Avec sa crinière blanche et sa canne, Jacques Lucas, 75 ans, nous fait faire le tour du propriétaire. Sa longère, nichée dans la campagne d’Amanlis, en Ille-et-Vilaine, est devenue sa retraite. C’est l’œuvre de sa vie. Une maison qu’il a transformée durant 30 ans.
Entre Art populaire et Art singulier, la bâtisse et son parc regorgent de totems et de sculptures faites de béton. Tout un univers et un savoir-faire d’autodidacte accompli.
A l’entrée du chemin, une sculpture monumentale dressée vers le ciel accueille le visiteur. A côté, un petit muret recouvert de corps de femmes et de spirales. Dans l’allée qui mène vers la maison, d’autres formes, d’autres symboles : comme un livre d’images. Des figures d’animaux, des roues, des cercles…Un lexique universel pour qui se laisse porter par la poésie des lieux.
Jacques Lucas a toujours été attiré par l’art. Petit, il dessine des temples égyptiens et aztèques, il s’entraîne à copier les grands maitres académiques comme Michel Ange. Pendant dix ans, il est chargé par le ministère de la culture de réaliser des dossiers archéologiques sur les chapelles, les ossuaires et les fontaines bretonnes. L’observation de toutes ses œuvres du 17eme siècle et sa passion pour l’art roman, un art sans fioriture, qui s’adresse au peuple, loin du gothique, vont forger ses connaissances.
Une rencontre sera déterminante aussi quand il croise un autre artiste singulier, Robert Tatin, qui en Mayenne prés de Laval à Cossé-le-Vivien, dans les années soixante, commence à construire sa maison de la Frénouse, devenue un musée " environnement d’art ".
Du béton pour créer des décors expressionnistes et décoratifs
Quand il achète sa maison, lui aussi se lance dans l’aventure. Il utilise du béton ou de la chaux aérienne qu’il va sculpter à sa façon, des deux mains, il est ambidextre, en utilisant un épluche légume pour donner vie à ses créations. " J’ai voulu y mettre des éléments dans des décors liés aux murs existants et aussi sur des supports géométriques isolés : c’est un univers de gravures et de sculptures à la fois expressionnistes et décoratives ".
Sa femme, Marie-France, poétesse de métier, met la main à la pâte . Elle se souvient " j’allais chercher les matériaux, je préparais le béton, je portais les seaux à mon mari qui était juché sur des échelles pour atteindre les échafaudages en hauteur ".
La végétation se mèle à la sculpture
Petit à petit, la longère change de visage et se couvre de formes. Un bassin est installé face aux fenêtres, des voutes et des arches sculptées complètent le décor.
Le travail ne doit rien au hasard. Tout est raisonné. L’équilibre des formes est surprenant. Le rapport de forces des voutes est inspirés des bâtiments religieux.Pour Jean-Pierre Mulan, un ami qui fait partie de l’association « la maison sculptée » :
"l’architecture du lieu est de type populaire, singulière, hors norme. C’est une forme d’espace habitat/habitacle. On pénètre à l’intérieur, on suit ses espaces labyrinthiques. Il y a comme un jeu interactif ".
Avec le temps, la nature a fait son œuvre. Par endroit, la mousse, les arbres, les végétaux ont envahi en partie les murs et les sculptures. Le charme opère encore plus. L’artiste et son épouse reçoivent volontiers le public, qui vient parfois du monde entier.