Elle a été deux fois ministre sous l'ère Sarkozy, puis sénatrice, et présidente de la Commission nationale du débat public. L'environnement aura été le fil rouge de sa carrière publique. Elle conseille aujourd'hui les entreprises ou collectivités, au sein d'une grande entreprise internationale. Son regard sur la politique, mais aussi sur la place du citoyen, a changé au fil de sa carrière. On a rencontré Chantal Jouanno, que le franc-parler caractérise, au Forum économique Breton.
La transition énergétique aura été le fil rouge de sa carrière. Un parcours "un peu à l'envers" où elle aura débuté en politique, quasiment avec un secrétariat d'État au développement durable, après avoir été "plume" et conseillère de Nicolas Sarkozy. Un peu plus d'un an au Développement durable, puis une année supplémentaire au Sport. En 2011, cette karatéka de haut niveau entame un mandat de sénatrice, puis dirigera le CNDP durant 5 ans, jusqu'en 2023.
Les vertus du débat public
Nous sommes en 2018. Sous sa direction, cet organisme qui garantit l'organisation d'un débat public avant tout projet environnemental, "et pas forcément d'énormes projets", a multiplié ses dossiers par six. Nommée par Emmanuel Macron après la crise des Gilets jaunes début 2019, elle claque la porte du grand débat national qui suit. Une question de "méthode" explique-t-elle à l'époque, alors qu'une polémique éclate sur son salaire (plus de 170 000 euros annuels) à la tête de la CNDP.
Ce sera le seul véritable "couac" dans sa carrière publique, dont on retient son franc-parler et une relative indépendance d'esprit. Elle a considéré en 2012 que la campagne de Nicolas Sarkozy et une certaine droite populaire validait "les mots et l'agenda du Front National", mais aussi - à la même époque - que "l'électeur finirait par préférer l'original à la copie". Depuis, certains de son ancien bord politique ont franchi le Rubicon.
Nouvelle carrière
Mais, de la politique partisane, Chantal Jouanno en est désormais loin. Elle confesse même que sa parole se fait rare (bien qu'elle multiplie les conférences au titre de managing director chez Accenture) et qu'elle accorde peu d'interviews. Et lorsque l'on demande si un coup de fil de Michel Barnier risque de déranger l'entretien, on sent bien que l'on reste dans le clin d'œil. Le territoire, et plus particulièrement l'importance du débat et de la participation citoyenne dans les projets de transition énergétique, sont désormais ses leitmotivs.
Retrouvez l'intégralité de l'entretien avec Chantal Jouanno :
Il y a des personnes agressives, mais c'est l'ultra minorité de ce qu'on voit dans les débats publics
Chantal Jouanno
Avec le temps, Chantal Jouanno ne semble pas regretter ce temps de l'action politique. Pour elle, engagée en 2002, "c'était il y a très très longtemps". "Ce qui m'a amenée à quitter la politique, c'est cette espèce de réflexe de vieux, qui tend à dire "Non, mais tout ça, on l'a déjà proposé. Tout ça, on l'a déjà fait"" explique-t-elle, appelant à un regard neuf. Car "ce sont des questions qu'on traîne depuis longtemps, qu'on connaît et qui finalement n'avancent pas assez vite."
Son parcours à la Commission nationale du débat public lui a en effet fait découvrir l'importance du débat public, de l'implication des citoyens. Une "expérience purement démocratique" dans laquelle elle est arrivée "pleine de certitudes" et "un peu de prétention", et qui l'aura convaincue que malgré tout les choses avancent.
Démocratie de terrain
"On nous dit tout le temps que les gens sont agressifs et ne comprennent rien, moi ce que j'ai vu sur le terrain, c'est juste l'inverse" constate Chantal Jouanno. "Certes, il y a des personnes agressives, mais c'est l'ultra minorité de ce qu'on voit dans les débats publics, vraiment ultra minoritaires. On avait une centaine de concertations et débats publics par an. On n'a pas mis la France à feu et à sang" affirme-t-elle.
Cette expérience de 14 débats publics sur de gros projets de parcs éoliens offshore ou d'EPR comme celui de Penly, auxquels il faut rajouter plusieurs centaines de plus petits projets, "c'est vraiment la démocratie de terrain, la démocratie de projet, loin des effets de manche qu'on peut avoir à l'Assemblée ou au Sénat."
La question de l'eau s'est invitée dans le débat politique très récemment.
Chantal Jouanno
Dans le monde de l'entreprise - Accenture, également installée à nantes et à Brest - dans lequel elle évolue, "où l'on n'est plus quelqu'un d'établi, où il faut tout réapprendre", Chantal Jouanno expérimente le pragmatisme dans la transition énergétique. En particulier dans ses deux domaines d'intervention, les déchets et la gestion de l'eau.
"De manière concrète, la plupart des entreprises aujourd'hui sont entrées dans le dur sur ces sujets-là. Quand vous ne pouvez pas vous approvisionner parce que votre fournisseur a été inondé ou parce qu'il n'a pas assez d'eau pour pouvoir justement fabriquer les produits dont vous avez besoin, on rentre dans le dur" explique-t-elle, pour poser le décor.
Dans ces sujets, la réponse tient autant "dans la feuille de route" que dans la solution que l'on délivre.
L'eau, l'urgence du moment
De cette expérience à la Commission nationale du débat public, et encore plus aujourd'hui dans le monde de l'entreprise, Chantal Jouanno sort confortée par les vertus de ce qui vient du terrain, du territoire. Une proximité, elle l'avoue, qui lui a manqué. Voire lui a fait défaut, lorsqu'elle était en politique.
C'est un changement de méthode qu'elle prône aujourd'hui, notamment sur les questions de gestion de l'eau. "La question de l'eau s'est invitée dans le débat politique récemment, très récemment, on va dire il y a deux ou trois ans" fait-elle remarquer, alors que des rapports prospectifs posaient déjà la question des conflits d'usage sur le territoire, "dans des bassins comme celui du Rhône, ou de l'Adour-Garonne", "on n'y croyait pas trop à l'époque".
Même si notre système de l'eau est remarquable selon Chantal Jouanno, les conflits d'usage - comme autour des méga-bassines ou des retenues collinaires - vont se multiplier. "Il faut que la gouvernance de l'eau soit revue au regard de l'urgence de ces sujets" analyse-t-elle. "Quand on élabore des schémas pour savoir comment on va gérer l'eau dans l'avenir, on prend cinq, six ou sept ans. C'est trop, on ne peut pas. On n'a plus ce temps-là devant nous."