Une entreprise de maçonnerie de Val-d'Izé a été jugée ce lundi 13 janvier 2025 par le tribunal correctionnel de Rennes pour "homicide involontaire" et plusieurs infractions au code du travail après le tragique accident du travail survenu à l'un de ses ouvriers le 21 juillet 2021 sur un chantier à La Chapelle-des-Fougeretz (Ille-et-Vilaine).
Romain Quenet intervenait ce matin-là vers 7h30 avec deux de ses collègues de la SARL Martiniault Bâtiment sur un ancien magasin de meubles Conforama voué à être transformé en logements, a d'abord resitué le président du tribunal correctionnel de Rennes.
Mais les travaux intérieurs de ce projet immobilier avaient été "touchés par des difficultés" qui avaient conduit au "décalage du programme". Cela avait donc incité le patron de la société de Val-d'Izé à profiter de la présence de ses employés sur place, à La Chapelle-des-Fougeretz, pour "anticiper" des travaux qui auraient dû avoir lieu deux mois plus tard.
Une "sorte d'atelier hors-sol" avait donc été mis en place sur le site du chantier pour couler trois "poutres horizontales en béton" qui allaient servir de "rampe d'accès extérieure". Alors que celles-ci étaient "censées avoir suffisamment durci", la victime et un de ses collègues avaient donc entamé leur décoffrage. Mais "aucun témoin oculaire" n'a assisté à la mort de l'ouvrier : son binôme était parti "chercher un grattoir" quand une poutre de 3,60 mètres de long et pesant 2,9 tonnes est tombée sur lui.
La victime avait consommé du cannabis quelque temps auparavant
L'inspection du travail a elle conclu que les "étais simples" qui avaient été mis à disposition des ouvriers du chantier pour mener à bien cette opération étaient de nature à "interroger" sur une responsabilité pénale de l'employeur : ils étaient "totalement inadaptés" et "proscrits" en de telles circonstances, a-t-il été dit au procès.
De son côté, l'avocat de la SARL Martiniault Bâtiment a entendu plaider une relaxe de la société pour ces faits : l'ouvrier avait commis une "faute" de nature à l'exonérer de sa responsabilité en ayant fumé du cannabis et "l'organisation du chantier" a été confiée à un chef d'équipe "qui n'avait pas de délégation de pouvoir" pour initier de telles opérations.
Mais le président du tribunal correctionnel de Rennes a fait observer que la consommation de cannabis par l'ouvrier ne datait "pas du matin" du drame, selon les toxicologues. Il lui a aussi bien été diagnostiqué une "pathologie cardiaque" qui n'était "pas connue" lors de son examen post-mortem mais cela n'était pas à l'origine de sa mort. Par ailleurs, la procureure de la République a fait savoir, de son côté, qu'elle n'avait "pas de doute" sur le fait que la responsabilité du chef d'équipe ne pouvait pas être engagée dans ce drame.
La CGT réclame 10.000 €
La Fédération nationale CGT des ouvriers et de la construction, du bois et de l'ameublement s'est constituée partie civile dans cette affaire. "Il y a un mort par jour dans le secteur de la construction", a d'emblée resitué son avocate. "Il est donc important pour les syndicats de se mobiliser, et pour cela la Coupe du monde de foot au Qatar nous a un peu aidés : le nombre de morts sur les chantiers au Qatar a interpellé nos journalistes français, qui se sont demandé comment cela se passait en France. Résultat : une charte a été signée pour les Jeux olympiques et il n'y a pas eu un seul mort ! Ce qui signifie que, quand on fait attention et que les médias du monde entier ont les yeux rivés sur ce problème, on peut y arriver."
"Si on avait un TGV qui s'écrasait avec tous ces morts en même temps, l'affaire ferait à coup sûr la Une des journaux", a aussi regretté l'avocate de la CGT. "Mais les accidents du travail ne font l'objet que d'entrefilets dans la presse locale... Or ce n'est pas un fait divers : il n'est pas normal de perdre la vie quand on cherche juste à la gagner."
Le syndicat a donc demandé 10.000 € de dommages et intérêts à l'entreprise de Val-d'Izé, qui emploie seize personnes. "Nos morts, ce n'est pas chez Vinci ou Eiffage qu'on les trouve, c'est dans les petites entreprises", a assuré l'avocate. "C'est sûr que le Code du travail c'est pénible avec son mille-feuilles de textes et que ça peut servir de cale-porte... mais pas que."
Après avoir entendu l'avocat des proches de la victime, présents à l'audience, la procureure de la République de Rennes a pris la parole pour entamer ses réquisitions. Elle a finalement requis une amende de 80.000 € à l'encontre de l'entreprise pour son "homicide involontaire" et 30.000 € pour ses infractions au code du travail.
L'entreprise était représentée à la barre par le repreneur actuel, âgé de 42 ans, qui a repris la société "il y a seize mois" auprès du précédent gérant, qui dirigeait cette entreprise familiale au moment du drame.
Le précédent gérant se sent moralement responsable
"S'est posée la question que le précédent gérant vienne aujourd'hui au tribunal pour tenter de soutenir son repreneur à la barre, même si rien ne l'y obligeait, mais il ne peut pas", a dit son avocat Me William Pineau. "Ce n'est pas une dérobade : il est juste pétri de honte. Il se sent moralement effroyablement responsable."
L'avocat a malgré tout plaidé "une non-responsabilité pénale" pour son ancienne entreprise, qui était jusqu'alors inconnue de la justice, même si celle-ci sera "bien évidemment civilement" responsable quand il faudra dédommager les proches de la victime.
Le tribunal correctionnel de Rennes, qui a mis son jugement en délibéré, rendra sa décision dans six semaines.
SG/GF (PressPepper)