80ème anniversaire de la Libération, "Tu sais, tu as un frère en Allemagne", le destin des enfants nés de la guerre

En cet été 2024, les communes bretonnes célèbrent l’anniversaire de leur libération. Après le débarquement en Normandie le 6 juin 1944, les blindés alliés foncent vers la Bretagne. Fougères et Dol sont libérées les 2 et 3 août. Les Américains entrent dans Rennes le 4. Pour beaucoup, ces dates sont des moments de liesse. Mais pour d’autres, c’est le début d’une histoire difficile. Les enfants nés de la guerre voient l’un de leurs parents partir et souvent disparaître. L’association "Cœurs sans frontières" les aide à retrouver les traces de leur passé.

C’était en 1987. Roger Lucas était passé à la ferme voir ses parents. Une journée comme les autres… Jusqu’à ce que son père lui dise : "tu sais, tu as un frère en Allemagne"" raconte Roger Lucas. Près de 40 ans plus tard, ses yeux s’agrandissent encore, comme si tout son corps se souvenait de cette émotion.  

"Ensuite, on en a parlé, poursuit Roger Lucas, mais que ce soit mon épouse ou moi, on ne se souvient plus du tout de ce qu’on a dit ce jour-là. "Jusqu’au moment où ma mère arrive, "Tais-toi avec ça maintenant !"

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Reportage de Séverine Breton; Thierry Bouilly et Hélène Notat ©FTV
Un secret de famille

 

"C'est ce qui se passe dans beaucoup de familles, décrit Hubert Le Neillon, délégué régional de l’association Cœurs sans frontières, quelqu’un va dire, "Moi vivant, on ne parlera pas de cette histoire-là". Et à partir de ce moment-là, il y a un blocage et en général, le secret est bien gardé."

 

Dans la cour de la ferme, aujourd'hui inhabitée, Roger Lucas se remémore l'instant. Il se dit que son père devait commencer à se sentir vieillir, "c’était certainement un poids pour lui, il avait envie de nous confier ce qui s’était passé."

 

Prisonnier en Allemagne

 

En 1940, Louis, le père de Roger était parti combattre l’armée allemande. Fait prisonnier, il avait été envoyé du côté de Leipzig, à 1438 kilomètres de la ferme familiale de Lanvaudan.

Les Allemands étaient eux aussi partis au front. Pour faire marcher les usines, s’occuper des champs et du bétail, il fallait des bras, comme ceux de Louis. Il a été conduit dans une ferme du petit village de Terpitz.

Cinq ans dans une ferme où l’homme de la famille est parti à la guerre. S’il y a une jeune fille ou une jeune femme dans la ferme, il y a de grandes chances qu’il puisse se passer quelque chose. C’est très humain. Cela a toujours existé dans toutes les guerres, et ça continue encore aujourd’hui.

Hubert Le Neillon, délégué régional Coeurs sans frontières

C’est là, qu’il a croisé Erni (le diminutif d’Ernestine). Ils avaient tous deux une trentaine d’années et ne savaient évidemment pas combien de temps la guerre allait se poursuivre. 

"Au cours de la seconde guerre mondiale, 1 million 800 prisonniers français sont partis travailler de l’autre côté du Rhin, explique Hubert Le Neillon. Et ça a duré 5 ans. Cinq ans dans une ferme où l’homme de la famille est parti à la guerre. S’il y a une jeune fille ou une jeune femme dans la ferme, il y a de grandes chances qu’il puisse se passer quelque chose. C’est très humain. Cela a toujours existé dans toutes les guerres, et ça continue encore aujourd’hui."

Avant de partir pour la guerre, Louis était promis à une jeune fille de son village du Morbihan, mais il n’était pas encore marié. Erni, elle, avait déjà trois enfants. Son époux se battait quelque part sur le front de l’est. Ils se sont aimés.

En février 1945, un petit garçon est né. "C’était le plus beau bébé du monde", a un jour déclaré Louis.

La fin de la guerre

Mais le 8 mai 1945, l’Allemagne capitulait. La guerre était finie. Louis pouvait rentrer chez lui.

À son retour à Lanvaudan, Louis ne sait pas ce qu’il doit faire. Il aurait hésité à repartir. Mais sa promise l’attendait, la ferme familiale avait elle aussi besoin de ses bras. Il est resté et il s’est tu pendant plus de quarante ans.

Les premiers indices

 

Pendant des années, après les confidences de son père, Roger a songé à ce frère inconnu. Mais le mur de Berlin n’était pas encore tombé, il ne parlait pas un mot d’allemand et ne savait pas où chercher.

Le temps a passé. Louis est décédé emportant avec lui nombre de ses secrets. Dans un tiroir de son armoire, Roger a retrouvé une lettre d’amour, quelques photos jaunies. Son père avait tout conservé.

Avec ces quelques indices, Roger Lucas s’est tourné vers "Cœurs sans frontières". Depuis 2005; l'association tend la main à ceux qui ont été "conçus, puis séparés d’un de leurs parents en raison de la Seconde Guerre mondiale."

Au moins 200 000 enfants sont nés d'amours contrariées entre 1939 et 1945, en France et en Allemagne.  

"Il faut se remettre dans le contexte de la fin de la guerre, c’était très mal vu d’avoir eu une affaire comme ça, un enfant hors mariage… Il y avait le poids de la religion catholique et puis avoir eu un enfant avec l’ennemi, ça, c’était… impardonnable", relate Hubert Le Neillon.

