PORTRAIT. "J'ai mis du temps à dire je suis obèse". Anatomie d'un combat contre la grossophobie

Accepter son corps tel qu'il est, lutter contre les préjugés qui ciblent les personnes en surpoids, cette grossophobie qui en dit long sur nos standards esthétiques, c'est l'histoire de sa vie. Stéphanie Pihéry a enchaîné les régimes, connu des pertes de poids vertigineuses, repris les kilos perdus. Jusqu'à envisager la chirurgie bariatrique. La Finistérienne a signé, en 2022, un documentaire sonore où elle questionne la fabrique de son obésité.

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Quand elle parle aujourd'hui de son corps, Stéphanie Pihéry hésite. Puis lâche le mot "apaisement". Elle se reprend, réfléchit à nouveau, raconte qu'il lui arrive parfois d'osciller entre " le dégoût' et "le fait de [se] trouver belle, mais c'est de plus en plus rare car je ne cherche plus à paraître".

La Brestoise, installée à Douarnenez depuis 2007, est atteinte d'obésité sévère, ""à un cheveu de l'obésité dite morbide". Elle cuisine, mange équilibré, n'est pas adepte de la junk food. Elle tient à le préciser pour casser les préjugés sur "les gros qui mangent forcément mal"

"Les belles, les reines et les autres"

L'apparence, c'est l'histoire de sa vie. Une obsession. Dompter ces kilos qui encombrent la perception qu'elle a d'elle-même. Coller aux injonctions d'une silhouette mince, élancée, que l'on assène à coups de publicités. Etre ces filles-là. "Au collège, raconte-t-elle, il y avait les belles, les reines et les autres". Les grosses. "J'ai commencé à comprendre que j'étais 'les autres' et que je rêvais de briller, confie Stéphanie. C'est à ce moment-là que s'est installée l'obsession d'une autre moi-même". Pour ressembler à ces corps qu'elle voit dans les magazines.

Dans cette fin des années 80, la stigmatisation des personnes en surpoids ou souffrant d'obésité est manifeste. Quand elle entre au lycée, en section cinéma, Stéphanie constate que "des grosses, il n'y en a pas dans les films. Ou alors, lorsqu'elles sont visibles, elles sont ridicules, détestables, risibles, paresseuses, etc.". Se moquer est la règle. La grossophobie n'est pas répertoriée dans le dictionnaire ni dans le code pénal. Il faudra attendre trois bonnes décennies pour qu'elle y figure.

Alors, elle, pour son épreuve de baccalauréat, elle imagine un scénario où il est question d'un bonbon magique qui "transforme une grosse en fille sublime". Elle s'en amuse désormais et y voit aussi "un film précurseur à [son] obsession croissante. Pourtant je n'étais que rondelette à l'époque" relève-t-elle. 

Engrenage

Stéphanie Pihéry a toujours connu sa mère au régime. Elle-même a été très tôt mise à la diète. Enfant, elle n'était pas en surpoids, "juste potelée" dit-elle. Pas de quoi affoler son indice de masse corporelle (IMC) et pourtant, sur avis médical, la voilà contrainte à une alimentation contrôlée.

C'est le début de l'engrenage. Et la voie toute tracée vers l'obésité. "La plupart des personnes obèses ont été soumises à des régimes dès leur enfance, explique-t-elle. Quand la contrainte est trop forte, elles craquent. Sauf que le moindre écart va leur profiter. Le corps, il est fait pour fonctionner pas pour maigrir donc lui, il stocke les graisses pour faire face aux privations. Enchaîner les régimes équivaut à dérégler tout le système".

Les régimes à répétition nous entraînent dans une spirale

Stéphanie Pihéry

Stéphanie ne balaie pas d'un geste la part de génétique, toutefois, ajoute-t-elle, "avoir un parent en surpoids va faire de nous des personnes grosses, pas obèses. Les régimes à répétition, pour perdre quelques kilos, nous entraînent dans une spirale où la dépendance psychologique à la nourriture devient plus forte". Elle a fait le calcul : en quarante et quelque années, elle a perdu et repris trois fois son poids.

