Ces dernières années, marquées par une forte prise de conscience du bien-être en entreprise et dans sa vie privée, ont permis à la sieste, cette pause aux mille vertus, de revenir sur le devant de la scène. Un spécialiste du sommeil nous explique ses bienfaits et comment s’y prendre pour bien la faire ? Yoann Richomme, skipper, nous livre aussi son témoignage : comment récupérer et se reposer durant une course au large en solitaire.
Certains la considèrent comme un comportement lié à la petite enfance et donc comme une régression. Pour d'autres, la sieste est signe de vieillesse, voire de paresse. Elle souffre en Occident d'une image très négative, contraire de la culture de l'effort et de la performance. Alors, dans notre société, où un Français sur trois déclare mal dormir, quels sont les bienfaits de la sieste ?
Selon Arnaud Prigent, spécialiste du sommeil au Centre du sommeil de la Polyclinique de Saint-Laurent à Rennes, la sieste n'est pas obligatoire, mais elle peut être nécessaire si la durée de sommeil est trop courte.
Ce besoin de sieste peut être lié aux contraintes professionnelles, à des horaires décalés ou de nuit. Mais certaines personnes ont tout simplement un besoin de sommeil supérieur à la normale. Quand leurs sept heures de sommeil nocturne ne leur suffisent pas, une sieste peut compléter ce manque de repos.
Pourquoi faire la sieste ?
Arnaud Prigent souligne que lorsque la qualité de sommeil n'est pas satisfaisante, il est important de consulter. Il faut comprendre pourquoi un sommeil n'est pas suffisamment récupérateur, au point que l’on ait besoin de ce petit temps de repos après le déjeuner. Il a constaté que les patients qui font de l'apnée du sommeil se reposent davantage au cours d'une sieste. Au lieu d'être allongé dans un lit, on se repose souvent dans un fauteuil, la position de la tête est différente et le sommeil plus réparateur.
Quelques conseils pour réaliser une bonne sieste
Il faut d’abord s'écouter : apprendre à repérer les signes de la phase propice à l'endormissement. Des bâillements, des yeux qui piquent, une attention qui baisse sont des signes d'un besoin de repos. 19% des salariés français avouent " piquer du nez " en cachette sur leur lieu de travail.
- Il faut qu’une sieste soit brève et dure moins de 20 minutes. Ce n’est pas une seconde nuit… juste un complément de sommeil.
- Pour cela, vous pouvez programmer une sonnerie ou prendre dans votre main quelque chose de suffisamment lourd. Au moment de plonger dans le sommeil profond, dès que votre corps se relâchera, l’objet tombera et vous réveillera !
- Il est préférable d’éviter de pratiquer un sport ou de faire un repas trop lourd avant de partir pour son petit somme.
- Il faut évidemment s'installer dans un environnement calme, se mettre le plus à l'aise possible, retirer ses chaussures, s'installer confortablement, couper toutes les interactions possibles avec les objets numériques et baisser la lumière pour être dans le noir le plus possible.
Pour une sieste efficace, il est recommandé de « s'entrainer » de manière fréquente et régulière
Comme pour tout investissement personnel, la sieste suppose qu'on y souscrive et que l'on soit convaincu par les bénéfices que l'on peut en tirer. Certaines techniques de relaxation comme essayer de peser le plus lourd possible dans son lit, ralentir sa fréquence respiratoire et son rythme cardiaque, favorise la venue du sommeil. Nous nous endormons parce que nous laissons venir le sommeil. La sieste est un excellent exercice pour les personnes qui ont des difficultés à se détendre.
Réussir à s'endormir dans ces conditions démontrent sa capacité à se relâcher, à lâcher prise et à se laisser partir dans le sommeil.
Arnaud Prigent,spécialiste du sommeil au Centre du sommeil de la Polyclinique de Saint-Laurent à Rennes
La durée idéale d'une sieste
Une sieste doit rester une sieste et ne doit pas excéder 20 minutes pour deux raisons : il ne faut pas amputer la durée de sommeil de la nuit, si on fait une sieste de deux heures, le besoin de sommeil diminuera la nuit. Il ne faut donc pas entrer dans un sommeil profond.
Dans un cycle de sommeil, il y a une phase d'endormissement, de sommeil lent léger, de sommeil lent profond et de sommeil paradoxal. Ce cycle s'enchaîne toujours dans ce même ordre. Il faut éviter de passer dans le sommeil lent profond pour un réveil efficace, sans maux de tête.
A quel moment faire la sieste ?
Le médecin préconise le début d'après-midi. Après le déjeuner, notre température corporelle baisse légèrement, notre somnolence est à son niveau maximale, ce qui facilite l'endormissement.
