Blessé dans un accident alors qu'il avait 16 ans, Erwan a décidé de se battre pour être un jeune homme comme les autres. Il a perdu l'usage de son bras gauche mais à force de courage et de détermination, il est devenu chauffeur routier. Une leçon de vie.
"Moi je n’embauche pas quelqu’un parce qu’il a un handicap, mais parce qu’il a des qualités et qu'il me plait "commence Jérôme Saudrais, le gérant d’ATF. Ca s'est dit. "Et Erwan, poursuit-il, il est extraordinaire."
La première fois qu’Erwan Gandin s’est présenté à Armoric Transports Frigorifiques pour chercher du travail, il a essuyé un refus. La seconde fois, un autre refus. Alors, il est revenu une troisième !
Car la vie a très vite appris à Erwan qu’il fallait se battre. En octobre 2016, alors qu’il circule sur son scooter, il est percuté par une voiture. Dans le choc, le nerf brachial de son bras gauche est sectionné. "Les chirurgiens appellent cela la maladie du motard, commente Erwan. C'est toujours au même endroit que ça craque." Erwan conserve son bras, mais ne pourra plus jamais s’en servir. Il a tout juste 16 ans.
Un nouveau rêve à bâtir
Le jeune homme commence alors un long parcours de reconstruction : six mois dans le centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape dans le Morbihan puis deux opérations "de six et dix heures" précise-t-il. Et enfin, quatre années de kinésithérapie à raison de trois séances par semaine.
Erwan comprend vite qu’il doit abandonner son premier rêve. "Avec un seul bras valide, je ne pouvais plus devenir chaudronnier. C 'était impossible." Son père est chauffeur routier. Il se voit bien lui aussi "au volant d’un camion, parcourir les routes, aller au-devant des gens."
En 2019, il effectue des tests sur un simulateur puis vérifie qu’il est possible de monter dans une cabine de camion avec un seul bras. Dès qu’il est déclaré apte, il fonce s’inscrire. En quelques mois, il décroche son permis poids lourd, puis son permis super poids lourd.
Il envoie alors ses premières candidatures dans les entreprises de transport. Il téléphone et se déplace. Une fois, puis deux fois.
Chez ATF à Montauban de Bretagne, l’activité est alors bousculée par la Covid-19. Au printemps 2020, ni Jérôme Saudrais, ni personne dans le monde ne sait comment la crise sanitaire va tourner, alors, ce n’est pas le moment d’embaucher.
Perseverare n'est pas toujours diabolicum
Mais à la troisième visite, le gérant est touché par la persévérance du jeune homme. Il le reçoit, l’écoute. Erwan est super motivé, mais Jérôme s’inquiète :
Ce n’est pas un bureau qu’il s’agit d’adapter, mais un camion. Est-ce possible ? Comment ? A quel prix ?
Pendant des mois, Jérôme organise des réunions avec ses clients, des fournisseurs, le médecin du travail, des organismes d’aides aux personnes en situation de handicap.
En aout, un camion tout neuf arrive dans la cour de l’entreprise. Il a été adapté et pensé pour Erwan. Toutes les commandes qui se situaient sur la gauche ont été basculées près du levier de vitesse. Sur le volant, un joystick donne accès à toutes les commandes. Un investissement de 20 000 euros.
Et le 1er septembre, Erwan commence à travailler.
Le bonheur indescriptible d'aller au travail
Avec une vilaine grimace, Erwan se souvient des mois d'attente avant de décrocher ce boulot. Les longues journées passées à la maison. "Je restais derrière les écrans et je me renfermais petit à petit sur mon handicap."
"C’est valorisant de rentrer du travail le soir, explique-t-il le visage radieux, d’avoir des choses à raconter sur sa journée. Ça me donne le sourire et ça redonne goût à la vie."
Le handicap ça forge, ça oblige à aller de l’avant, ça permet de mûrir et puis on relativise certaines choses. Quand j’étais à Kerpape, je me disais, finalement, moi, je n’ai pas grand-chose. Je voyais des gens en fauteuil roulant qui jouaient au basket, faisaient des tas de choses et je me disais, eux, ils ne se plaignent pas, moi, il faut que je me batte.
"Mon père est très fier ajoute-t-il. Il s’est inquiété quand il a vu que les entreprises me fermaient leurs portes, mais avec l’envie on y arrive, il faut toujours persévérer."
Quand un chauffeur est un moteur
Erwan a maintenant des collègues de boulot, des gens qui l’aident pour certaines tâches encore difficiles à accomplir. "L’autre jour, un gars a lavé son camion "souligne, ravi, Jérôme Saudrais. L’arrivée d’Erwan a créé un élan de solidarité dans l’entreprise et même au-delà. "Quand il arrive chez certains clients sur sa tournée, les portes des hangars sont déjà ouvertes pour lui éviter des manutentions. Il y a vraiment des gens prêts à aider partout. Cela met du baume au cœur "témoigne Jérôme."Erwan est un moteur, il nous fait du bien. "
Car le gérant de l’entreprise le sait bien. Cela n’arrive pas qu’aux autres. A un moment de sa vie, Jérôme Saudrais a passé quelques semaines dans un centre de rééducation, "ça marque pour toujours, on n’oublie jamais", dit-il.
J’ai voulu tendre la main, si chacun fait un geste, le monde ira mieux. Nous sommes dans une profession qui cherche de la main d’œuvre, il suffirait d’adapter les postes. On ne sait pas, demain, c'est peut être moi qui aurais besoin, ou un de mes proches, je serais alors heureux que quelqu'un manifeste un peu de solidarité.
Ce 23 septembre, Erwan va rencontrer le préfet d'Ille et Vilaine et des députés bretons pour leur raconter son expérience.
Le moteur du camion ronronne, les kilomètres défilent et Erwan n’en finit pas de sourire et de tirer la langue au destin : hier, la route l’a blessé, aujourd’hui, la route lui redonne le goût de la vie.