Il n’y a pas si longtemps, les agriculteurs constituaient le gros des troupes des élus. Petit à petit, entre la diminution du nombre d’exploitations et les travaux dans leurs fermes, ils se sont effacés du monde politique. Aujourd’hui, sur les 577 députés sortants, on compte 16 agriculteurs, et seuls 36 sont candidats pour les prochaines législatives.
47 cadres supérieurs, 34 médecins, 38 avocats, 26 professeurs de faculté… et 16 agriculteurs. 16 agriculteurs sur 577 députés.
Depuis 1993, le nombre de députés du monde agricole sur les bancs de l’Assemblée Nationale oscille entre 2,5 et 3%. Dans les années 1950, on comptait encore 12% de paysans députés..
A l’époque, ils représentaient 31% des actifs en France. L’hexagone comptait 2,3 millions de fermes. 72% du territoire était occupé par les terres agricoles. Aujourd’hui, les agriculteurs ne constituent plus que 2,5% des actifs. Le nombre de fermes a chuté, 390 000 fermes, elles ne couvrent plus que 50% du territoire.
4 agriculteurs candidats pour 27 circonscriptions en Bretagne : c'est peu, mais mieux qu'ailleurs
"Nous sommes de moins en moins nombreux", constate Jean-Luc Bourgeaux, député d’Ille-et-Vilaine. "Le nombre d’exploitations ne cesse de diminuer, donc forcément, cela fait moins de candidats possibles."
Pour les prochaines élections législatives, quatre agriculteurs bretons briguent un mandat de député alors que la région abrite 27 circonscriptions. Dans certaines autres régions françaises, il n’y a plus du tout d’agriculteurs candidats.
"Au Conseil départemental", fait aussi remarquer Jean-Luc Bourgeaux, "lors de mon premier mandat, on était 5 ou 6 agriculteurs, Pour mon deuxième mandat, on était deux ou trois. Maintenant, je suis le seul."
L’élu essaye régulièrement de motiver les agriculteurs à s’engager en politique. "Ils me disent qu’ils ne peuvent pas, qu’ils sont débordés", témoigne-t-il. "Les fermes sont de plus en plus grosses, ils ont des emprunts sur le dos, ils n’ont pas une seconde à perdre."
En 2017, Sandrine Le Feur, jeune agricultrice bio dans le Finistère s’est pourtant lancée et a été élue. "En Bretagne, on a encore une culture agricole forte, relativise-t-elle. Il y a encore des agriculteurs investis dans les conseils municipaux ou dans le syndicalisme et c’est important."
"L’agriculture, c’est vital", enchaîne Olivier Allain, producteur de viande bovine dans les Côtes d’Armor et candidat Ensemble (La République en Marche). "C’est notre alimentation, c’est nos paysages, le climat, les emplois. C’est une question essentielle."
Le bon sens paysan
"L’agriculture, c’est un sujet qui revient dans chaque mandature", explique Sandrine Le Feur. "En général, les députés défendent les agriculteurs, mais ils ne savent pas vraiment ce qu’on vit, ils ne connaissent pas les difficultés du métier. Les éleveurs qui ont des vaches doivent les traire tous les jours, et même deux fois par jour. 365 jours par an, le jour de Noël, celui de la Fête des Mères et le 14 juillet."
"Nous, appuie Jean-Luc Bourgeaux, on a les pieds sur terre". Dans sa ferme à Cherrueix, il a vendu ses vaches, ce n’était plus compatible avec son rôle de parlementaire, mais il continue les céréales.
"On est dans les champs. En période de travail de la terre ou au moment des semis, je déjeune avec les ouvriers agricoles à la maison. Dans la cuisine, on parle de leur vie de tous les jours, de leurs enfants, de leurs difficultés. C’est la vraie vie et c’est important de ne pas en être déconnectés quand on doit voter des lois. Il faut garder un lien entre la terre et l’Assemblée Nationale."
"Nous sommes soumis aux aléas économiques, climatiques, sanitaires, cela nous donne une forme d’habitude à parer aux impondérables" ajoute Olivier Allain. "L’Assemblée nationale ne compte pas assez d’agriculteurs, de boulangers, d‘ouvriers."
