Décès d'Allan Lambin au commissariat de Saint-Malo : "toujours pas de mise en examen", la famille ne comprend pas

Allan Lambin est mort le 9 février 2019 dans une cellule du commissariat de Saint-Malo. Près de 18 mois après les faits, l'avocate de la famille ne comprend pas pourquoi "aucune mise en examen n'a été prononcée dans un dossier qui n'avance pas, malgré des manquements avérés des policiers". 

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Allan Lambin est-il mort des suites du plaquage ventral qu'il a subi lors de son interpellation? Est-il décédé des coups qu'il aurait également reçus de la part des policiers lors de l'arrestation?

Est-il décédé de l'absence de soins dans sa cellule après cette arrestation violente? Les policiers ont-ils fait usage de faux en écriture, ont-ils omis de porter secours à une personne dont ils avaient la garde?...

Pourquoi, 18 mois après les faits, aucun policier n'est mis en examen dans cette affaire?
 

Nuit noire

Allan est interpellé dans la soirée du 9 février 2019, après avoir embourbé sa voiture dans un fossé à Dinard. Il revient d'une après-midi billard avec son père et quatre amis, dans deux véhicules. L'accident est sans gravité. Un automobiliste de passage prévient pourtant les pompiers, qui appellent la police. Allan est très légèrement au-dessus du taux légal d'alcolémie. Le père d'Allan, lui, est plus fortement alcolisé.

Les témoins en attestent, ils racontent que les policiers sont nerveux, et d'emblée agressifs. L'interpellation se passe mal, Allan est plaqué au sol, le genou d'un policier dans le dos. Puis des coups pleuvent. Allan est sonné, apathique, il se pleint de la poitrine, il est embarqué au commissariat de Saint-Malo.

Son père, alcoolisé, est lui-même embarqué un peu plus tard par la police municipale. Il coopère, il pense retrouver son fils au commissariat. Arrivé sur place il demande des nouvelles, on refuse de lui en donner. Franck Lambin est lui aussi placé en cellule, un peu après 23h.

Entre-temps, arrivé plus tôt au poste, Allan a déjà fait un malaise. Il git par terre dans sa cellule, à l'insu de ses gardiens sensés le surveiller tous les quarts d'heure. Pendant ce temps-là, la vidéo-surveillance tourne.

A peine quelques minutes après la visite très rapide d'un médecin, qui le déclare pourtant "apte" au placement en détention, il s'affaisse au sol, il ne se relèvera plus. Laissé sans surveillance, les policiers n'appelleront les secours que près de deux heures plus tard, sans oublier de "falsifier la fiche de surveillance des cellules" rappelle Maître Laudic-Baron, l'avocate de la famille.

L'article à lire pour un rappel complet des faits


Un silence étouffant

Tant de questions planent encore autour du décès d'Allan Lambin lors de cette nuit du 9 au 10 février 2019. Tant de questions, et autant de réponses qui ne viennent pas. A part une seule, celle d'un premier rapport d'autopsie : Allan Lambin est mort d'un syndrome asphyxique avec hémorragie.

"Syndrome asphyxique", une expression clinique, froide, qui résonne durement aujourd'hui. Un terme qui rappelle les décès d'Adama Traoré, de Cédric Chauviat, de George Floyd... tous décédés lors d'interventions musclées des forces de l'ordre. Etouffement. Silence.

Des morts qui partout dans le monde, poussent les gens dans la rue, pour protester contre les violences policières et le racisme, pour briser le silence, briser l'étouffement.

"I can't breathe", je ne peux pas respirer.
 


Dépaysement, confinement

Pendant plus de dix mois, rien n'avance. L'instruction à Saint-Malo n'instruit que les faits à l'intérieur du commissariat, refuse d'instruire la violence de l'arrestation à Dinard. L'IGPN entend des témoins, qui se plaindront des questions orientées de la police des polices. L'IGPN ne convoque pas non plus Franck Lambin, le père d'Allan Lambin, présent lors de tous les faits, de l'interpellation jusqu'au commissariat...

Quand enfin, en novembre, le dépaysement de l'instruction à Rennes est prononcé à la demande de Me Laudic-Baron, l'avocate de la famille.

Au début de l'année, l'instruction redémarre. Franck Lambin est entendu par la nouvelle juge d'instruction. "J'ai également été convoqué par une association mandatée par le juge, pour parler d'Allan, de sa personnalité. Sa cousine, sa grand-mère, la petite amie d'Allan ont aussi été entendues".

Mais toujours pas de mise en examen. "Vous comprenez bien que le contexte actuel remue beaucoup de choses pour la famille, ils sont en colère, aucun policier à ce jour n'est mis en cause! Il y a urgence à ce que le dossier avance" nous dit Me. Laudic-Baron.

Il y a eu la pause du confinement, c'est vrai. Mais entre la reprise en main de l'affaire par la juge d'instruction de Rennes au début de l'année et aujourd'hui, il n'y a toujours pas de policier mis en cause. Je ne comprends pas. Ça fait 18 mois que ça dure, on ne peut pas laisser la famille comme ça! - Me. Laudic-Baron


Manquements et brutalité

Et l'avocate de rappeler les faits et les manquements graves à l'intérieur du commissariat : une fiche de surveillance des cellules falsifiée, qui certifie qu'Allan est allongé sur sa couchette, alors qu'il gît à terre, prostré pendant une heure trente. Une feuille signée a posteriori par un policier en patrouille, alors absent au moment de la surveillance supposée. Faux et usage.

