"Aujourd’hui ce n'est pas rare de voir un ou une collègue pleurer au travail, c'est bien que quelque chose ne va pas." C'est une première en France, les soignants des services de réanimation montent au créneau. Un infirmier dénonce ses conditions de travail physiques et psychologiques.
Toujours dans l'ombre, les soignants des services de réanimation sont sur le front depuis plus an. La crise sanitaire a révélé les difficultés qui minent ces services hospitaliers de haute technicité.
Entre leurs journées de 13 heures, les week-ends travaillés, les réquisitions, ils trouvent difficilement le temps pour quitter leurs postes et exprimer leur colère.
Par peur des représailles de leur direction, leurs témoignages sont rares et souvent anonymes, comme celui de cet infirmier, que nous appelerons Benoît, qui travaille au centre hospitalier de Rennes.
Pourtant à l'abri des regards, dans la bulle aseptisée de son service, c'est bien lui qui prend en charge les patients dont le pronostic vital est engagé (état de choc, comas, insuffisance respiratoire...).
La crise du covid à mis en lumière les failles du système et les nombreuses années de coupe budgétaire dans le système de soins. Créer des lits de réanimation c'est facile, presque un effet d'annonce, par contre trouver du personnel qualifié c'est beaucoup plus compliqué. Aujourd'hui la fatigue physique et surtout psychologique ont pris le dessus par rapport au métier à la vocation.
Presque 1 personne sur 3 décède aujourd'hui dans nos services, c'est dur. Les conditions psychologiques sont devenues très difficiles.
Ces derniers temps, estime Benoît, un prénom d'emprunt, "le taux de décès en réanimation est passé de 20-30 % à 30-40% toutes causes confondues, soit une personne sur 3, c'est dur psychologiquement". Des drames qu'il gère quotidiennement et auxquels en général personne n'est préparé. Ni le patient, ni la famille.
"Il y a une brutalité à gérer ces prise en charge très particulière (suicide, maladie grave, accident de la route, crise du covid...)" explique Benoît, "quand vous avez quelqu'un de 40 ans qui décède après 3 jours d'hospitalisation, le côté soudain est très éprouvant pour la famille. Tout cet aspect psychologique du métier n'est pas pris en compte, ce n'est pas palpable. On le sait, mais quand vous voyez certains de vos collègues pleurer et que cela devient une habitude, c'est bien que quelque chose ne va pas. Pourtant on nous en demande toujours plus" nous confie-t-il.
Ce mardi, lors de la manifestation nationale, c'est tout une partie du personnel de réanimation de France qui dénoncera ses conditions de travail, une première dans l'histoire de la réanimation. Une histoire qui a débuté il y a une cinquantaine d'années.
Physiquement on nous tire dessus, on fait des journées de 13 heures, ce qui n'est pas légal, on est épuisés
Les soignants de réanimation utilisent du matériel de pointe très performant, pour aider ceux dont la vie est en danger immédiat. Il s'agit de maintenir les fonctions vitales des patients grâce à des respirateurs pour assurer une ventilation mécanique, ou toutes autres techniques de soins, souvent invasives (transfusion de dérivés sanguins, pose de cathéters aux niveaux des artères, remplissage vasculaire,...).
C'est une attention de tous les instants, une véritable responsabilité avec du stress et une charge de travail très conséquente. Il faut savoir agir vite et bien
Les journées de travail de Benoît s'étalent sur 12 heures consécutives, avec une pause repas. Mais dans ces services qui fonctionnent 24H/24 cet infirmier travaille réellement13 heures par jour, ce qui n'est pas légal.
L'heure supplémentaire, la 13éme heure, celle où nous transmettons l'état de santé des patients à nos collègues qui prennent le relais, n'est ni comptée ni payée. Alors si on vous rajoute une charge de travail et de stress, comme c'est le cas en ce moment, cela vous amène à travailler dans des conditions extrêmement pénibles et usantes. C'est dangereux pour les patients et pour nous.
