Le parquet a transmis, ce vendredi 12 février, des réquisitions en faveur d'un non-lieu, au magistrat qui instruit l'affaire Babacar Gueye. Le jeune Sénégalais est mort en décembre 2015 dans un immeuble de Rennes, au cours d'une intervention de la police.
Le procureur de la République a annoncé dans un communiqué, ce samedi 13 février, avoir transmis les réquisitions du parquet de Rennes au juge instructeur en charge de l'affaire de la mort de Babacar Gueye. "Il s'agit de réquisitions tendant au prononcé d'un non-lieu à suivre concernant le policier auteur des coups de feu mortels qui a agi en état de légitime défense."
Une ordonnance du juge d'instruction attendue dans les prochaines semaines
Charge désormais au juge d'instruction de décider des suites judiciaires de cette affaire, traitée jusqu'ici par l'enquête faisant suite à l'ouverture d'une information judiciaire contre X du chef d'homicide volontaire. Et le parquet de Rennes de préciser: "Il appartient désormais au magistrat instructeur, éclairé notamment par les observations éventuelles de la partie civile et du policier placé sous le statut de témoin assisté, de rendre dans les prochaines semaines une ordonnance qui viendra clôturer l'information judiciaire."
Mortellement touché par une balle
Il est établi que Babacar Gueye, âgé de 27 ans, a été tué par l'une des balles tirées par un policier qui se sentait menacé, face à cet homme armé d'un couteau et dans état de délire. Un état délirant qui avait poussé le couple hébergeant le jeune homme à appeler les secours, en contactant le service des pompiers.
La soeur du jeune homme, Awa Gueye, et un collectif intitulé "Justice et vérité pour Babacar", estiment quant à eux que Babacar Gueye a été victime d'une bavure policière.
"Souci de transparence"
A titre exceptionnel, le procureur de la République a souhaité rendre public, ce samedi 13 février, les éléments de l'enquête qui, d'après ses services, poussent à conclure à un non-lieu.
"Ce décès ayant eu, légitimement, un écho important, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires comme le prévoit l'article 11 du code de procédure pénale et dans un souci de parfaite transparence, le parquet de Rennes a fait le choix, à titre exceptionnel, de communiquer les éléments justifiant, du point de vue du ministère public, le prononcé d'un non-lieu à suivre tels que figurant dans le réquisitoire définitif "
Les faits établis par l'enquête
"Le 3 décembre 2015, peu après 4h15, les effectifs du commissariat de police de Rennes étaient requis pour intervenir au 1, rue Guy Ropartz à Rennes pour un individu très agité venant de blesser une personne. Arrivés sur le palier de l'appartement dans lequel il se trouvait, au septième étage d'un immeuble, les effectifs de police étaient menacés par cet individu porteur d'un couteau. Il poursuivait notamment un fonctionnaire de police jusqu'au 9ème et dernier étage de l'immeuble. Ce dernier faisait usage de son arme à feu à plusieurs reprises. L'individu, identifié ultérieurement comme étant Babacar GUEYE né le 6 avril 1988 au Sénégal, succombait des suites de ses blessures le jour même. La personne, Gabriel G, qui l'hébergeait, initialement blessée par ce dernier et ayant contacté les secours, était identifiée."
Les motivations du parquet en faveur d'un non-lieu
"L'article 122-5 du code pénal énonce que « n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ». Dès lors, la loi impose, pour que la légitime défense soit retenue, que l'acte intervenant en réponse à une atteinte injustifiée soit concomitant, nécessaire et proportionné.
Sur la situation lors de l'arrivée des policiers :
En l'espèce, il apparaît à l'issue de l'instruction que les secours ont été appelés à 4h10mn35s pour une personne se scarifiant les abdominaux avec un couteau et ayant blessé le requérant avec cette même arme. Lors de l'appel téléphonique de ce dernier aux secours, une particulière agitation autour de l'appelant est audible et des cris sont proférés.
Les forces de l'ordre sont requises par les services de secours le jour même à 4h17mn45s et sont informées d'une particulière agressivité de l'individu, tant pour lui même que pour autrui.
Sur place, 7 policiers sur les 8 présents déclarent avoir vu Babacar GUEYE armé d'un couteau, étant précisé que le 8ème, qui est le plus en retrait de tous dans le bas de la cage d'escaliers, indique avoir entendu ses collègues dire « lâche ton couteau ». Ces déclarations sont confirmées par celles de Gabriel . De même, les 6 policiers ayant été les plus proches de Babacar GUEYE dans la cage d'escalier ou dans l'appartement ainsi que Gabriel G sont formels pour dire que Babacar GUEYE présentait des scarifications, qui devaient effectivement être constatées lors de l'autopsie. La plupart de ces 6 policiers précisent même avoir vu ce dernier apposer la pointe de sa lame sur son torse ou son abdomen. Enfin, tous les policiers se trouvant au niveau de la porte d'entrée de l'appartement ou dans celui-ci, autrement dit à proximité immédiate de Gabriel G, affirment avoir vu Babacar GUEYE menacer avec son arme ce dernier, par ailleurs déjà blessé au bras comme celui-ci l'a indiqué lors de son appel aux services de secours. La photographie prise lors de la reconstitution et présentant Babacar GUEYE brandissant son arme en direction de Gabriel G est éloquente sur ce point.
De même, les policiers comme Gabriel G ou son épouse insistent par ailleurs sur l'état apparent de transe, de démence ou d'hyper-excitation de Babacar GUEYE. Gabriel G énonce notamment que Babacar GUEYE « n'était plus lui même » et son précise qu'il lui « semblait comme en transe » et qu'elle garde « comme dernière image, l'image d'un homme, en pleine démence, en pleine crise dont personne ne pouvait raisonner ».
Cet état psychique lors des faits paraît lié à la résurgence d'un souvenir traumatique de l'enfance, comme en atteste l'ensemble des auditions des personnes ayant reçu les confidences de Babacar GUEYE peu de temps avant son décès, selon lesquelles il aurait subi il y a plusieurs années, à Dakar, une agression sexuelle de la part de son beau-frère, qui devait contester par ailleurs cette accusation. Ce souvenir aurait été réactivé par la rencontre fortuite que Babacar GUEYE avait faite à Nantes seulement deux jours auparavant d'une personne concernée par cette agression.
L'expert psychiatre ayant examiné le dossier médical de Babacar GUEYE et eu connaissance de pièces de la présente procédure conclut à un « état psychotique aigu » ou « bouffée délirante aiguë » spontané ou induit par la consommations de substances toxiques du sujet lors des faits.
L'expertise toxicologique rapporte sur ce dernier point que les urines de Babacar GUEYE contenaient la présence de dérivés de cannabis, bien que toute imprégnation alcoolique lors des faits soit exclue."