"C'est ma passion": au procès d'un trafic international d'ivoire et de cornes de rhinocéros, l'un des principaux suspects vietnamien s'est présenté lundi comme un simple collectionneur, philanthrope de surcroît. Mais il a eu du mal à convaincre le tribunal correctionnel de Rennes.
"Monsieur Ta, il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles!". Le président Alain Kerhoas ne cache plus son agacement face aux réponses nonchalantes du prévenu David
Ta, chemise bleue et catogan, à la barre du tribunal. Chef d'entreprise de 51 ans, spécialisé dans l'exportation d'antiquités et de parfums, ce dernier est soupçonné d'avoir dirigé une filière franco-vietnamienne de trafic de défenses d'éléphant.
14 défenses d'éléphants d'Afrique cachées sous une palette et une couverture
Gros acquéreur de défenses brutes d'éléphant dans les ventes aux enchères, il avait une influence directe sur les prix du marché légal français au moment des faits.
Mais M. Ta, qui a vanté à la barre son "plaisir de la collection", ne procédait pas qu'à des achats légaux, selon les enquêteurs. Lors de la perquisition de son domicile du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) en mai 2016, 14 défenses d'éléphants d'Afrique ont ainsi été découvertes cachées sous une palette et une couverture, sans document justificatif valide.
Le commerce et l'exportation d'espèces menacées d'extinction sont strictement encadrés par la convention de Washington de 1975, connue sous le nom de CITES.
De multiples photos d'autres défenses dans le téléphone
A partir des photos contenues dans le téléphone de M. Ta, les enquêteurs ont aussi dénombré 62 défenses ayant transité par son entreprise entre novembre 2015 et avril 2016. D'autres photos de défenses ont également été localisées au Vietnam grâce aux coordonnées GPS du téléphone.
"Ça, ça ne prouve rien", lâche le prévenu, soulignant que ces photos pouvaient lui avoir été envoyées par des amis vietnamiens. "Ça prouve qu'il y a des correspondants au Vietnam avec lesquels vous ne parlez pas que cosmétiques et pendules", rétorque le président. "C'est un peu édifiant".
Lors des ventes aux enchères, M. Ta se faisait d'ailleurs facturer une partie de ses achats de défenses à une adresse au Vietnam, une façon selon lui de récupérer une partie des frais d'adjudication (moins élevés pour les étrangers) afin de les donner "aux pauvres". "Au Vietnam, je fais beaucoup de donations aux pauvres (...) Moi et mes amis, on a construit une école", assure celui qui se fait appeler "tonton" par ses correspondants.
Collectionneur aussi de certificats d'origine....
Chez M. Ta, les enquêteurs ont également retrouvé 23 certificats CITES, des documents qui permettent de prouver l'origine légale de l'ivoire. Mais les défenses auxquelles
les certificats étaient associés n'ont pas été localisées. Pourquoi avoir gardé des certificats mais pas les défenses? "Je fais la collection (des certificats, ndlr). C'est ma passion", assure le prévenu sans sourciller.
"Vous avez le droit de répondre ce que vous voulez mais j'ai le droit de croire ce que je veux", lui fait remarquer le président. Placé sept mois en détention provisoire, M. Ta est sous contrôle judiciaire depuis décembre 2016.
Huit prévenus jugés jusqu'à mercredi
Comme lui, huit autres prévenus britanniques, vietnamiens et chinois sont jugés jusqu'à mercredi et encourent jusqu'à 10 ans de prison. "On attend de grosses condamnations pour que ça tue d'éventuelles vocations", a déclaré à l'AFP Charlotte Nithart, présidente de l'association Robin des Bois, qui s'est portée partie civile.
L'affaire a débuté en septembre 2015 par un simple contrôle douanier sur la nationale 10, dans la Vienne, durant lequel quatre défenses d'éléphant d'Afrique et 32.800 euros en espèces avaient été découverts. Les douaniers ont ensuite mis à jour deux réseaux de trafic international d'ivoire brut et de cornes de rhinocéros vers le Vietnam et la Chine, tous deux en relation avec les "Rathkeale Rovers", un groupe de délinquance itinérante issu de la communauté irlandaise des gens du voyage.
"Avant la contrebande, ses marchandages et ses filouteries, il y a le braconnage avec ses cruautés", a souligné Robin des Bois lundi dans un communiqué. Le rhinocéros noir d'Afrique et l'éléphant de forêt d'Afrique sont en "danger critique d'extinction", d'après l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).