"On a juste pris le nom de notre village". Attaquée par le géant de la bière alsacienne pour imitation, cette brasserie bretonne veut défendre son identité

Quand ils ont ouvert leur brasserie artisanale à Locronan, dans le Finistère, Tanguy et Alexandre ne s'imaginaient pas qu'elle dérangerait les intérêts de la brasserie alsacienne Licorne. Le géant de la bière accuse les Bretons d'imitation. En cause : le nom choisi par la toute petite entreprise finistérienne.

C'est un peu le combat de David contre Goliath. Celui de la brasserie bretonne Lokorn, qui a ouvert en 2023 à Locronan, contre la brasserie alsacienne Licorne, installée à Saverne dans le Bas-Rhin. D'un côté, une entreprise artisanale dirigée par Tanguy Dupuis et Alexandre Berrurier. De l'autre, une société qui a intégré le groupe allemand Karlsberg.

"Lokorn, Licorne, rien à voir"

Les Alsaciens reprochent aux Finistériens d'avoir imité leur nom et leur logo. "Injustifié" se défendent les deux brasseurs de Locronan qui trouvent que la pilule est un peu dure à avaler et estiment que les arguments de la partie adverse sont tirés par les cheveux. "Lokorn, c'est le nom breton de Locronan et en termes de sonorité, cela n'a rien à voir, explique Alexandre Berrurier. Notre logo, c'est un cube de granit rose avec des cornes. Il n'y a aucune similitude. En aucun cas nous n'avons cherché à imiter cette marque. Nous avons juste pris le nom du village qui nous accueille. Nous tenions à ce nom en breton car nous sommes fiers de notre identité et de nos racines".

On a analysé et vérifié si on était en tort. Ce n'est pas le cas

Tanguy Dupuis

Co-fondateur de la brasserie Lokorn

La brasserie Licorne a donc décidé d'attaquer en justice la brasserie Lokorn pour imitation, estimant également qu'il pouvait y avoir confusion entre les deux appellations.

Alexandre et Tanguy n'auraient pas imaginé en arriver là lorsqu'ils ont déposé leur marque à l'INPI (Institut national de la propriété industrielle). "Je pensais que nous serions protégés définitivement, confie Tanguy. D'autant que personne ne s'est manifesté pendant le délai d'opposition légal. L'attaque en nullité nous est parvenue ensuite. De par son antériorité, Licorne a le droit de nous poursuivre dans les cinq ans qui suivent le dépôt de notre marque".

"On va se défendre"

Un premier courrier, "envoyé clairement pour faire peur", rappelle ce que les deux brasseurs finistériens encourent : 400.000 euros d'amende et 4 ans de prison. "De quoi flipper en effet, relève Tanguy. Mais on a respiré un bon coup, on a analysé et vérifié si on était en tort. Ce n'est pas le cas donc on va se défendre".

Tout ce que l'on a investi dans l'entreprise, c'est avec nos sous

Alexandre Berrurier

Co-fondateur de la brasserie Lokorn

Il n'empêche, les frais de justice risquent de plomber les finances de cette petite brasserie qui n'a pas les mêmes armes qu'un géant de la bière pour lutter. "On s'est construit avec nos économies, souligne Alexandre. Tout ce que l'on a investi dans l'entreprise, c'est avec nos sous. On n'a pas des fonds de pension qui nous aident" ironise-t-il.

Décidés à aller jusqu'au bout, les deux brasseurs de Locronan ont lancé une cagnotte en ligne pour faire face à cette dépense qui n'était pas au budget de leur "business-plan". "On a tout calculé au centime près pour bâtir notre brasserie, relate Tanguy. Si l'on doit tout refaire, cela va nous coûter beaucoup d'argent. Car tous nos fûts, les enseignes devant le magasin et la brasserie, les mugs, les pulls portent le logo et le nom de Lokorn".

"Savoir-faire local et artisanal"

Les deux fondateurs de Lokorn ne se laissent pas abattre même s'ils reconnaissent que cette affaire porte "un coup de frein" à leurs investissements. "On est en plein lancement, la saison estivale est proche, relève Alexandre. On a des commandes et si on veut être présents dans les festivals, les restaurants, les bars, il nous faut du stock, un parc de fûts conséquent, des tireuses nécessaires et tout cela, ce sont des investissements à effectuer maintenant. Or, avec les frais d'avocat et cette menace constante de perdre notre marque, cela freine tout. Aujourd'hui, on n'est pas en mesure de fournir plus de produits à cause de ces frais annexes qui n'étaient pas prévus".

On n'a pas non plus l'ambition de devenir une multinationale

Tanguy et Alexandre

Co-fondateurs de la brasserie Lokorn

Les brasseurs finistériens ne lâcheront pas une once de terrain à la brasserie Licorne, "une belle et vieille brasserie" note Tanguy, "mais deux mondes qui s'opposent, ajoute Alexandre, bien que nous partagions la même passion pour la bière".

Licorne, créée en 1845, près d'un million d'hectolitres de bière produits par an, des centaines de salariés versus Lokorn, ses 18 mois d'existence, 180 hectolitres brassés en 2023 et ses deux employés qui ne sont autres que les deux fondateurs. "On n'est vraiment pas une menace pour eux, assurent ces derniers. Et on n'a pas non plus l'ambition de devenir une multinationale. La marque Lokorn met en avant un savoir-faire local, artisanal et rend hommage à l'un des plus beaux villages de France".

La justice rendra sa décision à l'automne prochain. En attendant, la brasserie de Locronan va continuer sa production sous le même nom et avec le même logo.

(Avec Claire Louet)

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