Deux jours après l’attaque d’un fourgon pénitentiaire dans l’Eure, Jean-Jacques Urvoas, ancien Ministre de la Justice, en appelle à la responsabilité politique et à la reconnaissance du personnel pénitentiaire. Interview.
Après l'émotion, tirer les leçons du drame... c'est le discours du finistérien Jean-Jacques Urvoas, ancien Ministre de la Justice.
Deux jours après l'attaque mortelle d'un fourgon pénitentiaire dans l'Eure, lors du convoyage d'un détenu, nous l'avons rencontré. L'ancien garde des Sceaux évoque des dysfonctionnements et une nécessaire revalorisation de la fonction pénitentiaire.
Ce drame était-il prévisible ?
Prévisible, non. Mais nous avons encore des progrès à faire pour la sécurisation des personnels en charge de ces transferts.
La pénitentiaire, c’est une profession qui, encore récemment, n’était pas habituée à sortir de ces murs. Quand on est surveillant pénitentiaire, la vocation première, c'est de travailler au sein d'un établissement.
En 2010, les syndicats de police ont demandé au Ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy de ne plus assurer les extractions judiciaires. Ils considéraient que c’était des charges indues. Un arbitrage gouvernemental a été rendu et c'est à l'administration pénitentiaire qu'est revenue cette fonction.
Or, il n’y a déjà pas suffisamment de gardiens de prison, et en face beaucoup de détenus. Il faut donc jouer à un jeu de bonneteau pour transférer les détenus dans les établissements judiciaires qui ne sont jamais très à côté.
Je ne connais pas un surveillant de prison qui se soit dit en rentrant dans la pénitentiaire qu’il allait y perdre la vie.
Jean-Jacques Urvoas, ancien Ministre de la Justice
Il y a des métiers dans lesquels vous dites que ce risque en fait partie. Quand on est policier, gendarme, militaire par exemple…
Quand on est personnel pénitentiaire, on se dit qu’au maximum on peut se faire agresser verbalement ou physiquement au sein de l'établissement. Et c’est déjà intolérable. Mais on ne se dit pas qu'on peut perdre la vie.
De mémoire, c’est le premier personnel de détention assassiné en dehors de l’endroit où il travaille.
On ne peut pas perdre la vie en surveillant quelqu'un dans une prison.
Y a-t-il un manque de formations et de moyens des équipes ?
Les équipages en charge de ces transferts sont formés. Ce sont les PREJ, pôles Régionaux d'Extraction Judiciaires.
La difficulté, c’est la surcharge de travail et l’évaluation de la dangerosité des détenus. Il y a une échelle qui va de 1 à 4, et en fonction de la dangerosité évaluée, on dédie des moyens aux transfèrements.
Or, on a certainement des progrès à faire sur la communication de la dangerosité d’un prévenu quand il est passé dans plusieurs établissements. Le dossier ne le suit pas nécessairement. Dans le cas d’espèce, une évaluation de dangerosité qu’il avait eu dans son précédent établissement n’avait pas été transférée.
Quelles peuvent être les solutions ?
Aujourd’hui, on construit des prisons hors la vue, ce qui veut dire qu’on a énormément de personnel sur la route, parfois pour des modalités dont on peut se demander si elles sont tout à fait justifiées.
Je ne dis pas qu’il faut systématiquement opter pour la visioconférence mais quand il s’agit simplement de formalités administratives, je crois qu’on peut trouver des solutions.
Il faut également renforcer la préparation de ces transferts quand ils sont nécessaires. Lors de convoyages de détenus dangereux, il faut prévoir des véhicules blindés et revoir la manière dont sont équipés en termes d’armement les surveillants de prison.
Dans ce qui s’est passé, le commando était déterminé à tuer. Il n’empêche que pour le personnel, il y a un sentiment d’insécurisation. Il faut tirer les leçons de ce drame et donner les moyens aux équipes de se sentir en sécurité.
La prison est un univers que l’on ne regarde pas et il faut saisir des occasions aussi dramatiques que celle-là pour rappeler la fonction sociale des personnels de détention. Ils ne sont pas suffisamment valorisés.
Tous les ans, l’Etat prévoit des postes de surveillants pénitentiaires, et nous n’avons jamais assez de candidats. Il faut mettre le projecteur pour expliquer ce qu’est ce métier et surtout l’utilité pour la société.