L’Union des Démocrates Musulmans Français a vu le jour à Nanterre en 2012. Dix ans plus tard, le parti, qui se dit de gauche, laïc et respectueux des principes de la République présente 85 candidats en France pour les élections législatives de juin. Cinq en Ille-et-Vilaine.
Le clip de campagne de l’Union des Démocrates Musulmans Français fait défiler des visages. "Je m’appelle Kamel, je m’appelle Amir, je m’appelle Nabil, je m’appelle Delphine, je m’appelle Oussama, Laurent, Nassima et nous sommes la France."
Lui, s’appelle Khalid Bajjouj, il est candidat dans la 1ère circonscription d’Ille-et-Vilaine. "Je fais de la politique par obligation, ce n’est pas une vocation et encore moins un plan de carrière" explique t’il d’entrée. Il a adhéré à ce nouveau parti en 2016 "face à ce qui se passe en France avec la montée de l’islamophobie."
On a monté les pauvres des campagnes contre les pauvres des villes.
Khalid Bajjouj, candidat pour les législatives Union des Musulmans Démocrates Français
Khalid Bajjouj est né au Blosne, en ZUP sud de Rennes, "dans un quartier qu’on a ghettoïsé" dit-il. "J’ai grandi, étudié et je travaille en Bretagne. Ici, notre message est bien accueilli. Les Bretons ont vécu le même genre de discriminations. Ils ont parfois été stigmatisés, montrés du doigt, considérés comme des non français. Au siècle dernier, quand ils sont partis à la capitale, ils ont été moqués à cause de leurs tenues, à cause de leur langue, ils étaient moins bien payés que les autres."
"L'islamophobie, c'est juste du racisme !"
"L’islamophobie, c’est juste du racisme" analyse Khalid Bajjouj. "Un racisme spécifique contre les Maghrébins. Un racisme qu’il faut combattre. Il est utilisé pour faire diversion sur les vrais problèmes de la société. On a monté les pauvres des campagnes contre les pauvres des villes."
Khalid Bajjouj évoque ses souvenirs d’étudiant. Il était dans une école de commerce à Rennes et avait du mal à trouver un stage. Un jour, lassé de ne recevoir que des réponses négatives, il a modifié son nom. A la place de Khalid Bajjouj, il a écrit, Charles de la Bellière, un patronyme qui sonne différemment.
"C’était le même CV, la même formation, les mêmes stages, la même expérience". Mais alors que le téléphone de Khalid restait désespérément silencieux, celui de Charles a sonné. "Ça touche, on se dit qu’on n’a vraiment pas les mêmes chances que les autres."
85 candidats en France
Dans le tract de l’UDMF pour les Législatives, on lit, "la gauche saucisson-pinard et athéiste n’a jamais calé dans son agenda politique les combats qui sont les nôtres et qui font de nous des indigènes de la république 2.0, relégués dans des zones d’apartheid non mixtes et accusés de séparatisme anti-républicain."
Sur son site, le parti détaille, "face à la montée des persécutions verbales, physiques et des attaques terroristes antimusulmans de ces dernières décennies, il est de l'intérêt de chaque État de combattre l'islamophobie en assurant la sécurité des communautés musulmanes d'Europe (au travers des mosquées, écoles et cimetières musulmans régulièrement pris pour cible). L’islamophobie doit-être reconnue comme la diffusion de haine envers les personnes en raison de leur religion réelle ou supposée."
Khalid Bajjouj, Sofia Ben Lahcen, candidate dans la deuxième circonscription d'Ille-et-Vilaine, Karim Farah, dans la troisième, Soumaya Ben Mohamed dans la septième et Kamel Elahiar dans la huitième, se sont lancés dans la campagne. Ils commencent à distribuer des tracts sur les marchés ou à la sortie de la mosquée. "Les gens sont heureux de nous voir faire campagne, ils nous disent 'on a besoin d’entendre cette voix parce qu’on ne l’entend jamais' ."
"Islamodiversion"
Les autres partis font de "l'islamodiversion" explique Kamel Elahiar "au lieu d'évoquer les vrais problèmes, la crise économique, l'explosion du chômage et des inégalités, la précarité, les délocalisations, nos dirigeants ne parlent que d'islam !"
