Une grande enquête sur les pratiques douteuses du géant laitier français Lactalis sort cette semaine. Elle a été menée par une équipe de quatre journalistes pour le média d’investigation Disclose. Son volet magazine sera diffusé ce jeudi 22 dans l'émission Envoyé Spécial sur france 2.
Il ne s'en faut que d'un petit milliard de chiffre d'affaires pour que Lactalis ne se trouve que deuxième au classement des groupes laitiers mondiaux en 2020. Pourtant le grand public n'entend que peu parler de cette entreprise familiale présidée par Emmanuel Besnier, qui préfère mettre en avant les nombreuses marques de fromages ou produits laitiers du groupe. Il existe cependant des usines et des sites un peu partout en France dont 6 en Bretagne. Ce poids lourd de l'agroalimentaire se fait discret sauf parfois quand il rejette dans les rivières ses eaux usées et que la justice s'en mêle.
"L'ogre du lait" une enquête du site web Disclose
Ce sont quatre journalistes du média d'investigation Disclose qui ont mené une longue enquête, en particulier sur les entorses au code de l'environnement des usines Lactalis. Ils se sont appuyé sur les lois relatives à l’accès aux documents administratifs et sur la charte de l’environnement qui stipule que "toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques". Leurs investigations portent sur la période 2010 à 2020. Résultats selon eux: sur 60 usines Lactalis, 38 ont été soit polluantes, soit non-conformes aux normes légales.Les journalistes enquêteurs sont Mathias Destal et Geoffrey Livolsi (les deux fondateurs du site Disclose), ainsi que Mariane Kerfriden qui a travaillé pour l'émission Envoyé spécial et Inès Léraud connue en Bretagne pour son enquêtes sur les algues vertes et ses batailles judiciaires.
Subventionné pour polluer quand même
Contactée par téléphone Inès Léraud explique qu'il leur a fallu formuler de nombreuses demandes écrites aux préfectures et aux administrations puis analyser une quantité phénoménale de documents administratifs, judiciaires et financiers, pour percer les secrets de Lactalis et ses petits arrangements avec les lois. C'est ainsi, nous confie la journaliste, que dans l'enquête sur la pollution de la Seiche, les documents judiciciaires confirment "à quel point Lactalis avait tardé à prévenir les autorités et laissé la pollution perdurer pour maintenir avant tout sa production"."Ce qui est vraiment très choquant, ajoute Inès Léraud, c'est l'intrication entre la puissance publique et cet industriel, [...] c'est que cet industriel est très subventionné pour moins polluer alors qu'il pollue de plus en plus. Il a obtenu de l'argent de la part des collectivités: communautés de communes, départements, Conseil régional, Agence de l'eau et aussi de l'Europe! Il a obtenu en moyenne un million d'euros par an depuis le début des années 2000 pour l'ensemble des sites bretons".
L'explication de ces pollutions c'est la course à la croissance. Lactalis serait toujours plus prompt à investir dans les outils de production d'un site que dans la capacité de sa station d'épuration.
Sentiment d'impunité
Comment la firme Lactalis a-t-elle pu outrepasser les règles environnementales et même selon Disclose se prêter à d'autres dérives: manquements à la sécurité alimentaire, dissimulation d’informations, et même évasion fiscale à grande échelle et chasse aux lanceurs d’alertes? Certainement, selon Inès Léraud, parce que le système de contrôle des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE) n'est pas assez efficace par manque d'effectifs. Le contrôle de l'impact des ICPE et en particulier de leurs rejets dans l'environnement est grandement basé sur l'autosurveillance. Selon les chiffres de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) 1569 inspecteurs sont en poste pour 500 000 établissements concernés.
Peut-être aussi parce que le pouvoir politique place les intérêts économiques et sociaux avant ceux de l'environnement.
Pour preuve, la réaction de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique à l’enquête menée par Disclose:
Mon intérêt, n’est pas forcément de fermer un site, de mettre tout le monde au chômage et d’arrêter une production.
Disclose : sans pub et sans actionnaire mais avec des médias partenaires
Disclose propose un nouveau modèle de média parce que, selon l'un de ses fondateurs interrogé sur France Culture (l'invité innovation : Mathias Destal / Disclose), "l'investigation journalistique qui demande du temps et des moyens, est de plus en plus difficile à supporter par les médias [...] qui doivent être sur du flux et répondre à l'agenda de l'actualité".
À la fois média et ONG, Disclose souhaite donc investir des sujets de société difficile d'accès, proposer une information citoyenne indépendante des pouvoirs politiques et financiers. Les enquêtes de Disclose sont uniquement financées grâce aux dons individuels et au soutien de fondations philanthropiques, hors fondations d’entreprises.
Dernière étape, l'enquête est confiée à des médias partenaires pour vérifier et divuguer l'information sous différentes formes sur différents supports (TV, radio, podcasts, presse écrite et numérique) au nombre de ceux-ci :
Médiapart, Radiofrance (Les pieds sur Terre), Brut. , Le Poulpe, FranceTélévisions (Envoyé Spécial)
Inès Léraud a notamment collaboré aux épisodes diffusés sur France Culture dont deux concernent la Bretagne. Le premier épisode retrace la pollution de la Seiche en Ille-et-Vilaine. Le second épisode traite de la collecte du lait sur Belle-Île-en-Mer et des déboires des agriculteurs à créer leur propre coopérative de transformation en produits laitiers locaux.
Jeudi 22 octobre à 21h l'émission Envoyé Spécial sera consacrée à Lactalis. L'enquête est signée Marianne Kerfriden, Inès Leraud, Geoffrey Livolsi, Mathias Destal, Sébastien Sega /Disclose pour Envoyé Spécial.
À découvrir aussi sur le site de Disclose: les coulisses de l'investigation
Sur le site web du média, l'enquête comporte quatre épisodes publiés un à un jusqu'au jeudi 22 octobre.