Ce 25 novembre 2021 est la journée de lutte contre les violences faites aux femmes. En 2020, en France, les violences conjugales ont entrainé la mort de 125 personnes. Les services de police et de gendarmerie ont enregistré 159 520 victimes, 10 % de plus que l’année précédente. En Bretagne, la hausse serait de 32 %. Mais 32 % de plaintes en plus, ce n’est, heureusement, pas forcément 32 % de victimes en plus. Explications.
Cette semaine, le ministère de l’intérieur a communiqué les chiffres du nombre de victimes recensées en 2020 par les services de police et de gendarmerie département par département.
En 2019, le nombre de victimes de violences conjugales pour 1 000 habitants s’élevait à 1,5 dans les Côtes d’Armor ; 1,5 dans le Finistère ; 1, 4 en Ille-et-Vilaine et 1,5 dans le Morbihan.
Un an plus tard, le taux était de 1,9 dans les Côtes d’Armor ; 1,8 dans le Finistère ; 2,1 en Ille-et-Vilaine et 1, 9 dans le Morbihan.
En rapportant ces chiffres au niveau de ceux de la population de chaque département, il en ressort qu’il y aurait eu environ 890 cas de violence en 2019 dans les Côtes d’Armor et 1 130 en 2020, soit une hausse de 26%. Dans le Finistère, de 1 350 actes en 2019, on serait passé à 1 620 en 2020, soit une hausse de 20%. En Ille-et-Vilaine, de 1 500 cas de violences à 2 200, soit 50% de plus. Et dans le Morbihan, de 1 120 cas à 1 420, soit 26%. Des chiffres très supérieurs à la hausse de 10% au plan national annoncée par le ministre de l’Intérieur.
Faut-il s'inquiéter ?
"Ce n'est peut être pas une si mauvaise nouvelle qu'il n'y parait" modère Philippe Astruc, le procureur de la République de Rennes.
Si l'on en croit l’enquête Cadre de vie et sécurité, menée conjointement par l’Insee et les services du ministère de l’Intérieur, chaque année, en moyenne entre 2011 et 2018, seules 27 % des victimes se sont déplacées dans un commissariat de Police ou une gendarmerie. 18 % d'entre elles ont déposé plainte et 7 % ont rédigé une main courante ou un procès-verbal de renseignement judicaire.
Philippe Astruc, procureur de la République à Rennes évoque le "Chiffre noir", celui des violences qui se déroulent dans le secret des foyers. "On sait que ce chiffre est massif explique le procureur, mais suivant les villes, les départements, on ne sait pas de quel niveau de silence on part. On peut simplement espérer qu’il tend à diminuer."
Dans le ressort du Tribunal de Rennes, le nombre de procédures pour violences conjugales a presque triplé. En 2017, 656 affaires avaient été traitées. 720 en 2018. 908 en 2019, 1414 en 2020 et déjà 1 578 en novembre 2021. Soit sans doute environ 1 800 pour toute l’année 2021.
"Petit à petit, on améliore la prise en charge des victimes dans les commissariats de police et les gendarmeries. Les victimes osent davantage pousser la porte. Elles appréhendent moins et se sentent plus écoutées" constate Philippe Astruc. "Cela fait donc augmenter les chiffres, mais pas forcément le nombre de victimes."
"Il faut faire preuve d’une grande prudence avec les statistiques recommande le magistrat. Quand on compare le nombre de plaintes et les enquêtes de victimation, c’est le jour et la nuit."
Entre 2011 et 2018, ces enquêtes évoquent, en effet, 295 000 victimes de violences conjugales. En 2020, les forces de police et de gendarmerie ont, elles, enregistré 159 000 victimes. Moitié moins.
Diariata N’Diaye, directrice de Resonantes, association de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles, partage le même constat. "Les violences ont augmenté, les violences augmentent toujours en période de crise, et les premières victimes ce sont les femmes et les enfants. Mais si les nombre de dossiers est en hausse, c’est aussi parce c’est devenu plus facile de dire quand il y a des problèmes" analyse-t-elle. "On peut maintenant déposer plainte à son domicile, à l’hôpital, chez une amie. La société est davantage à l’écoute."
