Féminicide. Pourquoi les femmes meurent malgré les plaintes et les alertes ?

Ce week end, deux femmes et une petite fille de 3 ans sont mortes assassinées par leur conjoint et père. L'une d'entre elle avait pourtant signalé la violence de son conjoint en gendarmerie. Comment expliquer qu'autant de femmes meurent sous les coups de leurs conjoints malgré les dispostifs d'alerte ? Eléments de réponse.

Si l’enquête est toujours en cours, peu de doute subsiste sur le scénario du drame qui s’est déroulé ce dimanche à Saint-Brieuc. Un homme de 24 ans a tué sa fillette de 3 ans, sa compagne de 22 ans et a blessé sa belle-mère avant de retourner l’arme contre lui.

À Pont-Péan près de Rennes, un homme de 36 ans s’est présenté au commissariat expliquant qu’il avait retrouvé sa compagne morte à son domicile. Tout porte à croire que la victime est décédée des suites des coups reçus.

Un témoignage, rapporté par l’AFP, indique que cette femme s’était présentée en février 2022 à la brigade de gendarmerie de La Gacilly (Morbihan) "Elle ne déposait pas plainte mais soulignait avoir peur de son mari qui était violent verbalement sans cependant exercer de violence physique". Elle signalait alors avoir quitté le domicile conjugal en novembre 2021.

Il est rare que personne de l’entourage ne sache rien

Maëlle Daniaud directrice de l’Asfad

Dans le drame de Pont Péan, la victime avait donc signalé les violences de son conjoint, sans pour autant vouloir porter plainte.

S’il est difficile d’avoir des chiffres officiels, force est de constater que dans de nombreuses affaires de femmes assassinées par leur conjoint, des mains courantes ou des plaintes ont souvent été déposées, sans que cela n’empêche le drame d’arriver.

« Il est rare que personne de l’entourage, d’association de soutien aux femmes, ou des forces de l’ordre, ne sache rien » constate Maëlle Daniaud directrice de l’Asfad, une association rennaise qui soutient et accompagne les femmes victimes de violences conjugales.

Alors comment expliquer que le nombre de victimes de féminicides ne diminue pas ? Et qu’en France, une femme meurt tous les 2 ou 3 jours sous les coups de son conjoint ?

Une augmentation inquiétante des appels à l’aide

D'après le décompte du collectif "Féminicides par compagnons ou ex", en 2022 en France, 110 femmes sont mortes, sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, faisant de 143 enfants des orphelins de mère. En Bretagne elles sont 7 à avoir perdu la vie dans ces conditions.

Localement, d’autres chiffres sont très alarmants.

Ainsi en Ille et Vilaine, l’Asfad qui propose une ligne d’écoute24h/24, a enregistré 3 294 appels en 2022, contre 1 760 contacts en 2021, soit un doublement du besoin d’écoute de femmes. Parmi elles, 1 000 femmes étaient inconnues de leurs services.

Aussi l’année dernière, 800 femmes ont été accueillies physiquement lors des permanences. "Elles viennent chercher une écoute, un soutien psychologique mais aussi, un conseil ou une aide juridique" explique la directrice.

Parmi elles, 272 ont été mises en sécurité, dans des hébergements dédiés ou à l’hôtel. Mais l’Asfad peine à répondre à toutes les demandes. « Les besoins augmentent et les dispositifs de mise à l’abri sont en très haute tension » regrette Maëlle Daniaud.

  

Manque de moyens dans l’accompagnement des femmes

Si la mise à l’abri est un dispositif essentiel pour éviter les drames, d’autres services, moins connus, le sont tout autant. En effet les femmes victimes de violences tardent souvent à quitter le domicile conjugal car elles ne savent pas où aller, ni comment faire au niveau administratif et financier.

"Même si on peut mettre la femme à l’abri, la condamnation ou l’incarcération prennent un long délai. Et puis se pose la question du logement, des enfants. Il y a beaucoup de choses à gérer pour ces femmes et beaucoup se découragent" détaille Maëlle Daniaud.

La précarité, la vulnérabilité expliquent souvent pourquoi les femmes restent avec un homme violent. À cela s’ajoute l’emprise psychologique exercée par le conjoint. "Il est rare qu’une femme parte sans plus donner de nouvelles. Il y a souvent des allers-retours" témoigne la directrice de l’Asfad. "Aussi quand il y a des enfants il y a un déracinement.". 

L’accompagnement des femmes est donc essentiel. Pourtant les associations dénoncent en permanence le manque de moyens mis à leur disposition

 

Violence et sexisme banalisés 

Ce lundi 23 janvier le haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a publié un rapport sur l’état du sexisme en France. Le constat est sans appel : le sexisme perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent.

On apprend ainsi que 22 % des femmes interrogées ont déjà vécu une situation d’emprise psychologique ou de jalousie excessive imposée par leur conjoint. Aussi 15 % d'entre elles ont déjà subi des coups portés par leur partenaire ou ex-partenaire (20 % chez les 50-64 ans). 

Pour Maëlle Daniaud ce rapport est accablant et montre combien les violences faites aux femmes demeurent banalisées.

Dans son rapport le HCE émet une liste de préconisations pour rendre les pouvoirs publics plus performants: 

◗ Garantir une permanence d’accueil des victimes par une personne dédiée dans chaque commissariat de police et brigade de gendarmerie ;

◗ Former de manière urgente, obligatoire et continue aux mécanismes des VSS tou·tes les professionnel·les au contact des femmes victimes de violences et notamment les professionnel·les de la justice, en particulier les juges aux affaires familiales, et former l’ensemble des officiers de police judiciaire à l’audition des victimes ;

◗ Obtenir des moyens financiers similaires à ceux du budget de l’Espagne pour doter de manière adéquate les juridictions chargées d’examiner les violences intrafamiliales ;

◗ Diligenter une étude sur les refus de plaintes, sensibiliser à leur illégalité, et les sanctionner ;

◗ Assurer un accompagnement médical et psychologique gratuit à toutes les femmes victimes de violence

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