Féminicide. Un statut de pupilles de la nation pour les enfants de victimes ?

La Fédération nationale des victimes de féminicides demande que les enfants orphelins de mère puissent eux aussi bénéficier du statut de pupilles de la nation. "On estime que l'Etat est redevable vis-à-vis d'eux" explique la présidente rennaise de l'association qui rappelle qu'en 2022, 110 féminicides ont fait violemment basculer la vie de 140 enfants.

Quand elle évoque Marie, cette mère de famille rennaise, morte étranglée par son mari, dans son appartement du quartier de Villejean, en avril 2022, Sylvaine Grévin marque une pause. Puis elle reprend le fil de l'histoire qui a laissé quatre enfants traumatisés et dans le chagrin. Deux petites filles et leurs deux soeurs aînées.

La Fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF), qu'elle a fondée et préside, a pris la fratrie sous son aile. La plus âgée des quatre filles, à peine 23 ans, a souhaité avoir la garde de ses deux petites soeurs. "Il a fallu leur trouver un logement, relate Sylvaine Grévin. Nous sommes aussi intervenus pour le rachat de vêtements aux petites car tout ce qu'il y avait dans l'appartement était placé sous scellés"

"On veut qu'ils soient pupilles de la nation"

Autre exemple : à Domagné, près de Rennes, en juillet 2022 où une femme de 51 ans a été tuée par son mari. "Les trois enfants sont orphelins. L'aîné, qui a 22 ans et travaillait en Grande-Bretagne, a tout lâché en catastrophe pour venir s'occuper de son frère et sa soeur, relève la présidente de la FNVF. Il s'est retrouvé sans emploi, sans logement, dans une situation dramatique. Il a fini par trouver un travail, tout cela en un temps record. Et le voilà, à 22 ans, chef de famille !".

Sylvaine Grévin soupire. "Si tous ces enfants, mineurs comme majeurs, étaient pupilles de la nation, les choses seraient moins compliquées pour eux. Ils doivent déjà faire face à la perte de leur mère, à la douleur. Ils sont victimes".

La FNVF demande que ces orphelins de mère puissent eux aussi être adoptés par la nation. Le statut, instauré en 1917, ne concerne aujourd'hui que les enfants de moins de 21 ans dont l'un des parents a été blessé ou tué au cours d'une guerre, d'un acte de terrorisme ou dans l'exercice de son métier. 

"Les féminicides sont qualifiées de grande cause nationale, souligne la fondatrice de l'association. On voit bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Les mineurs bénéficient d'une prise en charge des Départements, de l'aide sociale à l'enfance, en attendant d'intégrer leur famille maternelle quand celle-ci peut s'occuper d'eux. Mais pour les jeunes majeurs de 18, 19 ou 20 ans, qui sont parfois encore étudiants, ont un prêt sur le dos et n'ont pas de famille proche, qu'est-ce qu'on fait ? C'est la double peine pour eux".

"Moyens du bord"

Pupille de la nation, c'est tout d'abord une aide financière pour se nourrir, se vêtir, pour les frais médicaux, les vacances et les études - s'ils vont à l'université, les enfants sont exemptés de frais de scolarité. C'est également un soutien dans les démarches administratives, des assistantes sociales à l'écoute et des emplois réservés dans le secteur public.

Lorsqu'il tue sa compagne, l'auteur d'un féminicide détruit une famille entière

Sylvaine Grévin

Présidente de la FNVF

Sylvaine Grévin estime que le statut de pupille de la nation faciliterait le "travail en réseau".  "Nous, à la FNVF, on avance avec les moyens du bord, dit-elle. On veille sur eux, on met en place des cagnottes pour les aider. On est en lien avec les maisons de confiance et de protection des familles de la gendarmerie, avec les services sociaux, etc. Mais ce n'est pas pareil".

Cette Rennaise, qui a lancé l'association après la mort de sa soeur en 2017, rappelle que "lorsqu'il tue sa compagne, l'auteur détruit une famille entière". Elle est toujours sur les quatre-chemins pour épauler ceux qui restent, comme à Strasbourg auprès de cette jeune fille de 19 ans "qui n'avait personne, pas de famille" et a contacté la FNVF, après le meurtre de sa mère. "Elle était totalement perdue, se souvient Sylvaine Grévin. Elle ne savait pas comment ni quoi faire, ne serait-ce que pour trouver un avocat. Elle a 19 ans, elle est propulsée brutalement dans la vie adulte. Personne n'est préparé à cela ni à la machine judiciaire qui s'enclenche".

Une pétition en préparation

La présidente de la FNVF entend "sortir l'artillerie lourde" pour défendre ce statut de pupilles de la nation. Une lettre ouverte au gouvernement assortie d'une pétition est en préparation. C'est un combat qu'elle mène depuis longtemps et dont elle a déjà glissé les contours à l'oreille de la République, à la faveur d'une réunion, à Matignon, il y a un an.

L'association va également éditer un guide pratique à destination des familles de féminicides et des professionnels qui les prennent en charge - gendarmes, policiers, services de l'Etat. "Il recense toutes les démarches à faire, les numéros de téléphone, tout ce qu'il faut savoir et vers qui se tourner". Le document sera, dans un premier temps, diffusé en Bretagne, courant mai 2023. 

En France, 110 femmes (dont 7 en Bretagne) sont mortes, sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, en 2022, faisant de 140 enfants des orphelins de mère.

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