Les bienfaits de la sieste
Une sieste de 20 minutes peut faire gagner deux heures d'activités pleines et intenses où l'on est à 100% de son potentiel. On parle de powernap, que l'on pourrait traduire par "puissance de la sieste" ou "roupillons puissants".
Ce temps est nécessaire pour fixer la mémoire, se régénérer. La sieste donne un regain de force, plus d'entrain, une meilleure humeur. Elle permet un repos cardio-vasculaire, diminue le risque de diabète, fortifie le système immunitaire et combat même les problèmes de surpoids.
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Image défavorable, idées reçues tenaces, la sieste, toute une éducation à reprendre
Dans l'imaginaire collectif, nous considérons la sieste comme un luxe, un temps où l'on ne fait rien et non comme une nécessité biologique cruciale pour notre santé et notre bien-être général. Ne la percevez pas comme une activité pour laquelle vous devez trouver du temps supplémentaire dans votre journée bien remplie. Une bonne sieste ne fera qu’améliorer votre productivité et rendre le temps passé éveillé plus agréable, que ce soit au travail, avec votre famille, avec vos amis ou en vous adonnant à vos passe-temps.
Réinventons la sieste
Des bars à sieste ouvrent dans certaines grandes villes. Ce n'est pas encore le cas en Bretagne. A Grenoble, un restaurant propose un menu entrée, plat, dodo, une sieste payante à 6 € les 25 minutes. Au cœur de la crise sanitaire, des "cocons à sieste" ont été mis à la disposition des soignants au CHU de Rennes. De jeunes entrepreneuses ont inventé des tentes pour faire la sieste et font des formations sur le sommeil dans des sociétés parisiennes.
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Bien gérer la sieste, une priorité. Témoignage d'un skipper
Yoann Richomme est skipper d'un IMOCA. Double vainqueur de la Route du Rhum en Class40 (2018 et 2022), double vainqueur de la Solitaire du Figaro (2016 et 2019), il devient en 2021 l'un des rares Français à accéder au prestigieux poste de skipper sur The Ocean Race Europe.
" La préparation, la météo, les réglages, c'est ce qui me fait vibrer " explique le skipper. Ce skipper-consultant reconnu dans la navigation nous révèle comment il gère ses repos lors des compétitions.
Pour lui, la base de la pratique d'une sieste, c'est déjà de fermer les yeux. Cela génère du repos même si le sommeil n'est pas au rendez-vous.
Dans ce sport de haut niveau, il n'y a pas de différence entre le jour et la nuit. La gestion des siestes s'avère essentielle pour ne pas atteindre des situations de fatigue extrême.
15 à 20 minutes, un idéal de sieste qui correspond à la réalité du terrain
Pour une lucidité optimale, les siestes font partie de ses techniques pour trouver " l'efficacité dans la performance " explique le skipper.
L'objectif est de dormir le moins possible et le plus qualitativement.
Yoann Richomme,skipper de l'Imoca Paprec Arkea
Les conditions de navigation lui imposent des prévisions de phase de sommeil. Si les conditions de navigation sont très stables, que le bateau n'a pas vraiment besoin de lui, Yoann Richomme peut dormir jusqu'à 7h par jour. Il enfile des siestes de 15 à 20 minutes. À la sonnerie du réveil, il regarde l'ordinateur, s'assure que tout va bien sur le bateau et peut repartir pour une nouvelle sieste.
Si au contraire, les conditions sont extrêmement difficiles, il lui arrive de ne pas dormir de toute la journée, voire trois jours de suite. C'est le temps maximal qu'il a pu endurer. Stratégiquement, il cherche à ne pas atteindre ce stade-là, car cette situation crée beaucoup de danger. " Arrivé dans un état de fatigue extrême, je me suis parfois écroulé de toute ma hauteur dans le bateau. Je m'endors debout, c'est très dangereux, je suis à deux doigts de tomber dans l'eau " nous livre-t-il
Prévoir son sommeil
Avant le départ, il se réserve systématiquement des créneaux de sieste pour partir les batteries pleines. " Mon job est d'être à 100% physiquement et intellectuellement le jour du départ de la course.", déclare-t-il.
Si par exemple une tempête est annoncée à 20h, il sait qu'il doit être nourri, avoir à portée de main de la nourriture facile à manger par gros temps, être changé, que le bateau soit prêt avant ce moment difficile. Il va se programmer des siestes entre 14 h 30 et 18 h pour emmagasiner un maximum de sommeil et d'énergie. Il doit savoir dormir sur commande. Pour cela, il utilise ses techniques de relaxation apprises en sophrologie avec le docteur Rémy Hurdiel, spécialiste dans la gestion de l'anxiété, du stress, des troubles émotionnels et du sommeil.
