REPORTAGE. Viols, coups, emprise. Comment des travailleurs sociaux viennent en aide aux femmes victimes de violences

Les femmes qui passent la porte de l'Asfad de Rennes ont vécu le pire : viols, coups, emprise. Les travailleurs sociaux de l'association militante leur offrent un hébergement sur un temps long, ainsi que les moyens de se reconstruire. Reportage.

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Au volant du Berlingo de l’association de mise en sécurité des femmes, Benoit Gillouard, sourit. L’assistant social a enfin réussi à contacter Lucie*, une jeune femme de 35 ans, en errance, qui subit la violence de la rue depuis de longues années. Elle a fui Orléans, laissant son enfant. Elle tente de se reconstruire en Bretagne, à Rennes.

Sécurité et stabilité

Le 115 lui a trouvé un accueil d’urgence temporaire dans un ancien hôtel de Rennes. Reconverti en logement social pour exilés, le bâtiment est délabré. Au milieu des réfugiés d’Europe de l’Est ou d’Afrique, quelques chambres sont ouvertes pour des femmes victimes de la grande violence d’un compagnon, ou de la rue.

“C’est le chaos cet hôtel. Je voulais la récupérer au plus vite pour lui permettre d’avoir un logement qui vient de se libérer chez nous” assure l’assistant social après avoir entassé les affaires personnelles de Lucie dans sa voiture.

LIRE : Violences faites aux femmes. “Les policiers n’ont pas compris comment je pouvais être encore en vie” : le témoignage d’une survivante

La reconstruction passe par la stabilité de l’hébergement.

Sarah Placé, cheffe du service hébergement d'urgence de l'Asfad de Rennes

Benoit Gillouard travaille pour l’Asfad de Rennes, une association militante qui protège les femmes en grandes difficultés. La structure dispose de 65 places d’accueil d’urgence, pour les femmes et leurs enfants, sur Rennes et sa Métropole. 

Ce service d’hébergement d’urgence offre un soutien rare. Les femmes accueillies sont accompagnées sur un temps long. Il n’y a pas de durée maximale. “La reconstruction passe par la stabilité de l’hébergement” assure Sarah Placé, cheffe du service de l’accueil d’urgence à l’Asfad.

Benoit Gillouard aide la nouvelle venue à prendre place dans le studio qui devient le sien. Machine à laver, placard, minicuisine et lit simple. La jeune maman cache son quelques instants son émotion avant de réaliser. Ce lieu va pouvoir lui permettre de reprendre contact avec son enfant. Une motivation de plus pour sortir de sa situation.

Des logements sécurisés 

Les places d’hébergements se situent dans les locaux sécurisés de l’association ou dans des résidences surveillées autour de Rennes. L’entrée de ces cocons n’est pas en libre accès. Une équipe contrôle l’entrée du bâtiment principal 24h/24. Pièces de confidentialité avec des jouets pour jeunes enfants, dépliant sur les structures d'aide alimentaire, les poussettes se croisent dans les locaux de l'association.   

“La violence s’arrête à nos portes. Les femmes et leurs enfants sont libres d’aller et venir, précise la gardienne à l'accueil, mais les personnes extérieures doivent demander une autorisation.” Les visiteurs doivent être validés par l’équipe des travailleurs sociaux. Ils ne peuvent rester la nuit que dans de très rare cas.

À l’Asfad, les femmes accueillies doivent signer un contrat les engageant à suivre les règles du lieu.

Nous ne sommes pas des sauveurs, c’est notre travail.

Léa Pautrieux, éducatrice spécialisée

Chaque dame accueillie est suivie par un référent. L’équipe, principalement féminine, se compose d’une dizaine de travailleurs sociaux : assistantes sociales, éducatrices spécialisées, psychologues, infirmières…

Dans quelques bureaux étroits, face au reluisant stade de foot de la ville, l'équipe discrète bataille pour offrir un nouveau départ aux dames accueillies. “Il faut qu’elles participent à leur propre reconstruction” affirme la cheffe de service. “Nous sommes de passage dans leur vie” souffle Léa Pautrieux, membre de l’équipe depuis 7 ans. “Elles ne doivent pas dépendre de nous” précise l’éducatrice spécialisée.