L’enquête

 

Le délégué régional de l'association a débuté l’enquête. Scruté les photos avec un autre regard. Là où Roger contemplait une jeune femme assise sur un banc avec un bébé, Hubert voyait derrière eux un bâtiment imposant de type administratif, "une école ?" Au dos des photos, il examinait le cachet d’un photographe : " une indication géographique…"

Petit à petit, élément après élément, mois après mois, Hubert Le Neillon a recentré ses recherches autour du village de Terpitz, près d’Oschatz.

Je me suis dit, il est en train de me dire que c’est lui que je cherche !

Hubert Le Neillon, délégué régional Cœurs sans frontières

"Par chance, dans les registres de la commune, ils avaient gardé la mémoire de cette école qui avait été convertie en Konsum" (magasin coopératif). Hubert a trouvé le nom des propriétaires de cette boutique et leur a écrit pour leur demander s’ils connaissaient les anciens instituteurs.  Quelques jours plus tard, ils lui répondaient : ils avaient les noms et savaient même qu’un de leurs enfants vivait toujours dans la commune. Hubert Le Neillon a donc aussitôt repris sa plume et contacter ce fils.

Le 20 mai 2015, en ouvrant sa boîte aux lettres, il a découvert une lettre. "Mon frère m’a montré votre courrier et je suis très intéressé par cette histoire. Je suis né en février 1945" lui écrit un certain Rainer Schosnig. "Je me suis dit, il est en train de me dire que c’est lui que je cherche !"

La rencontre

 Hubert Le Neillon avait justement prévu de se rendre en Allemagne. Rendez-vous est pris avec Rainer. "Dès que je l’ai vu sortir de sa voiture, il n’y a plus eu de place pour l’hésitation. Il ressemblait tellement à son père, je me suis dit, "C’est vraiment le frère de Roger !", aucun doute n’était possible."

 

Quand je regardais les photos de famille, il y avait quatre grands blonds et moi j’étais un petit brun parmi eux, je me disais, il y a une anomalie.

Rainer Schosnig

"Rainer ignorait tout de son histoire. On ne lui avait jamais rien dit," précise Hubert Le Neillon. "Il ne savait pas qu’il était le fils d’un prisonnier français. Mais il disait, quand je regardais les photos de famille, il y avait quatre grands blonds et moi j’étais un petit brun parmi eux, je me disais, il y a une anomalie."

Erni était décédée en gardant le silence. Et si dans le village certains avaient forcément compris… Rainer ne savait rien ! Quand le mari d’Erni est rentré du Front de l’Est, il a découvert ce petit garçon qui n’était pas le sien. Il a dit, "J’ai vécu l’enfer, ce n’est pas un quatrième enfant qui va être gênant."

 

Comme une naissance

 Ce jour de retrouvailles, Hubert Le Neillon et Rainer discutent un long moment et décident d’appeler Roger. Resté en Bretagne, il attend des nouvelles de cette rencontre.

Parmi ses papiers, il sort une feuille A4. C’est la photo de son écran d’ordinateur. "C’est la première fois que je voyais mon frère, commente-t-il. C’était très émouvant, j’en ai pleuré. C’était comme si c’était une naissance… Une nouvelle arrivée dans la famille."

 

Quelques mois plus tard, Roger faisait le voyage vers l’Allemagne et emmenait toute sa famille à la rencontre de ce nouveau grand frère de 70 ans.  

Depuis, Rainer est décédé. Mais ses enfants viennent régulièrement en Bretagne. Une des petites filles a même commencé à apprendre le français. "Ils m’appellent Tonton", confie Roger, soudain très ému. 

 

Contes de fées ?

Cette fois, l’histoire se termine bien. Roger a retrouvé son frère, qui a accepté son passé. Hubert Le Neillon en connaît beaucoup d’autres. Il raconte celle de ce monsieur, qui, à son retour en Allemagne a prévenu sa femme qu’un jour un petit garçon viendrait peut-être frapper à la porte. "Reçois-le bien, avait-il demandé, c’est mon fils." Des années plus tard, un homme a frappé à la porte. Quand elle a ouvert, la dame a appelé son fils : "Viens vite, c’est ton frère". Elle avait reconnu les traits de son mari dans le visage du visiteur.

Mais toutes les histoires ne se terminent pas comme des contes de fées, modère Hubert Le Neillon. Il y a de nombreuses personnes qui ont disparu sans laisser de traces, d’autres que l’on ne retrouve pas. Et puis il y a aussi des gens qui ne souhaitent plus entendre parler de ce passé.

En France, les "Filles à Boches" et les "Enfants de Boches"  n'ont pas eu la vie facile après guerre. En Allemagne, tous n'ont pas eu envie de se souvenir. "C’est arrivé à une personne de l’association. Elle savait où habitait son père mais il n’a jamais voulu la recevoir. Ce sont parfois des histoires douloureuses et tragiques",  conclut-il.

Roger et Hubert veulent croire que cette aventure, comme toutes celles des enfants nés de la guerre est comme un pied de nez à l’histoire. "Les gens qui ont été emmenés sur le Front et ceux qui se battaient, ce n’est pas eux qui ont eu envie de faire la guerre. Eux, ils avaient plutôt envie d’aimer et c’est comme cela que c’est arrivé", résument-ils.

Ils en sont aujourd’hui persuadés, l’amour est plus fort que la guerre !

Pour en savoir plus, le site de Coeurs sans frontières

 

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