Avec le confinement, les associations qui offrent de l'aide alimentaire ont dû s'adapter. Après la crise sanitaire, la crise sociale augmente de 20 à 30% le volume de demandeurs. À Rennes un gymnase est devenu un nouveau lieu pour faire face à la situation cet été.
Bientôt trois semaines que le Village alimentaire s’est installé dans un gymnase facile à repérer avec ses bandes vertes et blanches, comme une immense tente au cœur du quartier de la Courrouze.
Vers 15 heures la file d’attente à l’extérieur compte moins d’une dizaine de personnes respectueuses des consignes que donne un bénévole devant la porte d’entrée. Il fait très chaud. Une femme porte un bébé dans ses bras. Elle passe en priorité. Deux adultes se replacent derrière elle dans les marquages au sol. Trois jeunes suivent, l’un d’eux a une guitare sur le dos.
À l'intérieur, la file des demandeurs se prolonge à l'ombre. Au bout, des bénévoles les accueillent dans un espace d’attente avec une zone de jeux pour les enfants, Autour de nous des panneaux d’explication et d’accueil dans toutes les langues.
Un bénévole devant un ordinateur régule les entrées et prend quelques informations auprès des arrivants. " Ici aucun justificatif à fournir, explique Mathieu Jeanvrain, coordinateur des activités du Village alimentaire, pas de dossier, juste quelques informations statistiques pour savoir de quels quartiers viennent les gens et pouvoir à l’avenir installer des lieux à proximité de ceux qui en ont besoin. "
Dans la grande salle multisport qui prolonge cette entrée, des tables sont disposées tout autour, sous les panneaux de basket. À chaque poste de distribution, deux bénévoles accueillent et servent les bénéficiaires en fonction de leurs besoins. Du vrac, du frais, des conserves, des petits pots pour bébé, des laitages…
Maël, 29 ans est est en contrat d'insertion de 26 heures par semaine. Avec un revenu de 600 euros et 240 euros d'APL, il lui faut financer un loyer de 480 euros. "L'important avec l'aide alimentaire, c'est de ne pas retourner à la rue" fait-il remarquer. C'est bien pour cela qu'il apprécie naturellement cette aide qui lui donne un peu de marge de sécurité.
Amélie est plus jeune et plus précaire. Elle cumule les CDD : dans une usine de chaussures à Fougères, dans la boulangerie, au MacDo, au Drive d'un supermarché... Elle n'a plus rien mais elle vise actuellement un emploi dans le maraîchage bio. "La nature et le climat c'est ce qui m'intéresse le plus". Pour elle aussi, sa présence ici s'explique par la nécessité alimentaire.
Une augmentation de 20 à 30% de la demande d'aide alimentaire
"Tous les jours ici, on voit augmenter le nombre de familles qui viennent chercher de l’aide. À l’ouverture du gymnase le 14 mai, on ouvrait une demi-journée et on recevait 65 familles. Presque trois semaines après on ouvre le matin et l’après-midi, et on est actuellement à 80 familles par jour." constate Mathieu Jeanvrain.Sur la question du ravitaillement, il précise que 30% des produits qui viennent de la Banque Alimentaire, 30% de la société Phénix, et le reste ce sont des achats. "Là on essaie d’acheter des produits locaux et bio parce que la dignité ça passe aussi par une alimentation saine."
Pour les financements le Village Alimentaire est soutenu par des fondations notamment SolidaRen, mais aussi des financements publics, de la Ville de Rennes, de l’État et aussi des financement de la fondation Abbé Pierre.
Depuis le début du confinement on constate ici une augmentation 20 à 30% du nombre de personnes qui demandent de l'aide. D’ailleurs en 2008, sur une crise comparable à celle-ci, on avait déjà, sur le territoire francilien, pu observer une augmentation de 30% des besoins d’aide alimentaire des gens.