“Nous ne sommes pas des sauveurs” réaffirme Léa Pautrieux. “C’est notre travail. Nous avons une méthode, une équipe, nous mettons à disposition des moyens, mais nous ne faisons pas tout à leur place. Les dames doivent agir également”.

Stopper les schémas d’emprise et de violences 

Rien que sur les derniers mois, les histoires vécues avec les femmes que Benoit Gillouard et Léa Pautrieux ont accompagnés donnent le vertige. Une femme battue, poignardée, agressée si violemment que les policiers ne comprenaient pas comment elle pouvait avoir survécu, est restée un an dans les locaux de l’Asfad avant de pouvoir reprendre sa vie en main, seule. 

Il y a aussi cette très jeune femme, d’à peine 20 ans, connue et rejetée par tous les services d’aide de Rennes pour son comportement particulièrement agressif. Léa et Benoit, les deux spécialistes de l’aide aux femmes en souffrance, devront la suivre jusqu’à la salle d’accouchement puis devant le juge pour le placement de son enfant. “Un accompagnement unique, que je n’oublierai jamais” assure Léa Pautrieux qui a bien cru qu'elle allait devoir aller jusqu'à couper le cordon ombilical entre la mère et son nouveau-né.

Nous sommes les rares personnes sur qui elles peuvent compter.

Benoit Gillouard, assistant social à l'Asfad de Rennes

“Nous restons dans une relation professionnelle mais forcement nous devons créer des liens de confiance extrêmement fort pour les aider à sortir du schéma de violence, d’emprise ou de séquestration qu’elles ont vécu durant des années” intervient Benoit Gillouard. L’assistant social, jeune père de famille, veille à toujours répondre présent en cas de besoin. “Notre service est très impliqué, nous sommes les rares personnes sur qui elles peuvent compter”

Le quotidien de l’Asfad est loin d’être un fleuve tranquille. Régulièrement, les compagnons tortionnaires essaient de faire revenir les femmes sous leurs coupes. “Certains hommes viennent jusque sur notre parking” grimace le jeune travailleur social, “nous devons être vigilants constamment.”    

En moyenne 18 mois pour se reconstruire

Pour l’Asfad, la violence dans la rue est prise en compte avec autant d’attention que la violence d’un compagnon dans un domicile. “La rue pour une femme sans domicile fixe est terrible” lâche la cheffe de service, Sarah Placé. “Une femme à la rue est violée, frappée. Il n’est pas rare qu’elle cache un couteau dans ses vêtements pour se protéger”.

Entre les coups, l’emprise mentale et les viols, les séquelles causées par ces violences sont si intenses que la durée moyenne d’accompagnement est de 18 mois. Un temps long, nécessaire, qui offre des résultats.

Démêler les situations administratives

“Les femmes que nous accompagnons arrivent souvent sans aucun papier administratif. Le conjoint aura tout détruit” souffle Léa Pautrieux qui, comme ses collègues du service, épaule les dames face à l’administration. 

“Hier encore j’ai passé trois heures debout, dehors, dans la file d’attente de la CAF” pour commencer à débloquer un dossier rigole Benoit Gillouard. L’assistant social est habitué à démêler des situations administratives complexes. “Nous n’avons aucun passe-droit, aucun raccourci. Nous devons prendre les mêmes rendez-vous que tout le monde”. Pour les femmes victimes de violences, affaiblis par des chocs traumatiques, le soutien de ces professionnels et indispensable.

"Je ne compte plus les lundis matin à attendre dans la file d'attente de la préfecture" soupire Léa Pautrieux. 

Hier, j’ai passé trois heures dans la file d’attente de la CAF

Benoit Gillouard, assistant social à l'Asfad

“Elles n’ont pas toujours la force de batailler face à l’administration” constate Benoit Gillouard. “Une partie de mon travail est de les motiver, de leur rappeler l’importance de continuer à suivre toutes les étapes administratives”.