"Côté vie de famille je ne vous en parle pas...entre nos vacances annulées régulièrement, les réquisitions de dernière minute en fonction des besoins, c'est devenu épuisant" témoigne Benoît. Pourtant, les contraintes de ce métier, ils les connaissent. "On a l'habitude de travailler les week-ends, les jours fériés...mais là."
La fatigue physique et psychologique a pris le dessus par rapport au métier et à la vocation. Il y a beaucoup d'arrêt de travail en ce moment, des arrêts pour fatigue émotionnelle et physique.
Un statut reconnu par le président Macron, mais pas suivi d'effet
Qu'ils soient aide-soignant, infirmier, kiné ou agent de service hospitalier, le personnel hospitalier des services de réanimations ne comprend pas pourquoi ils ne peuvent pas accéder à un statut particulier. Au même titre que les infirmiers anesthésistes, par exemple, qui se forment pendant deux ans.
"En réanimation tout se joue après le diplôme d'infirmier" nous confirme Benoît, "nous n'avons pas de formation particulière, on apprend sur le tas, c'est long. Il faut un an pour avoir tout vu dans un service de réa, mais pour tout maîtriser, il faut deux à trois ans, en fonction des capacités de chacun."
"Le Président, le 28 octobre 2020 a parlé d'un statut pour le personnel en réa. Or il n'existe pas, pourquoi? Nous on estime, et la crise sanitaire l'a prouvé, que cette technicité mérite une reconnaissance particulière. Dans les faits c'est vrai que nous manifestons rarement, car nous sommes obligés de continuer à travailler, nous sommes réquisitionnés, il est donc difficile pour nous de participer aux discussions" rappelle-t-il.
Créer des lits de réanimation c'est facile, trouver du personnel qualifié c'est autre chose.
Au C.H.U de Rennes, avant la crise, il y avait deux grands services de réanimation. Avec la crise sanitaire le nombre de patients admis a augmenté. Un nouveau service de réanimation a donc été créé. Dans ce nouveau service, des patients qui ne sont pas atteints du Covid ont été placés.
"Si vous disposez de respirateurs, la création de nouveaux lits n'est pas ce qu'il y a de plus compliquée" estime Benoît, "le problème est qu'il faut trouver du personnel qualifié pour pouvoir intervenir dans ces services. Or le personnel fait défaut. On nous a bien envoyé des renforts, mais ces renforts manquent de compétences techniques, ce qui est logique : ils n'ont pas été formés à cette spécificité".
On s'est rendu compte que ces personnes manquaient de formation. Donc sur le papier et dans les discours cela fait très joli...mais dans la réalité c'est un échec et même un poids parfois. Car en plus de son travail il faut former ces nouveaux soignants sur le tas, comme nous l'avons été, mais jamais dans de telles conditions sanitaires
Pour Benoît, il est urgent de se pencher sur un statut particulier pour le personnel de réanimation. Et augmenter le nombre de formations, "et arrêter de bricoler, en réquisitionnant un personnel à bout, à chaque crise".
Une gestion à la petite semaine pour faire des économies
Pour Benoît, c'est une gestion comptable "à la petite semaine" qui est montrée du doigt. "Dès que des lits se libèrent, on nous téléphone pour nous dire de ne pas venir travailler, cela dans une logique financière. Et si il y a des entrées, on nous réquisitionne, comme cela nous ne sommes jamais payé pour être d'astreinte" explique-t-il.
Un salaire de 1500 euros à 2400 euros en fin de carrière.
Coté salaire, c'est assez simple explique Benoît: avant le Ségur sur la santé un infirmier commençait à 1500 euros net par mois après trois ans d'études post le bac. Après le Ségur son salaire est passé à 1700 euros. En fin de carrière il gagne 2400 euros. Les infirmiers anesthésistes gagnent eux 200 à 300 euros de plus.
Un argument presque marginal, au vu des propos de Benoît, qui le poussera lui et ses collègues à se mobiliser ce mardi 11 mai dans le cadre d'une journée d'action nationale.