Une énergie renouvelable, propre, sans déchets, à la production quantifiable et prévisible : malgré quelques bémols, c'est le miracle réussi depuis 50 ans par l'usine marémotrice de la Rance, entre Saint-Malo et Dinard.
L'usine marémotrice de la Rance fête ses 50 ans mais toujours pas d'héritières. Le miracle semble rester unique. La construction de ce prototype, produisant de l'électricité à partir de l'énergie des marées, est une décision du général de Gaulle qui a inauguré l'usine fin 1966. "A l'époque, la France avait une volonté très forte d'indépendance énergétique", marquée également par les débuts du nucléaire, rappelle Michaël Allali, directeur EDF hydroélectricité Bretagne/Normandie.
Depuis les années 1960, le nucléaire a prospéré en France mais l'énergie marémotrice, elle, s'est encalminée: bien qu'elle ait fait quelques émules à l'étranger, l'usine de la Rance reste unique en France. Pourtant, sa production d'électricité, qui pourrait être encore améliorée en la modernisant, est loin d'être négligeable: avec ses 24 turbines de 5,35 m, aux pales orientables selon le sens de la marée, cette usine de 240 mégawatts (MW) pourvoit en moyenne aux besoins de 250.000 foyers, soit l'équivalent d'une ville comme Rennes. Et même parfois nettement plus: lors de la "marée du siècle", le 21 mars, l'usine "a produit l'équivalent de la consommation des villes de Rennes et Nantes!", se félicite l'opérateur.
Pour les besoins de l'usine, l'embouchure de la Rance a été fermée par un barrage d'une longueur de 750 m, surmonté d'une route. Ce qui a raccourci d'une trentaine de kilomètres le parcours entre Dinard et Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) qui se font face sur la mer. Mais le barrage a aussi accentué l'envasement de l'estuaire de la Rance et modifié le milieu, assurent ses détracteurs, photos et croquis à l'appui. Si personne ne remet en cause l'usine, plusieurs centaines de personnes ont encore manifesté sur le site le week-end dernier, exigeant un plan d'action pour débarrasser l'estuaire des sédiments accumulés.
Un modèle inégalé
"Nous demandons que soient gérées les conséquences environnementales qui n'ont pas été prises en compte lors de la construction car c'était une autre époque", résume Didier Lechien, maire (UDI) de Dinan (Côtes d'Armor) et président de Coeur Emeraude, une association qui rassemble collectivités, acteurs socio-professionnels et associatifs, et réclame un plan de gestion des sédiments sur 25 ans. "Dans l'estuaire, EDF (à qui l'Etat a accordé la concession jusqu'en 2043, ndlr) assume son obligation d'entretien du chenal de navigation", rétorque M. Allali.Mais "l'envasement concerne prioritairement le domaine public maritime", du ressort de l'Etat, et entrave la navigation, insiste le président de Coeur Emeraude. Ce dernier se félicite cependant de l'implication récente du ministère de l'Environnement qui a mis en place une réflexion pour réduire l'impact environnemental du barrage. Quoiqu'il en soit, 50 ans plus tard, "il y a très peu d'installations aussi innovantes dans le monde", constate M. Allali. La Corée du Sud en a bien construit une un peu plus importante (254 MW), mise en service en 2011. "Mais elle produit moins car elle ne fonctionne que dans un seul sens, alors que la Rance fonctionne à marée montante et descendante".
En Grande-Bretagne, le projet privé d'usine marémotrice géante - un barrage de 22 km de long - à l'embouchure de la Severn, dans le sud-ouest du royaume, semble avoir du plomb dans l'aile. Le consortium d'investisseurs a examiné à la loupe l'usine de la Rance, seul précédent en Europe et qui constitue à ce titre un retour d'expérience majeur. Une délégation est encore attendue très prochainement en Bretagne, selon le représentant d'EDF.
Et en France? "Il faut des conditions très particulières pour permettre l'installation d'une usine ce type", souligne le responsable d'EDF : de très fortes amplitudes de marées, un estuaire long, doté d'une embouchure étroite. "Il y a très peu de sites en France à réunir ces trois éléments". Avec une amplitude de 13,50 m, les marées dans ce secteur figurent parmi les plus importantes au monde. Les seuls véritables autres sites propices en France se situent
dans la baie du Mont-Saint-Michel: autrement dit, totalement inenvisageable aujourd'hui.