Morlaix est passée récemment sous la barre des 15 000 habitants. Dans le centre-ville, 26% des locaux commerciaux sont vides. Alors qu’à quelques minutes en voiture, en périphérie, les grands magasins ne cessent de sortir de terre.
Avec son Viaduc qui surplombe le centre historique et le port, ses petites rues piétonnes et ses maisons à Pondalez du XVème et XVIème siècle, Morlaix aurait tout pour plaire. La ville a du charme mais le nombre de boutiques vides et les pancartes "A vendre" et "A louer" viennent noircir le tableau. 26% des locaux commerciaux sont vides dans le centre. Lorsque l’on interroge les passants dans rue, la question des commerces vides revient régulièrement. Ils donneraient l’impression d’un centre un peu "mort" et "triste".
Des commerçants qui se bougent
Les commerçants de la ville regrettent cette image négative. Pas question pour autant de s’y résoudre. Ceux qui travaillent de la Grand Rue ont décidé d'agir. En bas de cette rue, autrefois la plus marchande de la ville, la plupart des vitrines sont vides.Plus haut, en revanche, la rue est encore bien animée et les relations très bonnes entre les commerçants, qui se croisent tous les matins au moment de passer le balai sur le palier de leurs boutiques. Ils ont décidé de monter un collectif, après de nouvelles fermetures dans la rue l'an dernier : "Grand Rue and Co". "Co comme convivial, compagnie", détaille Gladys Jaouen-Josqeph, vendeuse à la boutique Quai Ouest. Le but de réfléchir à l'avenir de la rue.
Tous les vendredis, gérants et salariés des différentes enseignes, se réunissent pour un déjeuner de travail. L’objectif de ces rencontres est de mettre en place des actions pour attirer les passants et les clients dans la rue : décorer les devantures vides, organiser des animations. "Les gens auront envie de venir dans cette rue s’il y a une bonne ambiance, si c’est animé, si ont fait quelque chose pour les clients et les visiteurs… mais on a du boulot", reconnaît Marie-Laure Paugam qui tient la galerie Passage 1522.
Le collectif réfléchit aussi à la visibilité de la Grand rue et de ses commerces sur les réseaux sociaux. "C’est important pour se faire connaître, faire connaître les nouveaux produits, faire connaître chaque endroit et faire connaître l’identité de la rue", explique la galeriste. Les commerçants ont également conscience qu’il n’ont pas la main sur tout, comme l’accessibilité du Centre-ville de Morlaix et les difficultés de stationnement, qui leur portent souvent préjudice.
La folle expansion de la périphérie
Aux stationnements payants et souvent complets du centre-ville, beaucoup de consommateurs préfèrent les parkings des zones commerciales en périphérie, comme celle de Saint-Martin-des-Champs. La zone du Launay se situe à la sortie de la voie express (RN12). Depuis les années 1980, les grandes surfaces ne cessent de sortir de terre. Hypermarchés, restaurants, hôtels, magasins de vêtements, boulangeries, pharmacies,… Les enseignes et panneaux publicitaires façonnent le paysage. Le lieu est certainement moins authentique que le centre-ville de Morlaix, mais visiblement plus attractif, puisque des centaines de personnes qui y transitent chaque jour.Selon le chercheur René-Paul Desse, de l’Institut de Géoarchitecture de Brest, spécialisé en urbanisme commercial, Morlaix n’est pas la seule petite ville à souffrir de sa périphérie. Saint-Brieuc et Landerneau, pour ne citer qu'elles, seraient subiraient le même phénomène. "70% de parts de marchés sont captées par la périphérie", détaille-t-il. Et la désertification des centres villes se serait encore accélérée depuis la fin des années 2000 avec l’intensification des achats sur internet.
La responsabilité des élus
Pour le chercheur, il y a trois acteurs principaux dans ce phénomène : les commerçants, les consommateurs et les élus. Ces derniers, dans un contexte de libre entreprise en France, auraient peu de marge de manœuvre, si ce n’est travailler "sur la voierie, la piétonisation des rues et l’animation". Néanmoins, les politiques en matière urbanisme auraient eu des conséquences néfastes sur le centre-ville. "De 2005 à 2019, on a vu une progression de 40% des grandes et moyennes surfaces spécialisées de plus de 300m2 dans l’agglomération de Morlaix. Sur ce point, il y a une véritable responsabilité des élus qui siègent à la commission départementale d’aménagement commercial, qui ont autorisé soit l’extension, soit la création de nouvelles surfaces commerciales, la plupart en périphérie de Morlaix", dit le professeur.
Pour lui, le problème de vacance commerciale est aussi étroitement lié à celui du logement. "S’il y a une vacance du logement à Morlaix, c’est parce qu’une partie de l'habitat est vétuste. Les appartements sont très agréables à regarder en tant que touristes mais lorsque l’on voit l’envers du décor, il y a un très gros travail à faire ". Pourtant, ramener des habitants en centre-ville, par la rénovation par exemple, permettrait le retour de commerces de proximité.
Une géographie défavorable
Enfin, Morlaix souffrirait aussi de sa géographie, avec un centre-ville situé en bas d’une vallée, pas toujours facile d’accès. "On un axe qui est la voie express, qui fonctionne aussi comme rocade à Morlaix. Toutes les grandes surfaces sont installées là, tout comme les zones d’activité. On a donc des cheminements vers le périurbain et on a peu de raisons de descendre en centre-ville de Morlaix puisque tout se passe en haut", résume René-Paul Desse.
Cette topographie particulière ne lui rend pas service non plus lors de grosses crues. Morlaix est construite dans une cuvette, au-dessus de deux rivières, le Jarlot et le Queffleut, qui entrent en confluence dans des galeries sous-terraines. Lorsque ces rivières débordent, la partie basse du centre-ville se retrouve les pieds dans l'eau. Ces inondations, récurrentes à Morlaix, provoquent souvent d’importants dégâts dans les commerces. S’ensuivent des procédures compliquées avec les assurances. De quoi décourager des commerçants de s’y installer. Ou du moins, pas dans cette partie de la ville. Car des jeunes qui veulent travailler à Morlaix, il y en a.
Joé Garcia, tatoueur de 32 ans, s’est installé à Morlaix début février. Son salon de tatouage se trouve sur la route de Paris qui surplombe la ville. Il était candidat au concours "Mon centre-ville a un incroyable commerce", organisé en septembre 2019, à Morlaix, dans le cadre du programme gouvernemental "Action cœur de ville", qui vise à redynamiser les centres des villes moyennes. Une poignée de nouveaux commerçants ont entrepris comme lui de lancer une activité sur Morlaix. Mais pour Joé Garcia, qui aime Morlaix, il n’était pas question de s’installer dans sa partie inondable, les investissements pour mettre son salon aux normes d’hygiène étant très lourds. Il n’imaginait pas refaire des travaux après chaque crue : "La salle où je pratique mon métier doit être comme une salle d’opération. Refaire toute salle pour qu’elle soit aux normes, c’est vraiment du boulot".
Comme les commerçants de la Grand Rue, Joé Garcia veut faire vivre Morlaix. La dynamisation du centre-ville est au cœur du débat des municipales. Le défi est de taille quand le e-commerce et les surfaces commerciales en périphérie ne cessent de prendre de l’ampleur.