Elles s’appellent Lou-Anne et Marie. Elles ne se connaissent pas. Toutes les deux avaient pris des places pour le Festival Insolent qui se déroulait ce week-end à Lorient. Youv Dee, PLK, Josman… un programme de rêve. Mais pour elles et 14 autres personnes, la soirée a tourné au cauchemar. Elles ont été piquées. Elles racontent.
La semaine prochaine, Lou-Anne Le Roux va fêter ses 17 ans. Quand elle est arrivée au Festival, elle a croisé des filles qu’elle ne connaissait pas dans la foule. "Elles m’ont dit, tu fais attention, il y a des gens qui ont des piqûres, j’ai dit, ok, ok, pas de soucis…"
J’ai senti quelque chose de douloureux.
Lou-Anne Le Roux
"Insolent, c’est un festival tranquille, souligne-t-elle, tout le monde est super gentil. Et puis, au moment où Leto est passé, j'ai senti quelque chose de douloureux." Lou-Anne avertit immédiatement sa copine, et se dirige vers le poste de secours.
"Là-bas, j’ai commencé à faire une crise d’angoisse parce ça m’a chamboulé raconte-t-elle. Je n’étais pas bien, j’avais la tête super lourde, j’étais limite à convulser."
Lou-Anne a été piquée dans l’épaule. "Le produit a dû descendre dans mon bras, je ne le sentais plus et j’avais extrêmement mal à la tête. Un moment horrible. Ça a duré deux heures !"
16 personnes ont porté plainte
Marie*, elle, est arrivée à 20h sur le festival avec deux amies. Elles se sont perdues dans la foule. "J’ai un black out d’1h30," explique-t-elle. "Mes amies m’ont dit que quand elles m’ont retrouvée j’étais en pleurs, je parlais de garçons bizarres près des toilettes. Je les ai forcées à quitter le Festival à 22h. Et quand je me suis réveillée le lendemain matin, je n’avais avec aucun souvenir de la soirée. Je n’étais pas bien, j’avais envie de vomir."
Le soir, sur les réseaux sociaux, Marie apprend que plusieurs personnes ont été victimes de piqûres pendant les concerts. Elle commence à regarder sur son corps. Elle observe d’abord de grosses ecchymoses sur ses deux bras, "comme si j’avais été retenue", décrit-elle. Puis trouve une trace d’aiguille entre la fesse et la cuisse.
J’ai peur d’avoir attrapé une maladie avec la seringue.
Marie
Marie a fait constater par un médecin puis a porté plainte. "Depuis je me sens stressée. Je me demande ce qui s’est passé pendant l’heure où j’ai perdu mes amies. J’ai fait des examens et j’attends les résultats. J’ai peur d’avoir attrapé une maladie avec la seringue."
Ces dernières semaines, le docteur Renaud Bouvet, chef de service de médecine légale au CHU de Rennes a reçu plusieurs personnes qui se sont présentées avec des traces de piqûres en différents endroits du corps. "Toutes ont été examinées, explique-t-il, des analyses toxicologiques ont été faites, mais elles n’ont pas permis de montrer l’administration de substances particulières."
"En même temps, précise-t-il, c’est très compliqué, le GHB, dite drogue du violeur, qui est l’objet de tous les soupçons dans ces affaires n’est détectable dans le sang que pendant 4 heures. Les victimes ne découvrent parfois qu'elles ont été piquées que le lendemain."
Un problème international
"Le phénomène des piqûres a commencé à l’automne en Irlande et au Royaume Uni décrit Guillaume Pavic, coordinateur rennais du réseau Trend (Tendances Récentes et Nouvelles Drogues). Ce dont nous sommes sûrs et certains, c’est qu’il y a des gens qui ont subi quelque chose, mais aucune examen n’a montré qu’il y avait eu inoculations de produits ou agressions sexuelles."
En France, depuis le mois de mars, des affaires de piqûres ont été signalées essentiellement dans des boîtes de nuit. 17 plaintes ont été déposées à Nantes, 9 à Grenoble, 10 à Béziers, 2 à Périgueux, et 1 à Amiens. Sur les réseaux sociaux, des photos de traces de piqûres circulent régulièrement.
