Maquis de Saint-Marcel. A 99 ans, Marcel n’a rien oublié : "Je croyais bien y laisser ma peau"

Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, des parachutistes de la France Libre ont été envoyés en Bretagne, notamment à Saint-Marcel dans le Morbihan. Ils avaient pour mission de former et d’armer les Résistants et de tout faire pour empêcher les troupes allemandes de rejoindre le front de Normandie. Le jeune Marcel Bergamasco faisait partie de ce maquis. 80 ans plus tard, il n’a rien oublié, et il raconte.

Il suffit parfois d’un tout petit rien pour changer un destin. Marcel Bergamasco est né en 1925. Quand la Seconde Guerre mondiale a débuté, il était encore un gamin. Et puis, les Allemands ont réquisitionné tous les véhicules de la petite entreprise familiale. "On n’avait plus que des chevaux", se souvient Marcel.

Un jour de 1940, des Allemands ont fait une halte à Ploërmel. Ils convoyaient des canons vers Lorient avec des chevaux. "Ils sont entrés dans la cour de la maison et ont pris notre avoine pour leurs bêtes", s’étrangle encore Marcel. Il a appelé son chien qui a montré les dents et déchiré le pantalon d’un soldat. "Il a voulu m’attraper, alors j’ai couru dans le marécage." Marcel y jouait encore tous les jours, il le connaissait par cœur, savait sur quelle touffe d’herbes poser son pied léger. L’Allemand lui s’est enfoncé jusqu’à la poitrine !

Je me suis dit, mes salauds, vous ne l’emporterez pas au paradis !

Marcel Bergamasco

Mais ils avaient pris son avoine, Marcel était fâché. "Je me suis dit, mes salauds, vous ne l’emporterez pas au paradis ! " Alors, le jeune garçon s’est fabriqué un petit truc avec une aiguille en acier. "Je perçais leurs pneus, qu'ils soient bien ou mal garés. Quand c'était clair, qu’il n’y avait pas de boches autour : Pschitt… J’ai fait ça longtemps."

Le petit Marcel résistait tout seul, il avait 15 ans !

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La Résistance façon "tours de cochons" 

Ensuite, il a compris que d’autres partageaient la même aversion pour l’occupant. Il connaissait des gens… Il a essayé de se faire recruter par la Résistance, " T'es trop jeune" lui a-t-on répondu. "Alors, j’ai continué à faire mes exercices", dit-il en souriant.

Comme il était toujours au courant de tout ce qui se passait, il trouvait toujours le moyen de se rendre sur les lieux des actions… et les Résistants n’ont vite eu d’autres choix que de le prendre !

Un jour, il tentait de porter secours à un aviateur américain dont l’avion était tombé. "On s’apprêtait à le monter dans le camion, quand une dizaine d’Allemands sont arrivés. J’ai commencé à leur expliquer qu’il était blessé et que j’allais l’emmener à l’hôpital", raconte Marcel en s’animant. "L’Allemand me dit :  "Ah bon ? Mais c’est un Américain !" J’ai répondu : "Moi, monsieur, qu’il soit allemand, français, anglais, italien, américain, pour moi, c'est un homme, il est blessé, on doit lui porter secours."

L’Allemand a contraint Marcel à remettre l’aviateur à sa place, mais il l’a laissé partir. "Ce jour-là, mon contact dans la Résistance m’a dit, tu ferais mieux de nous aider, à toi tout seul, tu fais davantage de boulot que toute l’équipe !"

La Résistance côté espion 

Alors Marcel a aidé ! L’entreprise familiale avait été réquisitionnée pour livrer du matériel aux régiments allemands. Le jeune garçon se voit donc confier des missions d’espionnage. "J'allais dans les endroits où personne ne pouvait aller. Je voyais tout ce qui se passait, l'armement, le nombre de gars puisque je leur apportais à bouffer. Alors tout ça, c'était enregistré là", dit-il en frappant son front du doigt. "Il fallait pas marqué ça nulle part, là…"  répète-t-il en désignant à nouveau sa caboche. Quand il rentrait le soir, il faisait son rapport et toutes les informations arrivaient, à Paris, ou à Londres.

 

"Je suis d’une famille italienne, confie Marcel. Mon père était Italien, ma mère était Italienne, ils sont venus en France en 1922. Quand il a vu que ça tournait au vinaigre, mon père s'est naturalisé Français, il a dit : on ne peut pas laisser les Français se battre seuls, il faut leur donner la main !"

Les Allemands, je ne peux pas les voir, c’est comme les Mussolini tout ça c’est pareil, ça ne valait rien du tout…  Moi, je ne suis pas comme ça 

Marcel Bergamasco

Le vieux monsieur se souvient avec tendresse de ce jeune gamin en colère. "J’avais envie de me battre pour me venger de l’avoine qu’ils m’avaient pris, ce n’est pas grand-chose pour vous, mais pour moi c’était énorme, parce que pour retrouver de l’avoine, fallait se lever de bonne heure !" 

