Vaches échouées sur les plages de Bretagne : la face visible du transport en mer d'animaux vivants

Des bovins échoués sur les plages de la pointe bretonne, une image horrible. Des cadavres de jeunes taureaux, des vaches, les corps de ces animaux morts se retrouvent sur la côte finistérienne. Leurs boucles d’identification ont été retirées de leurs oreilles. Ils ont été largués en mer depuis des navires, des bétaillères maritimes. Retour sur notre enquête.

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Republication de notre enquête de décembre 2023.

Une vache échouée sur la plage. La découverte macabre a été faite par Roseline et son mari, le dimanche 10 décembre 2023, lors d’une randonnée sur le littoral de Crozon dans le Finistère. Derrière cette image choquante plane l'ombre du transport d'animaux vivants par voie maritime.

Un mode de transport où l'éthique et le bien-être animal semblent avoir totalement quitté le navire.

Un bovin échoué sur la plage

Roseline nous raconte la scène. “Nous étions sur la plage de l’Aber, dans la baie de Douarnenez et nous avons vu ce bovin échoué, mort sur la plage, détaille la promeneuse. La carcasse n’était pas dégradée, cela ne faisait pas longtemps que l'animal devait être dans l’eau”.


La mer est basse. L'animal, un jeune taureau est étendu sur le sable. Le premier réflexe de cette famille est de contacter la mairie de Crozon pour les alerter de la situation.

Quelqu’un lui a enlevé cette boucle avant de le lancer à l’eau.

Didier Cadiou

“Ce taurillon était débagué” lâche l’employé de mairie. En le retirant de la plage, “nous avons constaté qu’il avait un trou dans l’oreille correspondant aux boucles que portent les animaux d’élevages”. Pour Didier Cadiou, pas de doute, “Quelqu’un lui a enlevé cette boucle avant de le lancer à l’eau”.

Un animal mort sur un bateau de transport, puis jeté par-dessus bord. Pour ce Breton pas d’autres solutions : “il y a peu de chances que ce bovin s’amuse à s’enlever sa marque d’immatriculation avant de se jeter dans l’eau…”. 

Didier Cadiou a fait “au plus vite pour enlever l’animal de la plage. Plus un bovin reste dans l’eau, plus c’est compliqué à retirer” constate d’expérience ce professionnel.

Une dizaine de vaches échouées sur les plages du Finistère

Car ce n’est plus un fait isolé. À Tréogat, à Trégunc, à Crozon… Depuis novembre 2023, au moins trois bovins ont été retrouvés échoués sur les côtes du Finistère. Les cadavres semblent avoir passé beaucoup de temps dans l'eau. À chaque fois, leurs bagues d'identification ont été enlevées.

Le mois dernier sur la commune de Trégunc, toujours sur la pointe Bretonne, une autre vache était découverte échouée sur la plage. “Nous sommes à une dizaine de bovins retrouvés échoués sur les côtes du Finistère ces derniers jours” précise l’observatoire PELAGIS. 

Spécialisé dans le suivi des populations de mammifères et d’oiseaux marins, ce centre travaille avec des scientifiques. “Notre correspondant local a observé ces situations sur le terrain” appuie un membre de l’équipe PELAGIS contacté par téléphone.

Lire aussi : Vaches échouées dans le Finistère : "Ce n'est que la face visible des terribles conditions du transport en mer d'animaux vivants"

Suspect principal : les cargos géants transportant du bétail

Des bovins retrouvés échoués sur la plage avec leurs éléments d’identification retirés, la préfecture maritime de l’Atlantique en dénombre “au moins deux cas”. Contacté par téléphone, les services de la Premar précise qu’ ”aucune enquête n’a été sollicité par les autorités compétentes” pour retrouver le navire qui aurait pu se débarrasser d’animaux morts.

Le transport de bétail par voie maritime ne fait pas encore l’objet d’enquêtes avancées par les organisations de protections des animaux. “Nous allons devoir y travailler” souffle Sea Sheperd.

Le transport de bétail par des bétaillères maritimes se développe entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Ces cargos géants peuvent transporter des milliers de bovins. 

Suspect principal : un navire en particulier. Quelques semaines plus tôt, à la suite des mauvaises conditions météorologiques, l’un de ces navires géants s’était mis à l’abri le 11 novembre dernier devant le port de Douarnenez. Cette embarcation, le Sarah M, transportait 2.000 jeunes taureaux entre l'Irlande et la Libye.

Une hypothèse probable selon Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar). "C’est la pratique habituelle dans le transport maritime quel que soit le type d'animal. Les animaux morts sont balancés à la mer."

C’est la pratique habituelle dans le transport maritime quel que soit le type d'animal. Les animaux morts sont balancés à la mer.

Paul Tourret

Selon un rapport de la commission européenne publié en 2020, chaque année, près de 3 millions d'animaux vivants (plus de 2 millions de moutons et de chèvres et 625 000 bovins) sont exportés par bateau de l'Union européenne vers les pays du pourtour méditerranéen.

L'inquiétude des ONG

L’état de ces navires, le manque de nourriture pour les animaux à bord, les mauvaises conditions de stockage des denrées et des bêtes inquiètent les ONG de protection des animaux.

En 2019, 14 600 moutons meurent dans le port de Midia en Roumanie lors du naufrage du Queen Hind. Celui du Gulf Livestock en 2020, cause la mort de ses 41 marins et de ses 5 800 bovins.

En 2021, l'Elbeik et le Karim Allah, des bétaillères construites dans les années 60, errent pendant des mois en Méditerranée, essuyant de nombreux refus des autorités portuaires dans lesquels ils tentent de débarquer les bovins qu'elles transportent.

À leur bord, respectivement 1800 et 850 bovins qui ne seront pas nourris durant plusieurs jours d'affilée. L'ensemble de ces cheptels sera finalement abattu par les autorités espagnoles à Carthagène, leur port de départ…  

Agréer des cargos qui ne sont même plus bons à transporter des voitures pour transporter des animaux vivants, ça pose question.

Johanne Mielcarek

Porte-parole L214

Et les bateaux qui assurent ces transports sont souvent en très mauvais état. C'est ce que constate, dans un rapport publié en 2020, le MoU de Paris, un organisme regroupant 27 nations maritimes et qui classe chaque année dans sa liste noire les pays dont les bateaux sont les plus dangereux.

"On est sur des bateaux qui ont en moyenne plus de 40 ans qui devraient aller à la casse", s'insurge la porte-parole de L214. Sur les 78 bateaux agréés par la Commission européenne pour le transport d'animaux vivants, une large majorité est sous un pavillon de complaisance et dépendant en réalité de nations inscrites sur les listes noires ou grises du MoU. 

"Agréer des cargos qui ne sont même plus bons à transporter des voitures pour transporter des animaux vivants, ça pose question" lance Johanne Mielcarek. L'association appelle désormais l'Europe à revoir sa réglementation en interdisant le transport des animaux les plus fragiles comme les veaux non sevrés, en limitant les phases de transport à 8h maximum et en réalisant des contrôles à bord de ces bétaillères des mers.

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