En Ille et Vilaine, 15 enquêtes ont été ouvertes depuis décembre et confiées à la sûreté départementale de Rennes. D'après le procureur de la République, Philippe Astruc, elles ont établi "un seul malaise, une seule présence de personne suspecte au moment de la piqûre et aucune tentative de vol ou d'agression sexuelle à la suite."
A Lorient, après le Festival Insolent, une enquête a été ouverte et confiée au Commissariat central, des chefs de violences volontaires avec arme et préméditation, et d’administration de substance nuisible précise le procureur, Stéphane Kellenberger. 16 personnes ont déposé plainte.
L'angoisse
C’est le cas de Lou-Anne. "Je suis partie aux urgences faire des analyses confie-t-elle. Ils n’ont rien trouvé mais ils soupçonnent du GHB. Le lendemain, je suis allée porter plainte à la Gendarmerie. Je ne me vois pas retourner dans un festival, ça m’a traumatisée."
Marie partage les mêmes angoisses. "J’avais déjà entendu parler des piqûres en boîte de nuit mais jamais je n’aurai imaginé que cela m’arrive un jour. Je n’ai plus du tout envie de sortir."
je ne mérite pas ça, personne ne le mérite
Marie
La jeune fille est partagée entre terreur et colère," je ressens en même temps de la colère car je ne mérite pas ça, personne ne le mérite, et en même temps je suis terrifiée de ce que j’ai pu avoir."
La maman de Lou-Anne ne comprend pas ces actes qu’elle qualifie de "malveillants et fourbes". "Je ne me vois pas interdire ma fille de sorties. Nous lui avions fait toutes les recommandations d’usage. Mais maintenant, il y aura toujours de l’appréhension."
Elle demande que les conditions d’accueil dans les festivals soient renforcées. "Les fouilles étaient trop légères, signale-t-elle, il n’y avait même pas de palpation."
Les autorités prennent la chose au sérieux, des messages ont été adressés aux patrons de bars et de boites de nuit pour leur signaler ce nouveau danger. "Les dispositifs de protection créés pour faire face à l’utilisation « classique » du GHB (capote de verre et paille de détection) sont très certainement à l’origine de cette nouvelle pratique qu’est l’injection : Le ou les auteurs profitent de la forte affluence (au bar ou la piste de danse) pour piquer leur victime principalement au niveau des fesses, des cuisses ou des bras, avec une seringue hypodermique munie d’une aiguille extrêmement fine. La plupart des victimes ne ressentent quasiment rien ou simplement une sorte de griffure à laquelle ils ne prêtent pas forcément attention."
Des piqûres juste pour faire peur ?
Mais en même temps, certains s’étonnent. Il y a eu des dizaines d’affaires, toutes les analyses et toutes les constatations convergent : aucun produit n’a été trouvé, aucun vol, aucun viol n’ont été commis.
"Peut-être ces piqûres sont-elles faites dans le simple but de provoquer de la peur et de semer la panique ? "suggère Renaud Bouvet. "Nous savons comment fonctionne le GHB quand il est versé dans un verre, mais nous n'avons aucune donnée pharmacologique sur son administration par le biais d'une seringue."
Le médecin explique qu’il est surtout beaucoup plus difficile de réaliser une injection que de piquer. "Il faut un contact étroit et rapproché, détaille-t-il, et se promener en boite avec une seringue, ce n’est pas tout à fait discret, alors que l’on peut presque aisément cacher une aiguille dans sa main."
Dans l’attente des résultats des différentes enquêtes en cours, Lou-Anne invite les jeunes à faire attention. "Il faut s’entourer des bonnes personnes quand on sort, faire super gaffe à chaque mouvement, regarder qui se trouve derrière soi à chaque instant, et être vraiment, vraiment, vigilant."
* Marie est un prénom d'emprunt pour la jeune fille qui préfère rester anonyme