Et sur son site internet, le parti raille la France où l’urgence climatique est supplantée par le foulard. "Alors que les températures sont montés à plus de 49°C au Canada (...), voilà-t-il pas qu’en France, nos responsables politiques ont déjà fixé leurs priorités. (...) les discussions se sont largement focalisées sur l’interdiction du Burkini. Pendant que la planète étouffe, ces pyromanes de la république alimentent, eux, le feu d’une nouvelle guerre de religion contre les Français musulmans qu’ils tentent désespérément de civiliser, de museler et de mater."
"Si les citoyens comme moi ne s’engagent pas, le pays prend une direction dangereuse" remarque Khalid Bajjouj, "ces dernières années, on a vécu des atteintes aux libertés fondamentales, contre les gilets jaunes, les anti-vax, on est en train de basculer dans un régime dictatorial. "
Nous ne sommes pas là pour faire le grand remplacement de la République par la charia
UDMF
L'UDMF dénonce, "après l’instauration de l’état d’urgence en France en 2015, la police a procédé à des milliers d’opérations et d’arrestations à domicile à caractère discriminatoire, ciblant principalement des personnes musulmanes. Des policiers ont fait irruption dans des mosquées, enfoncé des portes et parfois menotté des personnes ou pointé des armes à feu sur elles ; certaines étaient visées uniquement sur la base de leurs croyances religieuses."
Violences policières, retraites, urgence climatique, le parti affiche sa volonté de présenter un véritable programme. Khalid Bajjouj propose ainsi aussi de diminuer les rémunérations des élus. "C’est, dit-il, la seule façon de corriger les inégalités. Quand les députés touchent cinq ou six fois le salaire minimum, ils ne peuvent pas comprendre ce que vivent les Français."
"Nous ne sommes pas là pour faire le grand remplacement de la République par la charia " clame le parti sur son site, mais il fustige "un racisme ambiant qui ne dit pas son nom, caché derrière une prétendue défense de la laïcité, mais prospère à l'encontre des femmes musulmanes."
Une femme voilée comme affiche
"Aujourd’hui, poursuit Khalid Bajjouj, les femmes qui décident de porter le voile ne trouvent pas d’emploi. Certaines sont diplômées à Bac +5, mais elles ne trouvent rien. Si on traverse la Manche et qu’on va à Londres, là-bas, dans les bureaux, dans les hôpitaux, il y a des femmes voilées médecins, cadres etc…"
"Tout cela, ce n’est qu’une construction politique, à force de rabâcher que le voile est un problème, cela le devient. Les femmes sont libres de s’habiller comme elles le souhaitent " et affirme haut et fort, "Ne laissez personne vous dicter comment vous habiller et quel prénom porter."
Sur son site, l’Union des Démocrates Musulmans Français signale qu’il y a là un "paradoxe en plein dans la patrie des droits de l’Homme. Car, au final, un état dit démocratique et laïc, interdisant à une élève voilée d’avoir accès à la connaissance, à une nounou portant le voile de garder des enfants, est en total contradiction avec nos valeurs présumées."
"L’islam n’est pas incompatible avec la République "affirme l’UDMF.
Un parti "communautaire" ?
Lors des élections municipales de 2020, les préfectures où le parti avait déposé des listes les avaient qualifiées de "communautaires".
Lors de leur candidature pour les élections régionales de 2021, Thomas Frinault, maître de conférences en Science politique à Rennes, évoquait une transformation dans notre façon de concevoir la politique. "Auparavant, nous avions une démocratie de mandat où l'on ne se posait pas de questions sur les particularités. Aujourd'hui, nous allons vers une démocratie miroir, dans le sens où elle doit refléter la société telle qu'elle est."
"L'apparition de ce type de listes bouscule la tradition républicaine française aveugle aux questions d'origine et de confession. Jusqu'ici, quand des élus incarnaient certaines diversités, ils n'en n'étaient ni les représentants, ni les défenseurs, ils étaient des élus de la République. Aujourd'hui, les candidats de l'UDMF veulent représenter et défendre une population."
Et il s'interrogeait: "Peut on, à la fois, se prétendre laïc et demander l'autorisation du port du voile à l'école ?
Pour ces élections législatives des 12 et 19 juin 2022, l'UDMF présente donc 85 candidats. Il n’en comptait que 10 en 2017. Aucun n’avait été élu. Le parti avait obtenu son meilleur score à Mayotte, 5,1% des voix.
L’an dernier, lors des élections régionales, l'UDMF avait remporté 0,12% des suffrages en Bretagne.