La Politique agricole commune a vu le jour en 1962 et n’a cessé d’évoluer. Sa mutation sera l’un des enjeux des prochaines élections européennes. En attendant, retour sur l’une des mesures phares de ces 5 dernières années : la suppression des quotas laitiers.
Les quotas laitiers sont entrés en vigueur en 1984 et à l’époque, ils avaient suscité beaucoup d’inquiétude chez les éleveurs.
Jean-Pierre Chevrel produisait du lait à Saint-Aubin du-Cormier en Ille-et-Vilaine et il se souvient : "Ça a été douloureux car on venait de s’installer et nos objectifs n’étaient pas atteints. Les quotas ont figé le niveau de production qui était assez bas. Avec le temps, on s’est adapté, on a fait des céréales et on a acquis des quotas à droite et à gauche même si cela nous a coûté de l’argent. Après, cela a été un plus pour maintenir des prix".
Un changement douloureux
Alors, dans cette ferme ou Patrice et Yannick ont pris la succession de leur père, la fin des quotas en avril 2015 a été vécue avec appréhension. Patrice avait subi la crise du lait de 2009 et s’attendait à une chute des prix. Il a pu y faire face en limitant ses investissements mais quatre ans après, "la situation reste compliquée, explique-t-il, car il y’a plus de fluctuations qu’avant. Les quotas, ca n’était pas si mal car cela donnait de la lisibilité sur le long terme."
Pour autant, Patrice et son frère n’ont pas augmenté leur production. Ils livrent la même quantité de lait qu’avant à leur laiterie soit 1300 litres de lait par jour, 560 000 litres par an. Pour leur élevage, 80 vaches sur 117 ha, ils bénéficient comme tous les agriculteurs des aides directes de l’Europe mais aussi d’une enveloppe MAE, mesures agro-environnementales.
Comme beaucoup, ils déplorent trop de tracasseries administratives, trop de contraintes aussi, notamment des contraintes environnementales. Mais ils reconnaissent des avantages. L’Europe a par exemple financé l’installation de leur atelier porcin de 60 truies Label Rouge qui apporte du beurre dans les épinards de la famille. Une famille de paysans qui est l’une des rares de la commune.
Il y a 20 ans, Saint-Aubin comptait encore 20 exploitations agricoles. Il n’y en a plus que six aujourd’hui.
La conversion en bio pour faire face
Quelques dizaines de kilomètres plus au nord, à Saint-Georges-de-Reintembault, les fermes elles aussi se font de plus en plus rares. Mais celle de Sonia et Alain Fretay résiste plutôt bien. En GAEC avec le frère d’Alain et son neveu, ils gèrent une exploitation de 160 ha avec 120 vaches laitières et pratiquement autant de génisses.
La crise de 2009, eux aussi en ont subi les contrecoups. A l’époque, déjà, ils avaient envisagé de se convertir au bio. La fin des quotas a accéléré leur décision. Depuis 2016, l’exploitation est en bio et tout le lait livré à une laiterie bio. Aucun regret pour le couple qui estime avoir retrouvé les fondamentaux du métier et profite aussi de prix plus rémunérateurs (entre 390 et 450 euros la tonne).
C’est important de se lever le matin, en se disant je travaille pour quelque chose.
Pour la conversion, Sonia et Alain n’ont pas eu d’aides européennes mais un financement de la laiterie. En revanche, depuis 10 ans, ils touchent eux aussi de l’argent européen pour répondre aux normes agro-environnementales désormais en vigueur. "On met moins d’engrais, moins de phytos, il y’a plus d’herbes et moins de mais sur l’exploitation. Pour nous, c’est 10% de notre chiffre d’affaires et c’est ce qui nous permet de vivre. C’est un contrat gagnant-gagnant car on nous paye pour moins polluer."
Mais si tous les deux se disent profondément européens, ils nourrissent quelques craintes sur la future règlementation de la bio. Elle devrait entrer en vigueur en 2021 et pour répondre aux demandes de tous les états membres, elle pourrait être plus laxiste. "Il faut par exemple garder l’accès au pâturage pour les troupeaux qui aujourd’hui fait partie du cahier des charges mais faute de surfaces suffisantes, certains pays y sont hostiles. Pourtant, le lien au sol, c’est l’un des fondamentaux de la bio. En fait, on ne sait pas trop vers quoi on va et c’est ce qui nous inquiète."
Comme tous les agriculteurs bretons, Sonia, Alain, Patrice, Jean-Pierre, et Yannick suivront avec intérêt l’évolution de la future politique agricole commune. D’elle, dépend en partie leur avenir.
Reportage Isabelle Rettig, Eric Pinault, David Mérieux
LA PAC
La PAC est la politique la plus importante de l’UE. Elle représente environ 35% du budget européen, 45% avec le développement rural. Elle a été mise en place en 1962. En Bretagne, région très agricole, la PAC permet notamment de soutenir le marché et les prix agricoles pour garantir un revenu aux agriculteurs. Elle sert aussi au développement rural.La PAC se compose de deux piliers : le premier, (278 milliards au total pour la période 2014-2020) ce sont les aides directes versées aux agriculteurs. Elles leur assurent un revenu et sont versées notamment au prorata de la surface de l’exploitation. En Bretagne, ce sont les producteurs laitiers et les éleveurs bovins qui touchent les subventions les plus importantes. Pour l’année 2017, les agriculteurs bretons ont touché 463 millions au titre du premier pilier. Pas de chiffres pour 2018 en raison des retards dans les versements.
Le second pilier de la PAC ( 85 milliards au total pour la période 2014-2020), c’est le FEADER, le fond européen agricole pour le développement rural, auquel s’ajoute aussi des cofinancements des états. Pour la période 2014-2020, la Bretagne a touché une enveloppe globale de 368 millions d’euros qui sert essentiellement à l’investissement, à l’installation des jeunes, aux mesures agro-environnementales et au bio.