Pendant qu'Allan agonise seul dans sa cellule, sans une surveillance réglementaire imposée tous les quarts d'heure, les policiers qui l'ont interpellé avec violence à Dinard sont avec leurs collègues de Saint-Malo en train de déposer plainte contre lui... pour outrage. Omission de porter secours.

Une plainte est également déposée contre le médecin de garde, pour non assistance à personne en danger. Selon le rapport manuscrit de la vidéo-surveillance, le médecin n'aurait ausculté Allan qu'une poignée de minutes, vers 22h40. Juste à près le départ du médecin, il gisait inconscient dans sa cellule, vers 22h50. A l'insu des policiers. Le SAMU n'est arrivé que vers minuit quinze, minuit trente.

Et puis les violences contre le père d'Allan, placé lui aussi en cellule. Des violences pendant l'arrestation : des coups, "parfaitement injustifiés" selon plusieurs témoins. Puis d'autres violences, lorsqu'on l'enferme avec force en cellule, lui claquant la porte sur la main. "Après une heure de détention, on m'a emmené voir le médecin. J'ai vu le SAMU dans le couloir des cellules, je voulais prendre des nouvelles de mon garçon..." 

 


 

Quelques pas

La contre-expertise médicale demandée par la famille, longtemps refusée à Saint-Malo a été acceptée à Rennes et elle a commencé à rendre quelques résultats. On sait déjà que le décès d'Allan n'est pas dû aux suites du très léger accident de voiture d'Allan, au départ de toute cette affaire.

Franck Lambin se rappelle. "Imaginez-vous que le premier rapport d'autopsie évoquait la fracture du sternum de mon fils comme la possible conséquence des massages de réanimation. Ce rapport n'évoquait même pas les coups lors de l'interpellation". 

N'ayant jusque là accès qu'au rapport manuscrit de la vidéo-surveillance, l'avocate de la famille va enfin pouvoir visionner les images, dans le bureau du juge. Rendez-vous est pris. La contre-expertise médicale complète devrait également être connue dans les prochaines semaines.
 

 

La rue gronde

Anita Férard, la soeur de Franck Lambin admet avec difficulté les lenteurs de la procédure "On comprend bien qu'il faut un peu de temps pour que la nouvelle juge d'instruction à Rennes s'imprègne des faits, mais que de temps perdu..."

Notre dernier Noël sans Allan a été horrible. Les policiers, le médecin, eux ils ont profité des fêtes. Pas nous. - Anita Férard

Samedi 6 juin, elle participait avec son frère à la manifestation contre les violences policières, à Rennes.

 

"L'instruction suit son cours"


Nous avons contacté le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc. Il nous a adressé ces réponses : "Pour mémoire, [...], une information judiciaire pour homicide involontaire et non assistance à personne en péril a été ouverte par le procureur de Saint Malo le 12 février 2019 et confiée à un juge d'instruction de ce tribunal."

"Le dossier a été transmis concrètement à notre juridiction en novembre 2019. J'ai alors reçu la partie civile. Début 2020, la partie civile a été également  reçue, avec son avocat, par le magistrat instructeur afin de l'informer des investigations à venir et du calendrier prévisible de celles-ci."

Les investigations diligentées se concentrent à ce stade sur l'ensemble des expertises médicales et scientifiques tendant à avoir la vue la plus exhaustive possible du déroulement des faits (depuis l'interpellation jusqu'au décès) et cerner avec précision les causes du décès de la victime. Malgré la période de confinement, nombre de ces expertises ont pu être versées au dossier.

Au terme de cette première  phase de l'instruction qui devrait se terminer dans quelques semaines, il appartiendra au magistat instructeur de déterminer les éventuelles responsabilités pénales et de procéder s'il y a lieu à des mises en examen. - Philippe Astruc, procureur de la République.

Pour l'heure, pas de sanctions administratives non plus, qui de toute façon, "ne relèvent pas de l'institution judiciaire", précise le procureur. "Sept mois après sa saisine, le magistrat instructeur œuvre avec rigueur et méthode, de manière diligente dans la recherche de la manifestation de la vérité". 

Franck Lambin a déposé cinq plaintes en février 2019, il y a 18 mois : Non-assistance à personne en danger à l’encontre du médecin, Mort suspecte, Coups et blessures sur sa personne, Violence policières sur Allan, Modification de témoignages et dissimulation de preuve contre l’IGPN. S’ajoute également la plainte pour faux et usage de faux contre le commissariat de Saint-Malo, plainte déposée le 13 décembre dernier sur le bureau du procureur par Me. Laudic-Baron. 

Actif sur les réseaux sociaux pour parler de son fils, le père d'Allan ferait lui l'objet de plusieurs plaintes de la part des policiers de Saint-Malo, pour diffamation.

 

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