C’est LE sujet des prochaines élections municipales à Rennes : la densification urbaine ou comment faire vivre davantage de population dans un même espace urbain. Les villes s’étalent et dévorent désormais les campagnes.
Densifier, construire des tours là où il y avait une maison avec jardin, plutôt qu’imperméabiliser de nouvelles terres et grignoter des terres agricoles, des zones humides. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est devenu inévitable en Bretagne car la région perd déjà l’équivalent de neuf terrains de football par jour. Et la tendance est à la hausse : +0,76% par an.
Pour les élus, densifier est donc le fer de lance d’une bonne politique de développement durable de la ville, le seul moyen pour lutter contre l’artificialisation des terres agricoles, l’étalement urbain.
Une densification mal vécue
Mais ces derniers mois, de nombreuses voix se sont élevées pour dire "trop, c’est trop !". Des habitants du centre-ville et des quartiers rassemblés en associations ou collectifs pour dénoncer la bétonisation de leur cité comme un écueil sur lequel se briseraient leur qualité de vie, l’identité de leur ville et son harmonie. Beaucoup pointent les pelleteuses devenues une constante du paysage rennais et l’appétit vorace des promoteurs immobiliers.
Il est vrai que ces dix dernières années, pour accueillir de nouveaux habitants, la capitale bretonne s’est transformée – une tendance accentuée avec l’arrivée de la ligne à grand vitesse - en chantier permanent. Un peu partout dans la ville fleurissent des immeubles neufs, de nouveaux quartiers. Une métamorphose fulgurante de la métropole pour répondre à un enjeu de taille : accueillir 70 000 habitants– l’équivalent d’une ville comme Quimper - d’ici 2040.
"Le plan local d’habitat prévoit la construction de 4 600 logements par an à Rennes", précise Nicolas Verpeaux. Le président de la fédération des promoteurs immobiliers rennais cite le quartier de l’ancienne brasserie quartier Saint-Hélier comme un exemple de rénovation et de densification urbaine réussie. "La densité est un faux débat, se défend-t-il, on a de grandes densités dans le centre-ville historique de Rennes et ça ne gêne pas outre mesure. Ici, par exemple, on n’a pas eu besoin d’imperméabiliser de nouveaux sols, c’est harmonieux et on peut accueillir toutes les populations. L’enjeu est à la fois sociétal – la mixité sociale - et environnemental".
Ces arguments, Louise Blin et Michel Coignard ont du mal à les entendre. Membre et président de l’Association des amis du patrimoine rennais, ils se battent depuis 16 ans pour tenter de sauver de la pelleteuse des bâtiments qui racontent l’histoire de Rennes mais qui ne sont pas assez prestigieux pour être classés aux Monuments historiques : le restaurant Lecoq-Gadby où se retrouvaient les défenseurs du capitaine Dreyfus pendant son procès, le quartier des cadets de Bretagne ou encore la Folie Guillemot, la demeure du fondateur des Nouvelles Galeries de Rennes. La liste est longue.
"On a surtout alerté parce qu’on a pas sauvé grand-chose…mais c’est vraiment le pot de fer contre le pot de terre", regrette Michel Coignard. Rennes serait en passe de perdre son charme, son âme aussi. Louise Blin voit d’un mauvais œil sa ville grossir au détriment des autres villes bretonnes : "Rennes risque de faire ce que Paris a fait : la pompe qui videra la Bretagne ! On tourne le dos à la péninsule."
Rennes et le désert breton, Rennes et le béton roi
La rue de l'Alma avec ses alignements d'immeubles de quatre à cinqs étages, aux couleurs bigarrées en lieu et place des petites maisons avec jardin est devenu l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. C'est le cauchemar des habitants du boulevard Albert 1er. Dans ce quartier au sud de Rennes, la résistance s'organise. Il y a quelques mois, Céline et son mari ont reçu des offres alléchantes de promoteurs immobiliers pour vendre leur maison acquise il y a moins de trois ans. Ils ont creusé et découvert dans le plan local d’urbanisme (PLU) que tout le quartier était menacé par la construction d’un immeuble de sept étages d’habitations.
Deux collectifs d'habitants – Saint-Yves et Albert 1er - se sont créés dans le quartier, avec un même objectif : obtenir la révision du PLU qui définit les règles de construction, encadre l'avenir de la ville et le bien-être de ses habitants. Devant leurs maisons Les banderoles ont fleuri et la grogne monte : "la mairie jette les quartiers en pâture aux promoteurs", s’agace l’un d’entre eux.
Comme résoudre cette équation difficile : reconstruire la ville sur elle-même et répondre à toutes les attentes ? Pour Guy Baudelle, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes 2, il est peut-être temps de briser un tabou : desserrer la plus belle ceinture verte de France : "Est-ce qu’il faut garder ou pas ? Urbaniser en partie. Il y a un compromis à trouver pour réduire l’étalement urbain et la dépendance à la voiture." L’auréole de nature inconstructible autour de Rennes desservie par des rocades est un modèle de développement durable. Elle présente l’avantage d’offrir la ville à la campagne - le rêve de tous les français - et un gros inconvénient : une congestion urbaine très forte.