Les noms de 600 chercheurs figurent sur un blog les accusant d'être "complices de l'islam radical". Des universitaires bretons font partie de cette liste. Ils estiment que leur ministre Frédérique Vidal a ouvert la boîte de Pandore avec ses déclarations sur "l'islamo-gauchisme" à l'université.
"Vidal a ouvert la boîte de Pandore !". C'est la phrase qui revient le plus souvent dans la bouche des enseignants-chercheurs bretons, après la publication, sur un blog, des noms de 600 chercheurs accusés d'être "complices de l'islam radical".
"Quand la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche dit elle-même dans les media que l'islamo-gauchisme gangrène les universités et qu'elle va mener une enquête, elle nous livre forcément à la vindicte populaire" déplore ce chercheur en sciences sociales à l'université de Rennes 2. Son nom fait partie de la liste des 600.
On disqualifie notre travail, on nous insulte publiquement
Cette liste, l'auteur du blog n'a pas eu de mal à se la procurer puisqu'elle correspond aux premiers signataires d'une pétition diffusée dès le 19 février, suite aux propos de Frédérique Vidal.
"Dans cette pétition, explique le chercheur en sciences sociales, nous n'avons fait que nous positionner contre les attaques de notre ministre. Et nous voilà stigmatisés sur un blog autour d'un terme, l'islamo-gauchisme, qui ne veut rien dire, qui ne sert qu'à disqualifier notre travail, à nous insulter et qui montre aussi un appauvrissement de la pensée dans ce pays".
Le chercheur rennais travaille sur les inégalités urbaines. "Ce sujet me vaut-il d'être taxé d'islamo-gauchiste ? Non !, confie-t-il, amer et en colère. La recherche sur ces inégalités met en avant des réalités que les reponsables politiques n'ont certainement pas envie de voir. On ne fait rien d'autre que dévoiler une réalité et comprendre comment se structurent ces inégalités. En somme, on dérange".
Des chercheurs demandent une protection fonctionnelle
17 enseignants-chercheurs des universités Rennes 1 et 2 se retrouvent ainsi "diffamés publiquement" par un blog aux relents d'extrême droite. "On ne peut pas laisser cela impuni, souligne le chercheur en sciences sociales. C'est de la diffamation publique".
Selon Marie David, co-secrétaire du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP) à l'université de Nantes, "cette désignation publique fait écho à ce qui est arrivé à Samuel Paty. Beaucoup de collègues ont donc demandé la protection fonctionnelle de leur institution. Ce qui se passe là est une chasse aux sorcières nauséabonde".
Le CNRS, a, pour sa part, saisi la justice.
Suite à la publication d’une liste de chercheuses et de chercheurs accusés d’#islamogauchiste, le @CNRS a décidé de saisir le Procureur de la République. Cette situation est le fruit de l’indigence de Frédérique Vidal. Pour exiger sa démission c’est ici ➡️ https://t.co/zVHyKJNey8 pic.twitter.com/i8KqSt66ke
— Thomas Portes ✊ (@Portes_Thomas) March 7, 2021
Il aurait été du devoir de la ministre, en tant qu'employeur, de nous protéger. Car elle doit protéger notre santé et notre sécurité
"La ministre doit nous protéger et elle ne le fait pas, estime cette enseignante-chercheuse en droit social à l'université de Rennes 1 dont le nom figure lui aussi sur le blog. Je me sens visée parce que l'on a un gouvernement qui s'en prend aux fonctionnaires qui ont une mission de recherche, aux intellectuels. Ça a de quoi inquiéter car c'est ce que font tous les régimes qui ont une dérive autoriraire".
De son côté, la conférence des présidents d'universités (CPU) avait déjà pris position, le 16 février, après les déclarations de Frédérique Vidal. Dans un communiqué, la CPU écrivait "sa stupeur face à une polémique stérile sur le sujet de l'islamo-gauchisme à l'université", rappelant que "l'islamo-gauchisme n'est pas un concept mais une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisé. Utiliser leurs mots, c’est faire le lit des traditionnels procureurs prompts à condamner par principe les universitaires et les universités".
Contactée par téléphone, la présidence de l'université de Rennes 2 indique qu'elle "soutient les enseignants-chercheurs stigmatisés dans une liste publique" et précise qu'il est prévu "d'assurer la protection fonctionnelle juridique des personnels qui le souhaiteront, dans le cadre d'une plainte déposée à titre individuel".