"C’est pareil pour plein de métiers", constate Sandrine Le Feur. "Les commerçants ont du mal à faire de la politique parce qu’ils pensent à leur clientèle, mais l’Assemblée Nationale doit représenter tous les français. Il faut que la société toute entière soit représentée, les ouvriers, les commerçants, les artisans."
Hervé Le Prince, expert en gestion de crise agricole et agroalimentaire observe qu’il est de plus en plus difficile de mobiliser les agriculteurs sur d’autres terrains que leurs terres, leurs tracteurs et leurs bêtes.
Mais si les données démographies et les heures de travail sont en partie responsables de leur repli, "l’attitude de la société y est peut être aussi pour quelque chose", soulève-t-il. "Quand l’agribashing devient un défouloir sociétal, on comprend que les exploitants n’aient pas très envie de se mettre en avant explique-t-il. La question agricole est très clivante".
Des bottes aux salons dorés du Palais Bourbon
Olivier Allain est élu au Conseil régional de Bretagne. "Quand je me présente comme éleveur, je n’ai pas l’impression que l’on me regarde comme un plouc", explique-t-il. "Il y a vingt ans, il y aurait peut-être eu une forme de condescendance, mais maintenant ce n’est plus du tout le cas, il y a plutôt une forme de respect."
Mais la vie d'agriculteur-élu n'est pas simple. Dès le début de son mandat,, Sandrine Le Feur a dû réduire ses cultures maraichères, de 10 à 2 hectares. Par chance, l’activité parlementaire s’arrête au moment où il faut être très présent dans les cultures pour planter, biner, récolter.
Sur l’exploitation, elle a maintenant des vaches et des moutons, elle a choisi des races rustiques, qui vivent dehors, mangent de l’herbe et lui permettent donc d’aller défendre ses idées dans l’hémicycle.
"Au départ, jeune, femme, agricultrice en bio, ça n’a pas été facile de se faire entendre", convient-elle. "Mais je ne sais pas lequel de ces différents critères me valait des difficultés l"
Nicole Le Peih, députée du Morbihan et candidate à sa réélection pour Ensemble (LREM) a embauché un salarié sur l’exploitation pour la remplacer les jours où elle siège à l’Assemblée Nationale. Avec son mari, elle a un élevage de volailles de plein air et de vaches allaitantes. C’est toute une organisation.
Qui mieux que les agriculteurs pour défendre les agriculteurs ?
Au Palais Bourbon, Nicole Le Peih dit s’être mobilisée pour la Loi Egalim sur la rémunération des agriculteurs. "Partout on voyait des publicités, deux produits achetés, un gratuit. Deux poulets achetés, un gratuit, deux paquets de gâteaux achetés, un gratuit. Si c’est gratuit, ça ne vaut rien assène la députée. Il fallait supprimer cette notion. Ça n’a pas été facile, mais depuis novembre 2018, le gratuit a disparu. Quand on achète du gratuit, on achète du chômage", affirme-t-elle en rappelant qu’un éleveur fait vivre 7 à 8 personnes.
"Quand je vois que dans certaines régions, il n’y a plus d’agriculteurs candidats, je me dis que l’élevage a disparu et qu’il a été remplacé par des exploitations industrielles. C’est triste", déplore Olivier Allain. "La France agricole a des spécificités, l’élevage, la viticulture, l’arboriculture. Il y a tellement de métiers dans notre Métier."
"Avant à l’approche des élections, les agriculteurs étaient choyés, maintenant, dans les débats, on ne parle plus d’agriculture", constate tristement Jean-Luc Bourgeaux.
Les questions agricoles ne concernent pas que les agriculteurs
"L’agriculture, c’est aussi la question du climat, des gaz à effet de serre, c’est une solution pour remplir les objectifs de neutralité carbone" affirme Olivier Allain.
"Nous le réchauffement climatique, on le voit, on voit les cultures qui se décalent dans le temps, on voit les prairies qui souffrent de la chaleur" ajoute Nicole Le Peih. "On peut apporter des solutions. Dans le Morbihan, premier département de légumes de plein champ, on a réduit les consommations d’eau des agriculteurs de 30%."
Sandrine Le Feur, Olivier Allain, Nicole Le Peih et Jean-Luc Bourgeaux se sont donc lancés dans la campagne et espèrent qu’il restera des agriculteurs à l’Assemblée Nationale pour faire entendre leurs voix.