Bien moins doté que Saintes, Sablé ou Ambronay, le festival de musique baroque de Lanvellec a plusieurs fois frôlé la mort, mais l'orgue miraculé qu'abrite sa chapelle lui a porté chance: perfusé à la seule passion pendant 30 ans, il a enfin réussi à se professionnaliser.
"Lanvellec est un petit festival qui a de grandes ambitions", rappelle Geneviève Le Louarn, qui s'apprête à lancer samedi dans les Côtes-d'Armor la 30e édition du Festival international de musique ancienne de Lanvellec et du Trégor, placé cette année - 30e anniversaire oblige - sous le signe de la perle.
Un symbole qui se télescope opportunément avec le sens initial de "barocco" qui, en portugais, signifie la "perle imparfaite".
L'aventure débute en 1984 par la découverte d'un orgue unique au monde. Alors conservatrice des Monuments historiques à la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac), Geneviève Le Louarn, 37 ans, découvre dans l'église de Lanvellec un vieil "orgue plutôt miteux": "Le buffet était affreux, les tuyaux lépreux..." L'instrument est l'oeuvre de l'Anglais Robert Dallam. Facteur d'orgues comme son père et protégé de la Cour d'Angleterre, il traverse la Manche en 1642, fuyant Cromwell et sa révolution puritaine. Durant son exil en Bretagne, il y fabrique pas moins de 12 orgues.
un orgue unique en France
Mais vient le temps où le son des orgues Dallam ne plaît plus autant, par exemple, que celui des Cavaillé-Coll. Un à un, les orgues Dallam sont donc désossées et leurs entrailles "modernisées" pour leur offrir une nouvelle sonorité.
En 1854, il n'en reste plus que deux dans toute l'Europe. Plestin-les-Grèves, désireuse de coller à la mode, en commande un neuf et relègue son Dallam dans la bourgade voisine de Lanvellec. En 1955, celui de Saint-Jean-du-Doigt brûle dans l'incendie de l'église: Lanvellec devient l'ultime rescapé.
Accompagnée d'un expert, Geneviève Le Louarn va de surprise en surprise, découvrant que tous les tuyaux sont authentiques et gravés "Robert Dallam". "On avait entre les mains un monument de la musicologie. Il ne manquait que deux jeux sur les quatorze."
J'en ai encore des frissons
Quelques semaines plus tard, l'expert retrouve par hasard, dans le grenier d'un facteur d'orgues toulousain, les deux jeux volés en 1928. "Quelle émotion quand il a posé le tuyau à l'emplacement prévu... J'en ai encore des frissons", raconte Mme Le Louarn.
En 1986, une fois restauré, l'orgue est inauguré en grande pompe, en présence du "pape" de la musique baroque, le Néerlandais Gustav Leonhardt. La cérémonie est belle, mais que faire ensuite ? "Soit on le remettait en caisse, contents d'avoir mené une restauration quasi-archéologique, soit on montait un festival" autour de cette "esthétique sonore authentique". Encouragés par le ministère, Geneviève et un collègue se lancent et convainquent le département d'y investir.
Geneviève laisse le festival, qui se fera un nom au fil des ans, aux mains des bénévoles. Mais en 2003, épuisé par sa charge, le président du festival rend son tablier. In extremis, les élus acceptent de financer un emploi pour l'aider. Puis c'est au tour du directeur artistique, bénévole lui aussi, de jeter l'éponge.
Geneviève Le Louarn revient alors le remplacer au pied levé, pour un an pense-t-elle.
Vous avez deux heures pour le sauver
Mais en 2007, rebelote, Lanvellec rattrape la jeune retraitée. Pour la pérennité du festival, elle accepte d'en prendre les rênes mais, précise-t-elle alors, uniquement "dans le but de le professionnaliser d'ici quatre ans".
Pourtant rien ne change. Excédée, l'ancienne fonctionnaire démissionne en décembre 2015. Une réunion de crise se tient à la préfecture des Côtes-d'Armor. "J'ai créé ce festival il y a trente ans, lui ai donné une renommée internationale. A présent, vous avez deux heures pour le maintenir ou pour le tuer"', lâche-t-elle.
Au bout de deux heures, les crédits tombent. Un directeur professionnel est recruté, chargé de la gestion et de la programmation artistique.
Lors de cette 30e édition, Geneviève Le Louarn, 69 ans, passera donc le flambeau à Christian Langenfeld, 46 ans, en espérant que cette fois, "on est reparti pour trente ans".