"L’INSEE rappelle en ce moment que les indicateurs de pauvreté et de vulnérabilité sont en pleine augmentation du fait du chômage partiel, des contrats courts qui ne vont pas être honorés pour les étudiants, de la demande d’intérim qui se réduit, et puis des gens qui sont intermittents du spectacle, et les nouveaux arrivants diplômés. Les chiffres du chômage des nouveaux inscrits augmentent. Les précaires deviennent pauvres et les pauvres deviennent très pauvres, conclue Mathieu Jeanvrain.
Une coopération inédite pour répondre à l'urgence
Mathieu Jeanvrain, qui se présente ici comme l’un des coordinateurs du Village Alimentaire, est un responsable de Cœurs Résistants Rennes. Cette initiative sociale est en effet le fruit d’une collaboration entre plusieurs associations rennaises ou fondations présentes à Rennes. Beaucoup ont eu le même souci de se réorganiser mi-mars, de devoir s'adapter pour continuer de venir en aide aux plus démunis et concilier leurs actions avec les règles du confinement.
Sur les post Facebook des 16 et 18 mars de Cœurs Résistants Rennes, on peut aussi se rendre compte de l'effort d'organisation des associations pour proposer des solutions pendant le confinement. Un lien avec le site du SIAO 35 donne une idée de l'ensemble des associations qui offrent de l’aide sur le département dans l’alimentaire, l’hygiène, l’hébergement, ou encore de l’aide administrative, juridique et sociale. Ce site référence celles qui ont pu continuer leurs activités ou qui parfois ont du fermer provisoirement.
L'aide alimentaire mais pas seulement
Mathieu reprend la présentation de son association : « On va bien au-delà de l’aide alimentaire. Cœurs Résistants c'est une espèce d’iceberg dont la partie émergée ça va être 3 actions : d’abord l’aide alimentaire sous forme de paniers solidaires qu'on distribue normalement à l’épicerie gratuite, 19 rue Legraverend en semaine, et ensuite sous forme de maraudes le vendredi et le dimanche où on va délivrer des produits chauds, préparés par les soins des bénévoles et enfin on fait du portage de projets.
Ainsi quand on vient nous voir ou que des bénévoles ont des idées de nouveaux projets, que ce soit pour organiser un jeu avec tout un quartier ou pour mettre en place les Glaneurs rennais ou l’épicerie gratuite pour les étudiants de Rennes 2, on va donner aux gens des outils vecteur d’émancipation. Ainsi, au travers du montage de ces projets, on apprend aux gens à se saisir eux-mêmes des outils de diagnostic d’une situation et des outils de création d’un collectif, pour fédérer des personnes autour d’un projet. Et ça c’est la partie submergée de notre iceberg Cœurs Résistants : se reconstruire, ne pas culpabiliser, reprendre confiance en soi et retrouver sa place dans la société.»
Le confinement a contraint l'association à s'adapter
" Quand on a subi l’annonce de confinement du gouvernement, beaucoup d'associations ont dû fermer leurs portes. On s’est réuni entre partenaires habituels et on a cherché comment s’organiser dès le premier jour du confinement. On a réussi à obtenir des lieux dans les écoles fermées de Trégain (quartier Maurepas) et Volga (quartier Blosne) pour préparer des paniers de denrées alimentaires et les livrer directement chez les gens en bas de chez eux."
Avec le déconfinement et la réouverture des écoles, il leur a fallu quitter Trégain et Volga et chercher de nouveaux lieux de distribution. Le Gymnase de la Courrouze, à un quart d’heure à pied du centre est apparu comme la meilleure solution, une solution collective jusque fin août.
Et après? Se demande Mathieu :" Le gros problème à Rennes c'est que ça manque de lieux associatifs. C’est le coût du foncier, c’est vrai pour les entreprises mais plus encore pour les organismes à but social, ça manque énormément à Rennes d'avoir de grands espaces associatifs pour faire ce genre d'action. "