“Aujourd’hui, je dois intervenir pour une dette hospitalière de près de 2.000 pour une dame” développe Léa Pautrieux. “Elle a dû se faire soigner, mais son dossier de demande d’asile est toujours en attente…”  s’indigne l’éducatrice spécialisée. Le temps de l’administration est si long que ces femmes en souffrance ne rentrent pas dans le cadre administratif permettant les soins remboursés. Déjà sans possibilité de travail, les dettes s’accumulent, une autre forme de violence.

Les situations administratives les plus complexes restent la recherche d’un logement dans le parc social de la ville et l’accompagnement face à l’administration pour les demandeurs d’asile. Les membres de l'Asfad sont devenus des professionnels des justificatifs administratifs. 

Un service d’accueil qui a doublé en deux ans

L’objectif de l’association est que ces femmes décrochent un logement, trouvent un travail et ne retournent plus vers des situations d’emprise.

Celles qui sont suivies dans cet îlot d’humanité ont bénéficié du signalement du 115. “Les femmes que nous accueillons sont celles qui sont dans la plus grande précarité” explique la cheffe de service de l’accueil d’urgence. Femmes victimes de trafic d‘être humains, en demande d’asile, avec de très jeunes enfants, violées, battues à de multiples reprises, la liste des situations est infinie. La mission semble sans fin.

“Avec nos 65 places, le service a doublé sa capacité d’accueil en deux ans” relève Sarah Placé. “Et nous suivons également la situation de 150 personnes logées dans des hôtels”.

En journée, l’Asfad de Rennes permet aux femmes dans le besoin de faire des machines de linges et de prendre des forces le temps d’un café. En plus de l’accompagnement psychologique et administratif, l’équipe du service d’urgence se démène pour proposer des opérations bien-être pour les dames. Une distribution des sous-vêtements de qualité a été mise en place. Une journée à la plage est en préparation pour sortir du quotidien. “Ces opérations renforcent les liens de confiance avec les femmes que nous suivons” certifie Léa Pautrieux.

Lire : Solidarité. 1000 soutiens-gorge offerts pour valoriser l'estime de soi et aider des femmes dans le besoin

Une vocation

Ce travail impose d’avoir la vocation. Chaque jour, ces travailleuses et travailleurs sociaux sont confrontées à des situations de détresse. La tâche peut être traumatisante. “Il y a des situations que je ne veux plus revivre” souffle Léa Pautrieux en pensant à l’accueil de Valérie*, arrivée nue et en sang dans les locaux.  “Je repense tous les jours à Marie* que n’avons pas pu accompagner jusqu’au bout” regrette Benoit Gillouard. La jeune femme en question avait dû être sortie du dispositif après de nombreuses infractions aux règles de l’association.

L'Asfad est particulièrement attentive aux besoins des femmes.

Léa Pautrieux, éducatrice spécialisée

Après chaque féminicide, les appels pour la mise en protection pleuvent. “La justice nous facilite le dépôt de plainte après un féminicide médiatisé, mais même si l’accueil en commissariat s’est nettement amélioré, cela reste trop souvent compliqué” regrette Léa Pautrieux. Avec le temps, l’éducatrice s’est constitué un carnet d’adresses d’agents de police, avocats et fonctionnaires qui facilitent sa mission. 

“L’Asfad est particulièrement attentive aux besoins des femmes” sourit l’éducatrice spécialisée. Pour renforcer cette action, à Rennes, un réseau de professionnels s’unit pour venir en aide aux femmes victimes de violences. En novembre 2023, un lieu unique dans le grand Ouest ouvrira sur le site de l’hôpital Sud de Rennes, son nom : la Maison des femmes. Cet espace sera ouvert aux femmes et à leurs enfants. L’équipe de l’Asfad y travaillera en lien avec des équipes médicales, juridiques, sociales et psychologiques.

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