Des Rennais photographiés au saut du lit : c’est l’œuvre d’Anne-Cécile Estève. Au total, 49 clichés en noir et blanc ont été disposés un peu partout dans les rues de Rennes. L’occasion d’interroger l’intimité sur la place publique.
Au départ, ce n’était pas un projet professionnel. Anne-Cécile Estève avait l’habitude de photographier amis et famille au petit matin lorsqu’ils étaient de passage chez elle. Derrière son téléphone portable, elle prenait plaisir à capturer ces moments intimes au réveil. Rapidement, la photographe réalise que la tâche n’est pas si simple. "C’était compliqué pour moi comme pour mes proches de montrer une image d’eux tout juste sortis du lit".
Anne-Cécile Estève se lance donc un défi : contraster un visage "hors de contrôle, pas maquillé, pas coiffé" avec un portrait "glamour". Et elle utilise le noir et blanc pour rendre ses portraits, justement, plus "séduisants".
"J’avais l’impression de prendre des photos avant que ces personnes enfilent leur personnalité. Aujourd'hui, on est dans le contrôle de notre image, on montre ce que l’on veut montrer. Et à travers ces clichés, c’était le moyen de montrer leur côté naturel, brut".
Photographier des inconnus au réveil
Si au début, ses proches se prêtent au jeu, elle se tourne rapidement vers d’autres personnes, qu'elle ne connaît pas. Elle les rencontre d’abord autour d’un café, établit un lien de confiance jusqu’au jour J. La veille, Anne-Cécile Estève dort chez ces "inconnus" afin d'être sur place lorsqu'ils ouvriront l'oeil. "De faire ça avec des inconnus, c’est une autre dimension. Accéder à leur intimité, c’était très chouette". Anne-Cécile Estève s’est invitée dans des colocs d’étudiants, chez des agriculteurs, chez des femmes seules, des retraités…"Au niveau de la rencontre, c’était très fort".
J’avais l’impression de partir en voyage tous les soirs. J’avais mon sac à dos, avec ma trousse de toilettes, mes chaussons.. C’était un voyage humain, une découverte quotidienne.
Les rencontres diffèrent, mais le protocole reste le même. Tous, ont la même consigne. Dès que le réveil sonne, ils doivent se rendre directement devant l’objectif, sans se poser de questions, sans passer par la salle de bain. Le processus de réveil doit se faire devant l’appareil photo.
À quoi ressemblons-nous au réveil ? 49 portraits noir et blanc sont affichés un peu partout dans #Rennes, des photos prises au saut du lit ! Une exposition réalisée par le festival @tombeesdelanuit pic.twitter.com/yAAS0YjO6h
— France 3 Bretagne (@france3Bretagne) March 28, 2021
"C’était très intime comme moment, très charnel. Au réveil, on se touche beaucoup, on se gratte, l’esprit n’est pas encore là. C’est une expression du corps qui est sublime".
La photographe leur demande aussi de ne jamais regarder l’objectif. Cette consigne permet de couper le lien entre eux. "Quand on est photographié, on essaye toujours de plaire. Là ce n’était pas le cas".
Entre sommeil et éveil
Ce moment de "lâcher prise", de "fragilité", Anne-Cécile Estève l’apparente à la métamorphose. Ce terme l’inspire d’ailleurs pour le titre de son projet, qu’elle intitule "Métamorphées", un mélange entre "métamorphose" et "Morphée", le dieu grec des rêves. "On passe de l’état de sommeil à l’état d’éveil avec l’esprit encore endormi et le corps qui prend le dessus".
Depuis le 22 mars, ces œuvres sont exposées sur 71 panneaux, majoritairement sur des abris bus, dans les rues de Rennes. Pour les découvrir, "Tombées de la nuit" propose un parcours vélo pour se déplacer de photos en photos. Ces clichés seront affichés jusqu’au 4 avril prochain.