Témoignage. Pédiatrie en crise : "Il faut être fou pour aller travailler à l'hôpital, je n'y crois plus".

La crise grave que traverse l'hôpital touche également les services de pédiatrie. Manque de lits et de personnels, les urgences sont submergées. "Il est urgent de s'occuper des enfants" alerte le Collectif Inter Hôpitaux. À Rennes, une pédiatre du CHU témoigne de ce que vivent soignants et patients.

Le docteur Farges travaille au CHU de Rennes, au service des urgences pédiatriques. Dépitée par les conditions de prise en charge de ses jeunes patients, elle se sent abandonnée par l'administration hospitalière. "Il n'y a pas de place pour tout le monde, nous sommes sous-dimensionnés" exprime cette médecin. "Aujourd'hui des enfants sortent des urgences par manque de place, alors qu'ils ne seraient pas sortis il y a quelques années. On les aurait gardé sous surveillance." Céline Farges offre un témoignage glaçant, plein d'humanité.

Moi je n'y crois plus, je suis dépitée.

Docteur Céline Farges. Pédiatre au CHU de Rennes.

Des urgences pédiatriques complètement saturées

Le service pédiatrique de l'hôpital a été dimensionné aux débuts des années 2000 pour un rythme d'accueil d'environ 70 urgences par jour. "Le bassin rennais a très vite augmenté et nous sommes rapidement passé à 90 passages par jour et 110 le week-end" explique le Docteur Farges. "Depuis la crise sanitaire qui a fragilisé beaucoup de familles nous sommes arrivés à un rythme de croisière de 100-110 par jour avec des pointes à 135".   

La direction de l'hôpital nous demande d'être inventif, de nous adapter à moyens constants. Mais cela ne passe pas."

Docteur Céline Farges. Pédiatre au CHU de Rennes.

Les raisons de cette saturation sont nombreuses. Pas assez de pédiatres en ville, qui eux-mêmes prennent difficilement de nouveaux patients. La situation est identique pour les médecins généralistes qui n'ont pas tous la spécialisation jeunes enfants. A cela s'ajoute la crise post Covid qui a affaibli de nombreuses familles en difficulté. L'hôpital devient le seul endroit où l'on a encore accès aux soins.

 

Des longues heures d'attente pour des enfants malades

Le docteur Farges décrit l'expérience de sa journée alors qu'il est 21 heures. "Dès le milieu de l'après-midi SOS Médecins ne prenait plus de rendez-vous, ils étaient saturés. De plus, des médecins sont en vacances et les urgences d'un hôpital voisin ferment à 20h. Comme les parents ne peuvent attendre pour faire soigner leur enfant, ils arrivent donc tous chez nous. Les gens attendent alors des heures."

Les gens doivent attendre. Souvent deux heures pour le premier contact avec l'infirmière d'accueil, puis jusqu'à 6 heures pour voir un médecin.

Docteur Céline Farges. Pédiatre au CHU de Rennes.

Quand toutes les chambres sont prises, que des enfants sont pris en charge sur des lits dans des couloirs, pour les suivants il ne reste que les transferts vers d'autres hôpitaux. Encore faut-il que les hôpitaux voisins disposent de lits disponibles.

"Aujourd'hui j'avais 6 enfants à hospitaliser et je n'avais plus de lits ni dans l'hôpital, ni même dans le département."  Heureusement le docteur Farges et son équipe arrivent toujours à trouver une solution. "Il a fallu attendre et nous avons finalement réussi à faire 3 transferts et récupérer 3 lits, mais pour la nuit l'hôpital est blindé". C'est un jeu de chaises musicales où les équipes des services de pédiatrie ont plus le sentiment de faire de l'abattage que de pouvoir bien soigner leurs patients.

 

En France cette situation dramatique met en jeu le pronostic vital d'enfants

Le Collectif Inter Hôpitaux exprime les mêmes grandes difficultés sur le plan national. La spirale est infernale, des fermetures de lits par manque de personnels et par l'obligation de faire des économies. Une situation qui met en surcharge des équipes médicales et paramédicales qui finissent par abandonner la profession.  

La pénurie de personnel paramédical, et en particulier, infirmier a maintenant franchi un point critique.

Docteur Oanez Ackermann. Pédiatre au CHU Bicêtre.

Le docteur Oanez Ackermann de l'hôpital Bicêtre rappelle la vulnérabilité des enfants "Quand seules 2 infirmières au lieu de 4, voire même une seule pendant une partie de la journée parfois, doivent assurer la charge de travail, non seulement la sécurité de nos patients n’est plus garantie, mais en plus les infirmières n’ont pas le temps d’accompagner les familles."

A Versailles également les urgences pédiatriques se sentent dépassées et interpellent les politiques. "Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée de 2 chemins" exprime le docteur Véronique Hentgen du CH de Versailles, "soit le politique décide d’abandonner l’Hôpital Public, soit il prend enfin le problème à bras le corps et engage une réforme de fond (financement, recrutement, gouvernance) qui garantira un accès aux soins pour tous de qualité". 

Aux urgences, nous trions les malades en fonction de leur gravité et nous sommes obligés de revoir nos exigences de surveillance à la baisse.

Docteur Véronique Hentgen. Pédiatre au CH de Versailles.

L'hôpital de Versailles hospitalise tous les jours des enfants dans des lits officiellement fermés par manque de personnel, sans pour autant avoir les soignants pour s'en occuper informe le docteur Véronique Hentgen.

 

Des équipes soignantes épuisées

La pédiatre de l'hôpital de Versailles précise que "les dernières réserves de nos équipes et de nos hôpitaux sont consommées, les équipes soignantes sont épuisées".  Une cadre de santé de La Timone à Marseille témoigne des mêmes difficultés, "L’hôpital public n’est plus attractif que ce soit pour les personnels médicaux et les non médicaux. De nombreux postes d'infirmières sont vacants".

Pour le Collectif Inter Hôpitaux, l’épidémie du COVID n’est en aucun cas la cause de cette catastrophe, elle en est un révélateur. Le collectif souhaite pour son communiqué de presse interpeller les politiques afin de faire de la santé des enfants une priorité.  

Au CHU de Rennes, les différents services de pédiatrie sont pleins, des patients sont transférés tous les jours. L’ouverture de lits hivernaux est bloquée par l’absence de personnel paramédical et médical. Par exemple, 2 postes de chefs de clinique sont vacants pour l’année à venir, plusieurs médecins sont partis pour cause d’épuisement.

 

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