Vaches échouées dans le Finistère : "Ce n'est que la face visible des terribles conditions du transport en mer d'animaux vivants"

C'est un mode de transport où l'éthique et le bien-être animal semblent avoir totalement quitté le navire. Alors que ces dernières semaines, plusieurs cadavres de bovins ont été retrouvés échoués sur des plages finistériennes, des organisations de défense animale appellent la Commission européenne à réviser la réglementation sur le transport maritime d'animaux vivants et à multiplier les contrôles.

À Tréogat, à Trégunc, à Crozon… Depuis novembre 2023, au moins trois bovins ont été retrouvés échoués sur les côtes du Finistère. Les cadavres semblent avoir passé beaucoup de temps dans l'eau. À chaque fois, leurs bagues d'identification ont été enlevées.

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Didier Cadiou est employé municipal à Crozon. C'est lui qui a fait retirer le taurillon retrouvé sur la plage de l'Aber le 10 décembre 2023. Pour lui, pas de doute, “quelqu’un lui a enlevé cette boucle avant de le lancer à l’eau”.

Suspect principal : les cargos géants transportant du bétail. Quelques semaines plus tôt, le 11 novembre dernier, un navire transportant des veaux de l'Irlande vers la Libye s’était justement mis à l’abri devant le port de Douarnenez avant l'arrivée de la tempête Ciaran. 

Une hypothèse probable selon Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar). 

"C’est la pratique habituelle dans le transport maritime quel que soit le type d'animal. Les animaux morts sont balancés à la mer."

Paul Tourret

Directeur de l'Institut Supérieur d'Économie Maritime (ISEMAR)

Selon un rapport de la commission européenne publié en 2020, chaque année, près de 3 millions d'animaux vivants (plus de 2 millions de moutons et de chèvres et 625 000 bovins) sont exportés par bateau de l'Union européenne vers les pays du pourtour méditerranéen. 

"Ces animaux sont destinés à des pays qui ont besoin de génisses pour renforcer les élevages laitiers ou d'animaux de bouche, surtout des moutons, indique Paul Tourret. En France, des vaches élevées dans le Massif central sont ainsi envoyées en Algérie via le port de Sètes. Mais la plupart des exportations sont réalisées par la Roumanie et d'autres pays de l'est."

Des pays, qui une fois les animaux chargés sur les bateaux, n'en sont plus responsables. La plupart du temps, c'est l'acheteur qui prend en charge les frais et les risques liés à "sa marchandise". 

Selon ce même rapport européen, "cela crée une incertitude juridique quant à savoir qui est légalement responsable du bien-être des animaux en mer. S’il y a des morts, personne n’est responsable".

Pour Johanne Mielcarek, porte-parole de L214, l'association de défense animale :

"On aimerait que ces échouages de bovins ne soient pas traités comme de simples faits divers. Ils constituent "la face échouée" de ce que représente le transport maritime d'animaux vivants."

Johanne Mielcarek

Porte-parole L214

Avec deux autres organisations, L214 a suivi le transport de veaux non sevrés de l'Irlande vers des élevages d'engraissement aux Pays-Bas, transitant par le port de Cherbourg. L'association a constaté des phases de transport de plus de 40h alors que la limite maximale autorisée par l'Europe est de 19h. 

Si l'Europe limite les phases de transport, c'est-à-dire la période entre deux déchargements, la durée totale est quant à elle illimitée. 

"La réglementation européenne encadrant ce transport maritime d'animaux vivant est déjà très lacunaire, mais même ce minimum-là n'est pas respecté", s'insurge Johanne Mielcarek. 

Le directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime l'assure lui aussi : "ce marché a très mauvaise réputation."

Et pour cause, ces dernières années, de nombreux drames ont illustré les terribles manquements de ce mode de transport : 

En 2019, 14 600 moutons meurent dans le port de Midia en Roumanie lors du naufrage du Queen Hind. Celui du Gulf Livestock en 2020, cause la mort de ses 41 marins et de ses 5 800 bovins. En 2021, l'Elbeik et le Karim Allah, des bétaillères construites dans les années 60, errent pendant des mois en Méditerranée, essuyant de nombreux refus des autorités portuaires dans lesquels ils tentent de débarquer les bovins qu'elles transportent. À leur bord, respectivement 1800 et 850 bovins qui ne seront pas nourris durant plusieurs jours d'affilée. L'ensemble de ces cheptels sera finalement abattu par les autorités espagnoles à Carthagène, leur port de départ…  

"On ne sait pas ce qui se passe en mer, dénonce Johanne Mielcarek. Il n'y a aucun contrôle à bord de ces bateaux, pas de passage de vétérinaires alors que ces voyages peuvent durer près de 15 jours. Les conditions sont souvent difficiles, ça tangue énormément et les animaux ne sont pas toujours nourris."

Et les bateaux qui assurent ces transports sont souvent en très mauvais état. C'est ce que constate, dans un rapport publié en 2020, le MoU de Paris, un organisme regroupant 27 nations maritimes et qui classe chaque année dans sa liste noire les pays dont les bateaux sont les plus dangereux.

"Les navires bétaillers constituent la catégorie de navire qui affiche le plus grand nombre de déficiences [...] : 95% des inspections menées en 2020, ont abouti à une ou plusieurs non-conformités."

Mémorandum d'entente de Paris sur le contrôle des navires par l'État du Port (MoU de Paris)

Rapport annuel 2020

"On est sur des bateaux qui ont en moyenne plus de 40 ans qui devraient aller à la casse", s'insurge la porte-parole de L214. Sur les 78 bateaux agréés par la Commission européenne pour le transport d'animaux vivants, une large majorité sont sous un pavillon de complaisance et dépendant en réalité de nations inscrites sur les listes noires ou grises du MoU. 

"Agréer des cargos qui ne sont même plus bons à transporter des voitures pour transporter des animaux vivants, ça pose question."

Johanne Mielcarek

Porte-parole L214

L'association appelle désormais l'Europe à revoir sa réglementation en interdisant le transport des animaux les plus fragiles comme les veaux non sevrés, en limitant les phases de transport à 8h maximum et en réalisant des contrôles à bord de ces bétaillères des mers.

"La réglementation européenne qui encadre le transport d'animaux vivants datait de 2005. Elle n'avait pas bougé depuis malgré les rapports des ONG et des scientifiques", assure la porte-parole de L214. 

Le 7 décembre dernier, la Commission européenne a enfin publié une proposition encadrant le transport d'animaux vivant. Douche froide pour les militants : "C'est bien en deçà des attentes des ONG et des scientifiques", estime Johanne Mielcarek qui regrette en particulier que les phases de longs transports "de plus de 8 h" n'aient pas été totalement interdits. 

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