" J'ai souvent mes mâchoires serrées. Pour me détendre, je pense à une situation agréable, par exemple, je suis sous un arbre au soleil. J'essaye mentalement de m'extraire du bateau pour me mettre dans une situation où j'ai envie de dormir."
Yoann Richomme,skipper de l'Imoca Paprec Arkea
"Avec l'habitude, cela fonctionne" confie-t-il. La preuve : lors de 20 minutes d'expérience avec des électrodes sur la tête, l'activité cérébrale révélait 16 minutes de sommeil. À force d'entrainement, il se réveille en général 30 secondes avant le réveil.
La qualité des siestes
Le marin nous explique également qu'il ne s'entraine pas en amont d'une course, seule l'adrénaline que celle-ci procure au moment présent lui permet de pousser sa gestion du sommeil aussi loin.
Auparavant, le bateau était équipé d'un lit de camp, une toile tendue sur un cadre. Aujourd'hui le voilier est devenu une telle machine de guerre, qu'avec les rebonds, dormir sur la simple toile est ardu. L'installation d'un vrai matelas de près de 10 kilos coincé entre deux toiles tendues dans lequel il se love, amortit les chocs du bateau et son bruit. Les siestes sont ainsi plus qualitatives, plus récupératrices. " Avec ce matelas, j'ai alourdi mon bateau, mais le gain de performance est ailleurs " précise le compétiteur.
La sieste, un des ingrédients à résoudre pour faire avancer le navire
Le skippeur ne ressent plus aujourd'hui le besoin d'aide pour se préparer mentalement à une course. Ses quinze dernières années d'entraînement l'ont aguerri pour trouver psychiquement le meilleur de lui-même. Ce tacticien dit se fixer dorénavant des objectifs raisonnables et atteignables. Il les pose sur papier, les formule oralement pour se sentir en adéquation avec sa stratégie. " On a une espèce d'équation à plusieurs centaines d'inconnus à résoudre en permanence pour faire avancer notre navire le plus vite possible vers l'arrivée ", souligne-t-il. Il se connaît, s'écoute, arrive à détecter des signaux qui l'alerte sur son insuffisance de sommeil : odeurs, pensées négatives.
" La sieste est un élément parmi plein d'autres que je dois savoir optimiser. Tout participe à ce que tout fonctionne "
Yoann Richomme,skipper de l'Imoca Paprec Arkea
Selon lui, tout est lié et tout est important : navigation, forme physique dont le sommeil, nutrition, mécanique, électronique, composite, média, gestion d'équipe, gestion financière… En fin de course, la situation devient stressante et trouver son sommeil s'avère de plus en plus difficile. C'est à ce moment-là que les méthodes d'endormissement payent. " Toutes mes techniques m'aident à me détacher de ce stress, je n'ai pas l'impression de jouer ma vie dans la course. Epuisé, je me dis que je vais pouvoir me reposer prochainement, je rétablis le calme, la confiance en moi " détaille-t-il. Débriefer des mauvais résultats de régates, échanger au centre d'entrainement de course au large de Port-La -Forêt avec ses confrères… l'aident aussi à améliorer sa gestion du sommeil.
" Trouver son rythme de sommeil fait partie de la performance dans la compétition. La sieste est un élément parmi plein d'autres que je dois savoir optimiser. " affirme le navigateur.
La place de la sieste dans une course au large
" Je n'ai pas pensé à lister, mais clairement la place du sommeil dans la réussite d'une course arrive dans le top cinq", confie-t-il.
Cependant, d'une course à l'autre, cette position bouge. C'est toute la problématique de ce sport où les prévisions météo bougent tout le temps, les réglages du bateau ne sont jamais les mêmes, lui aussi se sent mouvant. Car tout cela n’est pas toujours vraiment palpable.
La sieste à travers le monde
- La Chine est un véritable eldorado de la sieste. Le droit au repos est inscrit, depuis 1948, dans l’article 43 de la Constitution : les travailleurs de la République populaire de Chine ont droit au repos. La sieste y est vue comme un bon moyen de se reposer pour pouvoir recommencer à travailler dur par la suite.
- Au Japon le concept de la sieste en entreprise porte un nom : l’inemuri, qui veut littéralement dire " dormir tout en étant présent ".
- En Espagne, la sieste du début d'après-midi se maintient mais semblerait se raccourcir pour des raisons économiques, pour ne pas subir une trop forte concurrence avec les autres pays partenaires européens.
- Au USA, la sieste est juste tolérée mais jamais encouragée.
- En Allemagne, le retour à la pratique de la sieste se fait timidement.
Ces dernières années ont été le théâtre d’une véritable prise de conscience autour du bien-être en entreprise...n'est-il pas le moment idéal pour la sieste de pointer de nouveau le bout de son nez et de rappeler qu’elle est bien plus qu’un luxe : elle est une nécessité, surtout en entreprise.