a pris contact avec lui. Quand il démoule ses fromages, s’ils ne pèsent pas les 250 g réglementaires, ils doivent quitter la chaîne. Alors hop, direction le panier !
En juin, dans le sud de la France, les producteurs de fruits étaient aux abois. Avec les averses de grêle, certains avaient jusqu’à 80% de leurs fruits qui étaient tachetés, piqués ou abimés. Des abricots délicieux, des nectarines juteuses à qui, évidemment, Karim Vincent-Viry a fait une place.
Car si certains suggèrent de donner les fruits et les légumes moches, les pattes de poulet et la queue du poisson, telle n’est pas la vision de Karim. "C’est clair, si on donne, on règle la question du gaspillage, commente-t-il, mais pas celle de la rémunération des producteurs. "
Tous ses produits, il les achète aux maraîchers, éleveurs, pêcheurs. "Ils ont, eux aussi besoin de vivre de leur travail !"
"Dehors, c’est la guerre !"
"Dehors, c’est la guerre, une guerre économique, mais une guerre, confie Karim. Avant, pour beaucoup, la fin du mois commençait la 3ème semaine du mois, maintenant, la fin du mois arrive dès la 2ème. Et encore, soupire-t-il, quand on a lancé le projet, l’essence n’était pas à 2 euros, il n’y avait pas la guerre en Ukraine."
Des caisses de légumes à 5 euros, du poisson ou du cochon à 3 euros. Les paniers trouvent très vite preneurs. "Et la clientèle est extraordinaire" s’extasie Karim Vincent-Viry.
Alors qu’il s’était lassé des acheteurs des grandes surfaces qui jugent tout trop cher et pas assez bien, il reçoit tous les jours des messages qui lui disent que ce qu’il fait, c’est "merveilleux."
"Je vis en un an ce que je n’ai jamais vécu en 30. Des fois, j’ai la larme à l’œil quand j’entends une dame qui me dit qu’avant, ses enfants ne mangeaient que des frites surgelées parce que c’est ce qu’il y a de moins cher et que maintenant, ils mangent des vrais légumes et qu’elle peut leur préparer des petits plats avec les paniers. Je me dis, c’est gagné !"
Finistérestes 29 continue donc de chercher des magasins en Bretagne, des commerçants qui auraient quelques mètres carrés pour accueillir nos paniers. "Ça peut aider des magasins qui sont en difficulté, ça leur fait du passage, les clients prennent leur cagette et des fois, un petit truc en plus dans la boutique" souligne Karim.
Et puis se réjouit-il, "la semaine prochaine, la coopérative attaque Paris. Trois points relais vont ouvrir en région parisienne."
"Si tu es copié, c’est que c’est une bonne idée"
Karim Vincent-Viry le voit. La lutte contre le gaspillage est à la mode. "Si tu es copié, c’est que c’est une bonne idée" lui dit-on, mais il aimerait que la copie soit efficace.
Or, constate-t-il, "les grandes surfaces se mettent à l’anti-gaspi, mais le vrai gaspillage, ce n’est pas les 3 pommes fatiguées qui ont passé la journée sous les néons ou dans un frigidaire de grand magasin. Cela ne représente que 5% des pertes."
"Le vrai problème, il se passe en amont. 1 kilo de légumes sur 5 qui sort du champ n’aura jamais la chance d’arriver jusqu’au consommateur. En Bretagne, chaque année, 250 00 tonnes de nourriture sont jetées, c’est ça le vrai fond du problème" s’agace Karim Vincent-Viry.
Il a donc 1.000 projets en tête pour que le monde de demain tourne un peu plus rond.