Et puis, poursuit-il, "les Allemands, je ne peux pas les voir, c’est comme les Mussolini tout ça c’est pareil, ça ne valait rien du tout… Moi, je ne suis pas comme ça !"

Il s’est donc battu comme il a pu, du haut de ses 15, puis 16 et 17 ans. Il savait qu’il risquait sa peau, mais "une fois que j’en ai tué quelques-uns, ça me suffisait, je pouvais bien mourir aussi. J’ai eu de la chance ! J’en connais quelques-uns qui ne feront plus de mal à personne."

La Résistance en mode sabotage

Pendant qu’il travaillait à l’usine, il sabotait les graisseurs des roues des wagons avec de la poudre. "Ça mettait le feu au wagon", décrit-il avant d'ajouter taquin : "mais il fallait une centaine de kilomètres avant qu'on s'en aperçoive."

"Un Allemand m’avait vu autour des wagons. Il n’était pas sûr que c’était moi, mais il a été en parler. Ce qui fait qu’on est venu me chercher. Et il disait : "en plus, il m’a traité de boche ! Il a dit : va avec tes copains boches"… Sans se démonter, Marcel a répliqué :  "Oui, oui, je lui ai dit ça… Mais il oublie de dire que lui m’a traité de macaroni ! " L’histoire aurait pu très mal se terminer, mais l’officier s’est déridé et a dit : "Vous me faites rien avec vos histoires, rentrez chez vous et bonne continuation." "Merci monsieur !" Le jeune maquisard a souvent eu chaud aux fesses… et il s’en amuse encore !

"La dernière fois que j'ai été arrêté, le soldat allemand voulait m'emmener à la Feld Gendarmerie. Il était tout seul le type, le Boche. C’était un soir, je revenais de voir un dépôt de munitions que j’avais pour voir si il n’avait pas bougé, il fallait souvent les changer de place."

Je me disais en moi-même, Marcel, il est tout seul notre homme-là, il y a moyen de s’en occuper

Marcel Bergamasco

"C’était juste avant le couvre-feu, mais il m’arrête. Il me dit, vous savez quelle heure qu’il est ? Je lui montre le clocher de l’église. Il est 11h moins 10, que je lui dis. Mais lui me dit : Vous descendre, vous pas de lumière. J’ai pensé, je vais commencer à pied et puis je vais remonter sur mon vélo, mais je ne pensais pas qu’il allait me suivre et puis j’ai entendu : Halt, Halt !!!"

"Il m’a arrêté, on a monté la côte ensemble, et je me disais en moi-même, Marcel, il est tout seul notre homme-là, il y a moyen de s’en occuper… Il l’a pas vu venir. Mon vélo, il faisait 7 kilos, je l’ai pris et je lui ai foutu en pleine gueule. Il s’est écroulé … Moi, je suis monté sur mon vélo et j’ai filé. Je n’en ai plus jamais entendu parler."

Marcel Bergamasco a aujourd’hui 99 ans. Ses yeux s’allument souvent quand il se souvient de ses tours de jeunesse. "On réfléchit pas, c'est-à-dire, on réfléchit mais c'est vite fait. On n’est pas en train de se demander, oui, mais si il y a ça ou ça… l’idée vient, toc ! Et ça m’a réussi !"

La bataille de Saint-Marcel

Mais le 18 juin 1944, quand les Allemands ont pénétré dans le maquis de Saint-Marcel que les premiers coups de feu ont éclaté, Marcel Bergamasco a tremblé. Ils étaient quelques centaines, des Résistants et les parachutistes SAS.

Les Allemands avançaient. La bataille a duré toute la journée."Ils avaient du matériel eux, des canons", se remémore le Résistant. "Pour vous dire combien c’était dur, on ne s’entendait pas les uns les autres, on ne pouvait pas converser ! Pas moyen ! À cause des tirs, les crépitements sans arrêt, sans arrêt, c’était abrutissant".

Le colonel Bourgoin a dit : "il va falloir qu’on décroche, on peut pas continuer. Si demain on est pas partis, on reste tous là"

Marcel Bergamasco

"C'est pour ça que le colonel Bourgoin nous avait dit il va falloir qu’on décroche, on ne peut pas continuer. Si demain on n'est pas partis, on reste tous là. Faut déguerpir, c’est ce qu’on a fait. Mais c’était difficile. Je croyais bien laisser ma peau bien des fois."

Ce jour-là, 28 hommes sont tombés sous les balles allemandes, mais pour la première fois, les Résistants, dont le jeune Marcel d’à peine 20 ans, ont mis l’ennemi en difficulté. Les soldats du Reich ne seront plus jamais tranquilles en Bretagne.

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