De l'Afghanistan au G8 de Gênes en 2001 en passant par la décennie noire algérienne, Frédéric Paulin tente dans d'ambitieux polars "géopolitiques" de se frotter à l'Histoire récente. Rencontre avec l'auteur rennais, qui avant de vivre des "romans qu'il voulait écrire", a eu "du mal à joindre les deux bouts".
Le 13 novembre 2015, sous le choc des attentats, des amis lui font part de leur incompréhension face à l'indicible. "En France, on a un problème: il nous faut beaucoup de temps pour avoir un retour sur notre Histoire, regardez la colonisation ou l'Algérie. Or, le roman peut permettre de dire quelque chose sur l'Histoire", même récente, explique l'auteur de 49 ans du haut de son 1,94 m.
Aussi Frédéric Paulin se lance-t-il dans une fresque ambitieuse, de plus de 1.000 pages, en trois polars (La guerre est une ruse, Prémices de la chute, La fabrique de la terreur). Il narre vingt années de terrorisme français et international à travers son héros, l'agent de la DGSE Tedj Benlazar, où l'on croise Khaled Kelkal, Mohamed Merah ou Salah Abdeslam. L'œuvre a raflé huit distinctions dont le prestigieux prix de la littérature policière en 2020.
Une reconnaissance pour cet homme né en 1972 qui a grandi en région parisienne, à Bussy-Saint-Georges, alors un village enclavé. A vingt ans, il suit ses parents en Bretagne, à Rennes, son père étant embauché à l'usine PSA.
Inscrit en droit, il fréquente "plus les bars que les amphis" et se lance dans une thèse sur la gauche extra parlementaire post-mai 1968, jamais achevée mais qui lui donne "l'amour des notes des bas de pages".
Proche de l'extrême gauche, il se rend en juillet 2001 à Gênes pour le G8 pour participer à la grande manifestation anti-mondialiste qui attire 200.000 protestataires. Il assiste aux violences qui font un mort et 500 blessés. Il en repart "complètement cabossé", avec des "crises d'angoisse", et prend un anti-dépresseur.
"Je n'avais pas pris de coups mais j'avais des images", dit-il, toujours marqué. Quelques semaines plus tard, le 11 septembre bouleverse le monde et "ça ne sert plus à rien de parler de Gênes", lâche-t-il.
"un angoissé qui avance"
En forme de thérapie, La nuit tombée sur nos âmes, sorti en septembre chez son éditeur Agullo, permet de témoigner par le biais de la fiction sur "ce qui s'est vraiment passé" à Gênes, explique ce père de deux filles qui vit à Montreuil-sur-Ille, près de Rennes, "toujours en analyse".
Glabre, il arbore deux impressionnants tatouages aux avant-bras "Meat is murder" et "Future is unwritten".
Frédéric Paulin est "un angoissé qui avance et qui a des convictions chevillées au corps", note Gaëlle Rougier, adjointe à l'éducation de la ville de Rennes, rencontrée quand il a participé à la campagne municipale des Verts en 2014.
"La colère, je la mets dans mes romans", explique cet admirateur de Greta Thunberg. "Je ne suis pas un décroissant mais je sais que ça va merder rapidement", lâche cet anxieux, dont les prochains récits devraient s'intéresser à la classe ouvrière.
Profondément marqué par le chef d'oeuvre La griffe du chien de Don Winslow, Frédéric Paulin s'emploie à "blinder l'histoire avec un grand H".
"Il est allé sur un terrain qui a toujours intéressé le roman noir, des questions de terrorisme, de conflits internationaux, de violences politiques, mais il est arrivé à donner beaucoup de chair à ces sujets. Sa sensibilité, son humanité, rejaillissent dans une œuvre très complexe et ambitieuse qui est aussi très incarnée", note la critique littéraire Elise Lépine, estimant qu'il fait partie "de la nouvelle garde du polar français".
Si Frédéric Paulin vit désormais de sa plume et goûte à la reconnaissance du public (environ 70.000 exemplaires vendus pour la trilogie Benlazar), il a eu "parfois du mal à joindre les deux bouts", note l'écrivain et ami Hervé Commère. "Il n'a pas baissé la garde et a continué à écrire les romans qu'il voulait écrire".