Prix Renaudot 2023. Ann Scott récompensée. "Les insolents" ou l’insoutenable solitude de l’être

Le prix Renaudot a été décerné à Ann Scott pour son dixième roman, "Les insolents". L’histoire d’une musicienne qui quitte Paris pour venir s’installer dans une petite maison dans le Finistère. Un personnage qui ressemble beaucoup à l’autrice qui a suivi le même chemin en abandonnant les trottoirs de la capitale pour les plages bretonnes.

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Avec un petit sourire, Ann Scott est bien obligée de reconnaître que l’héroïne de son roman "Les Insolents" lui ressemble un peu. "Mais je pense qu’elle est plus sympathique, moins compliquée, plus sexy, plus légère et plus intéressante que moi, parce que les doubles littéraires sont toujours plus passionnants, assure-t-elle. Alors que l’auteur, lui, reste enfermé chez lui pour raconter la vie des autres. Mais, c’est certain, le parcours est proche."

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Prix Renaudot 2023, Ann Scott récompensée pour "Les insolents". Son entretien avec Nathalie Rossignol. ©France 3 Bretagne

Tout quitter

"Les Insolents" raconte l’histoire d’Alex, compositrice de musique de films qui décide un beau jour de quitter la capitale et ses amis pour venir s’installer en Bretagne, dans une petite maison qu’elle n’a jamais vue, au bord de la mer. "Une construction banale des années 70, blanche avec des volets en bois marron et des vasistas dans le toit d’ardoise. Pas une vieille bâtisse en pierre, pas de véranda sous laquelle regarder la pluie tomber"  écrit Ann Scott. Dans le roman, Alex a besoin de se retrouver, d’être seule.

Il y a quelques années, l'autrice a emprunté le même chemin et est venue écrire dans le Finistère. "Je n’en pouvais plus d’écrire des livres à Paris. Il fallait que j’aille regarder ailleurs, que j’aille voir autre chose que des trottoirs, des feux rouges, la foule. Là où je suis en Bretagne, il n’y a personne, pas un bruit, c’est magnifique."

Partir loin du bruit

Le bruit et la fureur, Ann Scott a donné. Dans les années 80, la jeune femme d’alors, née à Boulogne-Billancourt  dans les Hauts-de-Seine en 1965, débarque à Londres. Elle est batteuse dans les groupes de punk-rock, défile pour John Galliano et Vivienne Westwood. Elle dévore la vie, goûte à tous les plaisirs. C’est là qu’elle découvre la littérature.

Dans "Les insolents", elle écrit : "On peut peut-être se gâcher jusqu’à ses 25 ans, rester avachie dans une chambre aux volets fermés à parfaire des solos d’autres gens et se piquer à l’héro pour oublier qu’on ne crée rien, mais ensuite, il vaut mieux se réveiller." 'Toute ressemblance avec des personnages' trouvait-on hier au début des romans.

Son premier roman, "Asphyxie" paraît en 1996, "Superstars", en 2000. Elle y raconte les nuits, l’héroïne, les boîtes de nuit…  Avec "Les insolents", elle change d’univers. Ses personnages ont été cabossés par la vie. Ils ont pris des coups dans la gueule, parfois au sens propre, mais ce ne sont pas toujours ceux qui laissent le plus de cicatrices. "On dirait que les illusions sont faites pour être perdues," fait-elle dire à l'un des personnages du roman.

Partir pour se retrouver

Comme Alex, Ann Scott a donc pris un train pour la Bretagne. "J’avais envie d’être seule dans le silence, envie de me confronter aux vraies choses, explique-t-elle. Je ne suis pas partie pour faire du pain ou élever des chèvres, je voulais voir ce que j’allais donner, s'il fallait couper du bois ou être sans chauffage quand il y a la tempête."

Dans le livre, les copains d’Alex la préviennent : "Ça va te faire marrer un mois de te prendre le vent dans la gueule sur la plage et puis ça va être l’hiver, tu vas te cailler. Tu vas devenir folle de ne connaître personne et de ne même plus entendre le son de ta propre voix."

Le roman de la solitude

Ann Scott raconte les doutes et les moments de solitude de son personnage. Alex se retrouve un soir à écouter de la musique avec un crapaud qui s’est invité. "Elle a l’air d’une fille qui a l’air cool, dégourdie, sans peurs, mais qui avant d’éteindre ce salon allumera le couloir, comme la nuit précédente, pour ne pas dormir complètement dans le noir en l’absence de lampadaires dans la rue. Une fille qui a les larmes aux yeux parce qu’elle ne sait pas où elle a trouvé le courage de tout quitter et qui espère que ça va aller"  souffle son personnage quand tombe le soir.

Quand on cherche des choses, on est toujours seul

Ann Scott

"Je crois que quand on cherche des choses, on est toujours seul, analyse Ann Scott. On peut être accompagné à certains moments, mais pour avoir une idée d'où on va, de ce qu’on fait, et de pourquoi on le fait, il faut être seul."

Il n’y a rien ici, rien d’autre que ce qui se passe en dedans"

Alex, personnage des Insolents d'Ann Scott

C’est donc seule, au bord de la mer, qu’elle a rédigé ce dixième roman, à son rythme. "Quand vous vivez à la campagne, vous pouvez écouter de la musique à 3h du matin, passer l’aspirateur au milieu de la nuit. On vit de telles contraintes, dans une telle violence, on vit tellement de choses déprimantes tous les jours que juste sortir de Paris et aller au bord de la mer, c’est juste magnifique."

Au fil des pages, Ann Scott s’interroge et nous questionne sur la solitude, le silence. Où et quand commence cette drôle de sensation d'être seul au monde ? La solitude est-elle l’absence des autres ? Ou notre absence de leurs vies ?

"Il n’y a qu’elle sur la plage, personne d’un côté comme de l’autre, mais quand elle ne voit aucune silhouette au loin, ça ne la fait pas se sentir seule. C’est au moment où elle croise d’autres gens seuls qu’elle prend conscience qu’elle l’est.

Le Renaudot

 

Le roman a donc reçu le prestigieux Prix Renaudot. À l’annonce du prix, "j’étais très émue, confie l’autrice, c’est ce que mon père a espéré pour moi toute sa vie et il est mort il n’y a pas longtemps. C’est le premier livre que je publie sans qu’il ne l’ait lu avant, sans qu’il ne le voie. Quand on a annoncé que j’avais le prix Renaudot, j’avais la tête vide, je pensais juste qu’il n’était pas là et je pensais à ma mère, qui est bien vivante et très heureuse."

 (Avec Nathalie Rossignol)

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