Dans son analyse du cas d'une enfant violée chez ses parents, près de Rennes, de 2005 à 2012, le Défenseur des droits met en évidence les nombreuses défaillances d'acteurs socio-éducatifs et judiciaires "qui n’ont pas su faire montre de la clairvoyance que l’on doit aux enfants".
"Les facteurs de vulnérabilité et de fragilité de la famille ainsi que les éléments caractérisant une mise en danger de l'enfant ont été sous-estimés à la fois par l'autorité judiciaire, et les services sociaux et éducatifs". C'est l'amer constat que fait le Défenseur des droits dans ce rapport de 39 pages devenu public ce mardi 4 juin 2019.
"C'est un soulagement pour nous, parce que c'est ce que l'on dénonce depuis plusieurs années", a réagi Maitre Grégory Thuan l'avocat de la victime, sa tante, son oncle ainsi que deux associations de protection de l'enfance. "Les équipes du Défenseur des droits, qui est une autorité administrative indépendante, ont pris le temps de tout décortiquer pour pointer du doigt tous les dysfonctionnements. Ils prouvent que tout le monde est coupable !"
Un document crucial pour un éventuel procès en appel
"On a une mère complètement défaillante… Quatorze rapports, alertes ou signalements, procédures devant le juge des enfants classés… Des rapports de police sans suite… Avec ensuite la réponse : circulez il n'y a rien à voir", dénonce l'avocat qui compte présenter ce rapport à la Cour d'appel de Paris, maintenant qu'il est public.
En septembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de Paris n'avait en effet retenu contre l'Etat "que" le deni de justice, jugeant l'action pour "faute lourde" prescrite. "Il n'y a pas ici de presciption ! rétorque l'avocat qui avait fait appel très rapidement. Lui, qui s'appuyait à l'époque sur la dizaine de signalements restés sans réponse, espère bien aujourd'hui pouvoir à nouveau plaider courant 2020, en prenant pour preuve de poids, le rapport affligeant du Défenseur des droits.
Le violeur avait été condamné à 30 ans de réclusion par la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine en juillet 2018
Dans son rapport, le Défenseur des droits, qui avait saisi en 2013 par la tante de Karine Jambu, revient sur l'histoire de cette jeune femme, aujourd'hui âgée de 22 ans. Elle avait été violée et agressée sexuellement dans son enfance à l'âge de 5 ans et durant les 3 ans qui ont suivi. Le violeur était hébergé chez ses parents, lesquels connaissaient pourtant ses antécédents pédophiles.
L'État avait été à son tour condamné pour déni de justice
Placée chez son oncle et sa tante en 2010, la victime, Karine, avait en 2016 attaqué l'État pour faute lourde car la dizaine de signalements au parquet de Rennes, effectués dès sa naissance par les médecins, l'école ou encore les services sociaux étaient restés sans réponse.
Le Défenseur des droits rappelle que la mère de Karine avait assassiné son premier enfant, né d'un viol, 14 ans plus tôt, un crime pour lequel elle avait passé cinq ans derrière les barreaux.
Si le Tribunal de Grande Instance de Paris avait jugé que l'action pour faute lourde était prescrite, l'État avait été condamné à lui verser 12 000 euros en réparation du préjudice subi au titre du déni de justice.
Malgré la gravité des signaux d'alerte, des intervenants socioéducatifs, judiciaires et policiers sont restés aveugles
"[Karine] a été victime de viols et d'agressions sexuelles alors qu'elle n'était âgée que de cinq ans, lesquels se sont poursuivis sur une période de presque trois années. Durant cette période, la famille a été suivie par des travailleurs sociaux, qui n'ont pas su déceler la gravité de sa situation. [Karine] n'a pas été protégée", dénonce le Défenseur des droits.
Elle montrait pourtant à l'époque "un comportement inquiétant" : "maux de ventre et pleurs au moment d'uriner, masturbation en présence d'autres enfants, pauvreté du langage, amaigrissement..." et "pratiquait des fellations" sur des enfants de son âge, selon un signalement de 2003.
Selon l'auteur du rapport, l'analyse de sa situation, met "en évidence a postériori de nombreuses défaillances de la part des intervenants socioéducatifs, judiciaires et policiers, qui n'ont pas su faire montre de la clairvoyance que l'on doit aux enfants".
Il évoque notamment la non-prise en compte "des événements dramatiques du passé de sa mère, ou du danger potentiel de la présence au domicile familial d'un homme condamné à plusieurs reprises pour pédophilie". Malgré "la gravité des signaux d'alerte" ils n'ont pas suffit à déclencher l'action des professionnels.
"La petite [Karine] n'a rencontré qu'une unique fois, seule, le travailleur social chargé de la mesure d'action éducative en milieu ouvert la concernant.
Durant toutes ces années, elle n'a jamais rencontré de juge des enfants. Sa parole, quand elle a été questionnée dans le cadre de l'enquête judiciaire sur des faits d'agression sexuelle à enfants, n'a pas été considérée de manière adaptée et approfondie", ajoute le rapport.
Dans ses conclusions le Défenseur des droits "demeure très préoccupé des situations dramatiques à côté desquelles les services publics continuent à passer et du nombre de mesures de protection de l’enfance qui, même lorsqu’elles sont ordonnées, demeurent non effectives."
Son rapport a été remis aux différents ministères concernés, qui devraient maintenant tenir compte de ses alertes et recommandations. Objectif : éviter de nouveaux dysfonctionnements.