Partir six mois à l'étranger quand on est enfant : une expérience pas banale

Ils ont entre 8 et 10 ans et ils partent vivre pendant six mois dans une famille, en Angleterre, Allemagne ou Espagne. Ils ne parlent généralement pas du tout la langue du pays où ils se rendent: une expérience peu ordinaire, et qui, le bouche-à-oreille aidant, séduit de plus en plus d'enfants.

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Claire venait d'avoir 10 ans lorsqu'elle est partie vivre pendant six mois dans une famille allemande, à Homburg, en Sarre. Une de ses cousines, plus âgée, l'avait fait avant elle, et il n'en avait pas fallu plus pour aiguiser sa curiosité et son désir d'ailleurs: "je m'ennuyais un peu, chez moi et à l'école. J'ai eu envie de voir autre chose," raconte cette jeune brestoise, âgée de 12 ans aujourd'hui. 


Une longue procédure


Ses parents se tournent alors vers l'association 3 ELF (Echanges Enfants Europe Linguistiques et Familiaux), située à Lanester. Ils commencent par constituer un dossier détaillé puis se rendent à un entretien avec les coordinateurs, afin de cerner les envies, la personnalité de Claire, mais aussi ses habitudes, son environnement familial. Il s'agit de lui trouver quelqu'un qui lui correspondra: "on fait très attention quand on "marie" les familles, précise Véronique Beautrait, fondatrice de 3 ELF.  Déjà que les enfants vont devoir se faire à une nouvelle culture et une nouvelle langue, il faut impérativement qu’il y ait des points communs entre eux et leur famille d'accueil pour qu’ils se sentent rapidement chez eux. D'ailleurs, le choix de la famille prime sur le choix du pays."
Ensuite vient l'heure de la rencontre : la famille de Claire se rend au grand complet en Allemagne pendant deux jours, puis celle d'Henriette vient passer deux jours à Brest. Ce n’est qu’une fois que toutes ces étapes sont franchies que l’échange peut avoir lieu. 


"Super dur" le premier mois


A cette époque, apprendre une langue est tout à fait secondaire pour Claire, qui est alors en CM2. Et pourtant, elle va rapidement devenir bilingue:
"Le premier mois, c'est super dur, se souvient-elle. Je ne connaissais quasiment pas un mot d'allemand. Heureusement, les grandes soeurs d'Henriette parlaient un peu français. J'ai appris progressivement, sans m'en apercevoir: c'est ma maman d'échange qui m'a fait remarquer, un jour, que je parlais couramment..."
Sa grande soeur, Camille, confirme: "quand Claire nous appelait, au début, elle mettait quelques mots d'allemand dans sa conversation, et puis d'un coup, elle ne parlait plus qu'en allemand!"
Les coups de fils se sont d'ailleurs espacés entre Claire et ses parents: "au début, je les appelais tous les dimanches. Et puis ils m'ont manqué de moins en moins, et j'avais plein d'autres choses à faire, alors je n'appelais plus que tous les 15 jours. Il fallait que je coupe un peu le lien, pour mieux profiter de mon séjour."


Une séparation parfois difficile


Pour Asa, qui est partie à Baunatal en septembre dernier, alors qu'elle avait un peu moins de 12 ans, la séparation d'avec sa famille a été plus difficile: "j'étais triste. J'avais peur qu'il arrive quelque chose à ma famille pendant que j'étais en Allemagne. Ma maison aussi me manquait. J'ai pas mal pleuré au début."
Une réaction qui n'a rien d'exceptionnel: "On prévient les enfants que peut-être ils auront envie de pleurer les premiers jours, et que c'est normal qu'ils se sentent un peu perdus, explique Véronique Beautrait. Au début du séjour, les bénévoles de l'association les appellent régulièrement, pour voir comment ils s'adaptent."
Au final, Asa juge son expérience positive. Elle a apprécié le système scolaire outre-Rhin: "on finissait tous les jours à 14h, c'était super! Et les profs ne me donnaient presque pas de devoirs." Elle aussi maîtrise désormais la langue de Goethe, tout comme ses deux meilleures amies, qui avaient fait cet échange avant elle: "ça nous fait une langue secrète, qu'on peut parler entre nous sans que les autres nous comprennent!" glisse-t-elle malicieusement.


Confinement en France


Maja, sa correspondante, est arrivée à Brest en février. Elle aussi s'est sentie triste au début. "Je me suis demandé parfois ce que je faisais là!" Les journées de collège lui ont d'emblée parues trop longues. Elle a cependant apprécié d'avoir été mise à contribution par la professeure d'allemand, pour améliorer le niveau de ses camarades dans cette langue qui leur donne souvent du fil à retordre. "Quand je suis arrivée, ils savaient surtout dire deux phrases: "Hallo, wie geht's?(Salut, comment vas-tu?)" et "Ich liebe dich (je t'aime)", raconte Maja en souriant. Ce qui ne l'empêche pas de se faire des amis, au point de regretter la mise en place du confinement, un mois à peine après son arrivée. "J'ai travaillé à la maison, mais j'ai loupé trois mois d'école!" déplore-t-elle. Mes copains du collège me manquaient. Heureusement, il y avait le jardin, où on allait jouer tous les après midis. On a coupé du bois et construit des cabanes!" 
 


