On le reconnaît à sa silhouette dans les salles de concerts où il hume l'air du temps. Jérôme Tréhorel est depuis dix ans le remuant directeur des Vieilles Charrues, festival qui célèbre ses 30 ans.
"On accueille les festivaliers comme des amis pour un barbecue", aime-t-il à dire. Ils devraient être encore près de 300 000 (270 000 en 2019), de jeudi à dimanche, sur le site de Carhaix dans le Finistère pour acclamer quelque 70 artistes : Stromae, OrelSan, Midnight Oil, Ibeyi, Clara Luciani, Dinos...
Mais le quadragénaire charpenté n'est pas du style à se reposer sur ses acquis. Les Charrues, qui furent pionnières pour le cashless (le bracelet des festivaliers sert de moyen de paiement), proposeront cette année tous les soirs un show de 400 drones.
Rien ne prédestinait ce Breton originaire du Quessoy, où Bernard Hinault a raccroché le vélo en 1986, à monter le volume tous les étés. Adolescent, il écoutait "vaguement les musiques dont parlait le voisin", comme il le raconte à l'AFP. Il tombe un jour à la télé sur le groupe anglais Suede. Première injection du virus.
"T'as l'air sympa et pas trop con"
Curieux de l'envers du décor, l'étudiant en commerce est bénévole d'un festival de sa région quand quelqu'un lui lance : "T'as l'air sympa et pas trop con, ce serait bien que tu viennes donner un coup de main aux Charrues".
Iggy Pop sautille
En 1998, alors qu'il assiste à un concert depuis l'arrière de la scène aux Charrues, il sent quelqu'un gigoter, tourne la tête et voit Iggy Pop sautiller pour préparer son entrée. "Je me suis dit 'c'est ça que je veux faire', pas sautiller (rires) mais travailler dans les festivals".
Il passera par les services presse, communication ou développement du mécénat et des partenariats : 5 000 VIPs, 250 entreprises, des gens qui veulent être à côté de personnes qui les intéressent dans le tissu économique. "Et on m'a proposé d'être directeur en 2012 et depuis je suis sous perf'", pouffe-t-il.
Une année repose sur la préparation de quatre jours
Jérôme TréhorelDirecteur des Vieilles Charrues
"Organisateur de festival, c'est un métier qui n'existe pas dans les manuels, il faut savoir s'entourer, savoir dire oui ou non et donc savoir de quoi on parle entre logiciel de comptabilité ou contrat avec un prestataire billetterie".
Comme pour d'autres festivals non subventionnés, "une année repose sur la préparation de quatre jours", déroule ce père de deux enfants.
Aujourd'hui, les Charrues, ce sont "15 salariés permanents ; et pendant l'évènement 7 150 bénévoles et 2 500 salariés embauchés par le festival et par des prestataires et fournisseurs". Pour un budget qui devrait cette fois dépasser 18 millions d'euros.
Trop proche de Roselyne Bachelot pour certains de ses pairs
Les dernières années n'ont pas été de tout repos pour les patrons de festival entre les attentats de 2015/16 qui ont alourdi les contraintes sécuritaires, puis la crise sanitaire. Cette sale période a même fini par fissurer l'union sacrée des festivals.
Tréhorel fut ainsi taxé par certains pairs de "collabo", soi-disant vassal de la ministre de la Culture de l'époque, Roselyne Bachelot. Une image qui ne colle pas pour ceux qui l'ont surtout vu mettre son pied en travers de la porte pour échanger directement avec la ministre.
Inquiet de l'inflation
"Je lui disais 'tu t'en moques, laisse les baver'. Et Jérôme a été au bout, il a organisé des Charrues en 2021. Jérôme, c'est un militant de la cause des festivals", salue pour l'AFP Christophe Sabot, patron d'Olympia Production. "Le secteur a été soutenu pendant la crise sanitaire, il faut dire quand c'est bien", commente sobrement Tréhorel.
Tous les festivals ont repris cet été, mais le directeur des Charrues n'a pas encore rangé au vestiaire les soucis.
Si son rendez-vous fait le plein, il s'inquiète pour sa branche dans un contexte "d'inflation". Il sera temps d'y revenir plus tard. Il attend avec impatience jeudi 14 juillet et les "premiers sourires des festivaliers".