Des chiffres et des maux
Les choses avancent, mais pour la directrice de l’association, elles ne vont pas assez vite. "On manque de place dans les hébergements d’urgence pour les femmes battues, les associations sont débordées, 3 000 téléphones grave danger ont été distribués, il en faudrait bien davantage " se désole Diariata N’Diaye. Car "il faut intervenir et agir rapidement" explique l’association.
La prévention dès le lycée
Depuis des années, Résonantes se rend dans les lycées pour parler avec les jeunes des problèmes de violence et de sexualité. "On a l’impression qu’ils savent tout, alors que ce n’est pas le cas. Et l’accès à la pornographie a fait des gros dégâts. Dans ces films, au début, c’est "Non", et puis finalement, après, c’est "Oui ". Dans la vraie vie, quand c’est Non, c’est Non ! Il y a un problème d’éducation. Il faut leur parler du consentement. Si on leur explique avant qu’il soit trop tard, ils peuvent comprendre."
La prise en charge des auteurs
Dans le Morbihan, l’association Sauvegarde 56 a elle aussi vu les chiffres des violences conjugales s’emballer. En quelques semaines, sur Vannes, par exemple, il a fallu gérer 15 évictions de conjoints violents.
Depuis 1982, la structure accueille et accompagne des femmes victimes de violences. Et depuis le 1er janvier 2021, elle gère un Centre de Prise en Charge des Auteurs (CPCA). "C’est un choix qui pose parfois des questions, reconnait Jean-Michel Guillo, le directeur du dispositif des préventions et de réinsertion de Sauvegarde 56. Mettre de l’argent sur la table pour accompagner les victimes, tout le monde trouve cela très noble. Mettre de l’argent pour accompagner les auteurs, c’est beaucoup plus difficile. Mais la prise en charge des auteurs, c’est un acte de protection des victimes".
"95 % des auteurs que nous recevons ont, eux-mêmes, subit des coups ou des insultes dans leur passé. Il faut les aider pour qu’ils sortent de la violence qu’ils infligent et pour qu’ils ne recommencent pas." Les quatre départements bretons disposent désormais de CPCA.
"Certains auteurs de violence viennent sur décision de justice, d’autres arrivent spontanément parce qu’ils sentent qu’ils ont un problème. Chaque parcours est différent " souligne Jean-Michel Guillo.
Depuis le début de l’année, l’association a accompagné 142 personnes. Certains ont suivi les stages de deux jours pour parler des violences, des victimes, des techniques pour éviter de passer à l’acte. D’autres ont besoin d’un accompagnement individuel sur plusieurs mois avec des psychologues, des travailleurs sociaux. "L’important c’est qu’ils retrouvent une forme d’apaisement pour éviter les drames."
"Un soir, un monsieur qu’on suivait a téléphoné. Il a appelé au secours, je suis en train de dégoupiller. Nous sommes intervenus," témoigne Jean-Michel Guillo. "Le problème, c’est que le plus souvent, même quand ça va très mal, à cause des réalités économiques, les couples restent vivre sous le même toit. Ça se dégrade, ça se dégrade, et à un moment, ça explose. C’est l’effet cocotte-minute."
La nécessité de structures d'accueil
L’association dispose de sept places d’hébergement pour les auteurs. "C’est d’ailleurs terrible s’étonne Jean-Michel Guillo. La plupart du temps, c’est aux femmes victimes de quitter le domicile si elles ne veulent plus prendre de coups, c’est un peu la double peine. Ce serait quand même mieux de faire le contraire. Il faudrait aussi des hébergements d’urgence de quelques nuits pour désamorcer une situation qui s’envenime. "
L’association espère que les personnes suivies dans les Centres de Prise en Charge des Auteurs sortiront de la logique de la violence. "On ne le saura que dans quelques temps. Quand ils seront rentrés chez eux. On verra alors si il y a récidive, analyse Jean-Michel Guillo. Mais chaque fois qu’un coup, qu’une claque ne sera pas parti, on aura avancé."