Prolongations


Lorsque le confinement a été décrété, l'association a contacté les familles en France mais aussi en Angleterre, en Allemagne et en Espagne, les trois pays partenaires, pour leur dire qu'elles avaient la possibilité de mettre fin à l'échange, si elles le souhaitaient. Mais à une exception près, toutes ont préféré continuer l'expérience. Ce qui a même valu à certains de jouer les prolongations: "Maart, un jeune allemand de 8 ans, est arrivé dans sa famille à Auray en octobre dernier, et il est toujours là! raconte Véronique Beautrait. Quand les frontières se sont rouvertes, sa région d'origine, Hambourg, était encore confinée. Il ne repartira que le 10  juillet. Du coup l'association a décidé que son correspondant, Victor, resterait aussi durant 9 mois dans sa famille allemande, par souci d'égalité..."

Quels sont les bienfaits de ces échanges? Si Véronique Beautrait a décidé de fonder son association, c'est parce qu'elle en avait observé les effets bénéfiques sur ses propres enfants: "les échanges les ont rendus meilleurs à tous les niveaux : avec les autres, avec eux-mêmes, dans leurs choix de vie. Ils ont la tête sur les épaules, une confiance absolue en l’avenir et sont bienveillants."


Une soeur de plus


Claire, qui a déjà trois soeurs, estime en avoir gagné une de plus, en la personne d'Henriette. "Je ne la considère pas comme une copine: les copines, on les choisit, on noue des liens progressivement. Henriette, je ne l'ai pas choisie, et de toute façon, on ne vit pas six mois avec une copine, lance Claire. Et je trouve ça cool d'avoir une soeur de mon âge!"
Les deux soeurs d'adoption se revoient régulièrement: cet été, Claire ira passer deux semaines à Homburg. En revanche, il aura fallu presque 4 ans à Henriette pour accomplir sa part de l'échange: elle viendra à son tour passer six mois à Brest en février prochain: jusqu'à présent, elle n'avait pas souhaité franchir le pas.
 


Quant à Camille, après avoir vu partir Claire, puis Lucine, une autre de ses jeunes soeurs, elle a fini par se laisser convaincre, et bien qu'elle ait 15 ans, 3 ELF lui a trouvé une correspondante de son âge à Berlin: Lotte, qui avait déjà fait un échange en Angleterre, a accepté d'en faire un deuxième en France. "Au début, j'avais peur de quitter mes copains et copines, avec qui j'ai des liens très forts, raconte Camille.  Claire était plus jeune, elle avait moins de recul. Moi je ne me voyais pas vivre sans eux pendant six mois. Mais ma soeur m’a encouragée à tenter l'expérience. Je devais partir le 26 mars: on a dû repousser, à cause du confinement: mais le 26 juillet, je serai à Berlin!" s'enthousiasme Camille. Son séjour s'en trouvera néanmoins écourté: elle devra rentrer fin octobre, son lycée ne l'ayant pas autorisée à s'absenter plus longtemps: "pas grave, j'y retournerai après le bac!"


Les enfants plus adaptables que les ados


L'association 3 ELF cible les 8-10 ans, précisément parce que cet âge est finalement plus facile, et pas seulement parce qu'il est plus simple de manquer six mois d'école lorsqu'on est au primaire: "les enfants sont plus adaptables que les adolescents, affirme Véronique Beautrait. Et généralement, ils ne sont pas encore accros aux réseaux sociaux: ils profitent donc pleinement de l'immersion. Ils ont moins la notion du temps: six mois, ça ne leur fait pas peur, ils y vont franco."
Pourtant, l'association accorde souvent des dérogations, notamment aux familles qu'elle connaît déjà: lorsqu'un enfant revient, le reste de la fratrie veut généralement partir à son tour. Le bouche-à-oreille agit aussi sur le cercle d'amis, et là encore, cela suscite des aspirations chez des enfants de plus de 10 ans. Un point reste cependant impératif: il faut que la demande émane de l'enfant, qu'il soit volontaire. 


Incertitudes liées au Covid


Evidemment, le Covid-19 est venu instiller une bonne dose d'incertitude sur les échanges à venir. L'association 3 ELF a dû annuler certains entretiens avec les familles, mais pour l'instant, elle continue à enregistrer des dossiers: "on a déjà inscrit une petite fille à l'école en Espagne pour la rentrée de septembre. Mais bien sûr, on n'est pas à l'abri d'une nouvelle fermeture des frontières," s'inquiète Véronique Beautrait. "Avec l'Angleterre, c’est plus compliqué : certaines écoles ne sont pas encore sûres de rouvrir. Mais de toute façon, c'est une destination qui pose de plus en plus problème: le système scolaire fait qu’il y a des "bonnes écoles", où il est difficile d’avoir une place. Un enfant qui part six mois à l’étranger n’est pas sûr d’être repris. Du coup, sa famille hésite à se lancer dans un échange. En outre, une famille qui accueille un enfant étranger peut avoir à tout moment une visite inopinée des services sociaux : ça en refroidit plus d’une. C'est pourquoi on essaie de travailler de plus en plus avec l’Ecosse : on a envoyé des jeunes qui avaient fait un échange quand ils étaient enfants pour prospecter et trouver de nouvelles familles volontaires."

L'assocation compte actuellement une vingtaine de familles partenaires en France, et autant de familles correspondantes à l'étranger. L'Allemagne est le pays avec lequel il y a le plus d'échanges, mais 3 ELF développe depuis peu son réseau en Espagne. Les échanges se limitent à des pays proches, afin de permettre aux familles de se rencontrer facilement, et surtout de se revoir ensuite: car l'un des objectifs de ces échanges est de créer des liens forts, qui perdurent dans le temps.
 
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