"Mon corps opératoire"

Apprivoiser son corps, c'est un combat qu'elle mène et qu'elle a voulu partager. Grâce à son documentaire sonore, Mon corps opératoire, celle qui a longtemps travaillé pour le festival de cinéma de Douarnenez trouve le chemin de la catharsis. 

Faire ce documentaire a été libérateur

Stéphanie Pihéry

Dans cette création de 54 minutes, diffusée en 2022 par la RTS (Radio-Télévision Suisse), Stéphanie Pihéry raconte pourquoi, après le premier confinement lié au Covid-19, elle envisage la chirurgie bariatrique qui consiste à réduire la taille de l'estomac.

A travers son parcours pré-opératoire, elle creuse les questions de normes, tant sur le plan historique, social que médical, aborde "la manière dont les femmes sont jugées sur leur physique" et pointe la fabrique de l'obésité pour mieux déconstruire en elle cette image d'une monstruosité. "J'ai grandi teintée de cette idée qu'une belle femme, c'est une femme mince, une femme élégante, discrète ou alors si elle est grande gueule, c'est pas grave puisqu'elle est belle. Une grosse, elle, elle doit raser les murs et pas trop se montrer".

"Rentrer le ventre"

L'image de soi. Un vrai calvaire pour cette femme qui reconnaît néanmoins que "faire le documentaire a été libérateur". Elle n'est d'ailleurs pas allée au bout de la démarche bariatrique. "Je me suis rendue compte que la contrainte aurait été pire après, relate-t-elle. Pas boire en même temps que l'on mange, étaler ses repas par petites portions tout au long de la journée, pour un résultat aléatoire puisque l'on reprend du poids à long terme".

J'ai décidé de vivre celle que je suis

Stéphanie Pihéry

Et l'amour dans tout cela ? "Quand j'étais plus jeune, les nanas en surpoids étaient rarement au bras d'un mec" confie-t-elle. Stéphanie veut plaire "aux hommes qui préfèrent les belles, pas les grosses". Des hommes qui la poussent à "rentrer le ventre", "faire des régimes". "Je suis allée vers l'échec" analyse-t-elle, comme pour se donner raison dans cette idée qu'elle n'était "pas aimable".

"J'ai quand même fait des jolies rencontres, nuance la documentariste. J'ai eu une longue histoire avec un homme non-voyant. Il n'y avait pas ce regard sur moi, je me sentais plus légitime. Même si le toucher me renvoyait à mon corps trop gros". Ce corps, qu'elle aimerait transformer, qui l'emprisonne, qui lui échappe et qu'elle finit par accepter. "Un jour, j'en ai eu marre de tenter d'être une autre femme. J'ai décidé de vivre celle que je suis".

Non, les gros ne sont pas laids !

Stéphanie Pihéry

La naissance de sa fille sert de révélateur. Et réveille son besoin d'agir pour faire bouger les lignes. "Ma fille a aussi un corps qui jouera sur son rapport au monde, qu'on le veuille ou non, observe-t-elle. Cette injustice me terrasse mais devient également une force pour combattre cette fatalité. Non, les gros ne sont pas laids ! Non, on ne doit pas nécessairement faire un régime et s'envoler irrémédiablement vers l'obésité".

A 46 ans, elle dit se sentir "enfin bien dans sa peau". La colère et la peine, face à la grossophobie, sont ses moteurs pour dégommer les stéréotypes et "changer cette vision erronée des gros qui manquent de volonté et que l'on culpabilise. Nous sommes des conséquences de tout un tas de facteurs. Nous ne sommes pas des échecs".

Stéphanie Pihéry rappelle qu'il n'y pas "des gros que chez les pauvres. C'est courageux d'être gros. Il faut les faire ces régimes, il faut les vivre ces frustrations permanentes et puis vivre avec un corps qui suscite du mépris, c'est très difficile". 

S'accepter telle qu'elle est, "faire la paix avec ton image" ainsi que lui glisse sa mère, la Douarneniste "y travaille". Depuis quatre ans, elle masse les corps des autres. "Masseuse, il n'y a pas de hasard" rigole-t-elle. 

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