La journaliste et documentariste Anne Gouérou s'est intéressée à l'inégalité entre sexes, dans tous les domaines. Elle en a fait une série de courts-métrages diffusés tous les dimanches dans Bali Breizh sur France 3 Bretagne. Ce troisième épisode aborde cette thématique sous l'angle de l'urbanisme. Elle suit le projet de rénovation d'un quartier populaire de Lorient.
Anne Gouérou est journaliste et s'intéresse particulièrement à l'inégalité des sexes. Dans la série intitulée Reizh Direizh qu'elle vient de réaliser, elle aborde cette thématique, à différents âges de la vie, de la petite enfance à l'âge adulte, et dans différents domaines, du sport à l'urbanisme en passant par la musique.
Chaque semaine dans Bali Breizh sur France 3 Bretagne
Les courts métrages d'Anne Gouérou sont diffusés chaque dimanche à 9h55 dans l'émission en langue bretonne Bali Breizh sur France 3 Bretagne.
Nous les publions également chaque semaine ici, sur notre site. Ils sont accompagnés d'une explication de l'auteure sur son travail et son constat.
Ce troisième épisode s'intéresse au "renouveau de l'urbanisme", sous l'angle de l'égalité des sexes.
Ces dernières années, élus et urbanistes travaillent en effet pour mieux prendre en compte la mixité, dans toutes ses dimensions, lors d’opérations de rénovation urbaine. C’est le cas à Lorient où la ville travaille à la rénovation du quartier de Kervenanec. En compagnie de femmes de ce quartier populaire, les urbanistes recueillent de précieuses informations à l'occasion d'une marche exploratoire.
Le mot de l'auteure :
"S'il y a bien un domaine dans lequel la place des femmes n'était que rarement questionnée jusqu'aux années 2010, c'est celui de l'urbanisme. Des inégalités de genre se glisseraient-elles dans l'aménagement des villes ? Mais que vont-elles chercher là ?
Pourtant, quand les urbanistes ont commencé à chausser des lunettes de genre, ils ont découvert que nos villes sont construites, depuis toujours, par les hommes… pour les hommes ! Ainsi, ils sont les usagers écrasants des équipements sportifs et de loisirs, en particulier des terrains de foot, rugby, roller parcs et autres City-stades, captant au passage, non seulement, les espaces, mais aussi les budgets des collectivités.
Par ailleurs, les études sociologiques montrent qu'hommes et femmes ne se déplacent pas
en ville de la même manière. Des comptages genrés de certains axes de circulations piétons peuvent fournir des statistiques montrant des cloisonnements d’une ampleur surprenante. Côté transports en commun, les usagers sont davantage des usagères. Tandis que l'on constate que ces usagères délaissent plus facilement le vélo, peut-être par manque de pistes sécurisées, parce qu’elles font moins de sport, mais aussi parce que ce sont elles qui continuent à s’occuper du transport des enfants (école/loisirs/santé) et des courses.
Ce faisant, elles comprennent mieux, poussettes ou caddies obligent, un certain nombre des difficultés vécues par les personnes à mobilité réduite en ville. Parce que les questions de sécurité sont plus aiguës pour elles, la politique d’éclairage, le choix de l’emplacement des arrêts d’autobus, la qualité de la signalisation, la situation des équipements de loisirs sont des facteurs qui peuvent les impacter davantage. À partir de 13-14 ans, on mesure une baisse de fréquentation des centres socioculturels par les filles, qui sont moins nombreuses aussi dans l’espace public."
Un usage différent
"Le constat le plus partagé pourrait se résumer à une phrase : si les hommes « occupent » l'espace public, on peut dire que les femmes « s'y occupent ». C'est même la première caractéristique que nous cite Tristan Le Nedellec, urbaniste à la Ville de Lorient, et qu'illustrent bien les cartes de déplacement comparées : les femmes ont un usage de la ville lié à leurs activités. Elles vont au travail, accompagnent les enfants ou les personnes âgées, font les courses, se déplacent pour des soins, les leurs ou ceux de leurs proches… Alors que la majorité des hommes, en dehors des temps professionnels, utilisent la ville essentiellement pour leurs loisirs : sports, jeux, cafés… Eux n'ont pas
peur de s'arrêter : ils sont plus nombreux à occuper les bancs, les bas des immeubles, les terrasses".
Les choses changent
"Heureusement, les choses changent ! Depuis 2014, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a introduit l'égalité entre les femmes et les hommes dans ses objectifs. Les études se sont multipliées, en particulier pour accompagner les rénovations urbaines dans les quartiers sensibles. En effet, les femmes qui y vivent cumulent souvent les difficultés sociales : des salaires faibles, des temps partiels, choisis ou non, des situations de vies monoparentales qui appauvrissent… Désormais, les
urbanistes cherchent à mieux répondre à leurs besoins en cherchant à recueillir leurs paroles avant de concevoir et de rénover les quartiers."
"C'est ainsi que l'équipe de tournage a suivi une « marche exploratoire » organisée par Tristan Le Nedellec, chargé du renouvellement urbain du quartier NPRNU* de Kervenanec à Lorient. Avec la complicité de la Maison pour Tous du quartier, très impliquée sur cette problématique, et celle de Magali Lefebvre, chargée du service « proximité et vie citoyenne » à la ville de Lorient, il a mobilisé une douzaine de femmes du quartier. Certaines ont déjà participé à un tournage, celui d'un court-métrage
« Quand les hirondelles** », si justement dédié à la place des femmes dans l'espace public. C'est Elena Peden, une urbaniste-conseil de la société Masterplan, qui mène la troupe à travers le quartier. Du centre commercial au parc public du Venzu jusqu'à la place « du bateau » entourée de barres, et qui va faire l'objet d'une rénovation, les femmes explorent, expliquent, débattent, tout en riant de bon cœur. Le ton est léger, mais elles savent que le moment est précieux : tout ce qui sera noté ce jour-là pourrait améliorer leur quotidien. (...)
Entre la tranquillité des uns et le besoin de jeux des enfants, ces femmes argumentent, en posant la problématique dans toute sa complexité. Qui gagnera ?"
Éclairer, libérer le regard, enlever les obstacles
"Au fil de la balade, les questions de sécurité s'invitent aussi sans castagne : la sortie étudiante du jeudi soir, elles comprennent bien ! Mais, quand on travaille à l'usine à cinq heures du matin, il vaut mieux éviter les rues vides et sombres, car elles ne voudraient pas y croiser seules le soiffard en goguette… «Voir et être vu », c'est le maître mot de Tristan Le Nedellec : éclairer, libérer le regard, enlever les obstacles pour offrir co-veillance et co-visibilité dans les espaces publics, de jour comme de nuit. Ce qui ne manque pas de percuter d'autres politiques publiques, comme celles concernant la pollution lumineuse nocturne ou le gaspillage énergétique. Il faut alors trouver des compromis… Car une personne qui se sent en sécurité vit la ville en toute sérénité."
Anne Gouérou
Retrouvez chaque dimanche un épisode de Reizh Direizh dans Bali Breizh, à 9h55 sur France 3 Bretagne et en replay sur France.tv.