A la veille du second tour des élections municipales, l'Association de Défense de la Baie de Saint-Brieuc adresse une lettre ouverte aux candidats. Quels seront leurs choix politiques concernant le port du Légué ?
Le projet d'agrandissement du port du Légué aura été la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
"Quand j'ai découvert le projet de 4ème quai dans une exposition, ça a été un choc!", explique Typhaine Guais. "Comment peut-on avoir l'idée de développer un port en fond de baie, accessible uniquement à marée haute, 10 à 20 jours par mois ?"
Un terre-plein de près de 5 hectares au pied de la romantique tour de Cesson flanqué d'un nouveau quai de cent mètres de long : le futur visage de l'avant-port n'aura pas convaincu les riverains. Il aurait plutôt mis le feu aux poudres.
Le paysage annoncé par le syndicat mixte du Grand Légué a même poussé un groupe de citoyens à se mobiliser "révoltés de voir la Baie se défigurer depuis plusieurs années sous le coup de choix politiques".
Créée en mars 2020, l'Association de Défense de la Baie de Saint-Brieuc entend ouvrir le débat. A quoi sert réellement le port de commerce ? Combien d'argent public investi depuis sa création ? Pour quel bénéfice ?
Autant de questions adressées aux élus de l'agglomération briochine.
L'association dénonce notamment "le transit dangereux d'ammonitrates à proximité des habitations, l'envasement incessant de l'estuaire, l'inutilité d'un quai supplémentaire".
Dans une lettre ouverte, elle interpelle les futurs et nouveaux élus municipaux de la Baie. Les candidats sont invités à s'engager de façon claire et nette sur l'avenir du port de commerce de Saint-Brieuc. A deux semaines du second tour des élections municipales.
"La catastrophe écologique générée par le port de commerce doit cesser"
c'est le mot d'ordre de l'association. André Ollivro, militant historique de Haltes aux marées vertes a rejoint le mouvement. Il en est même le président. L'incorruptible Tché des Grèves, comme il se définit lui-même, s'insurge : "Pourquoi importer en 2020 des engrais, des ammonitrates dangereux, il n'y en a pas assez en Bretagne ? Pourquoi exporter en même temps du combustible de récupération vers la Suède ? C'est l'économie circulaire locale qu'il faut privilégier aujourd'hui !"
Son combat, démarré il y a vingt ans à Hillion avec les algues vertes, s'élargit désormais à toute la Baie. L'enjeu étant de restaurer le patrimoine maritime d'une réserve naturelle qu'il a connue intacte.
Avec une vue imprenable sur les cargos qui déchargent, Bernadette Schaar s'interroge. De sa fenêtre, cette riveraine observe le ballet incessant des camions et des tractopelles.
A chaque marée basse, ils s'activent pour dégager un chenal d'accès aux navires. A chaque marée haute, le sable, la vase reviennent au même endroit. Une tâche sans fin répétée jour et nuit. 120 000 tonnes de sable sont extraites chaque année.
Le port s'envase depuis sa création : un phénomène qui concerne tout l'estuaire. Privant Saint-Brieuc de son unique plage.
L'envasement du port : une histoire sans fin
La Chambre de commerce et d'industrie, qui gère l'équipement, le reconnaît : sans dragage, il n'y aurait plus de port de commerce. Pour autant, la construction d'un nouveau quai est considérée comme une nécessité économique. Un avis défendu par le Syndicat mixte du Grand Légué (ville de Saint-Brieuc, département des Côtes d'Armor, Région Bretagne), qui porte le projet d'agrandissement. L' investissement, estimé entre 10 et 18 millions d'euros, s'appuie sur des expertises.
Des cabinets comme Creocean ou Eurotrans ont livré leurs diagnostics tout en faisant partie des maîtres d'oeuvres du projet. Leurs études restent pour l'heure interdites d'accès, elles sont propriétés du Conseil départemental.
Un port à tout prix ?
"Aujourd'hui, les cargos grossissent de plus en plus. Au port du Légué, les bateaux qui peuvent rentrer dans le bassin sont de moins en moins nombreux puisque l'on est limité à quatre mètres de tirant d'eau. Les surfaces de stockage sont saturées" explique Thomas Guillemot, directeur de l'Agence maritime de Saint-Brieuc. Responsable de la manutention des navires de commerce, il poursuit : "un nouveau quai permettrait de décharger 3 cargos en même temps et d'agrandir le stockage".
Du vrac pour l'alimentation animale, des engrais, du kaolin, du bois. Voilà ce que livrent les cargos venus principalement d'Europe. Parmi les principaux clients du port : la Cooperl, Le Gouessant, Triskalia. 80% des marchandises déchargées à Saint-Brieuc vont à l'industrie agricole et agro-alimentaire.
Entre 3000 et 6000 tonnes d'ammonitrates chaque année
Plus inquiétant pour l'Association de Défense de la Baie de Saint-Brieuc : le transport d'ammonitrates, une matière dangereuse, utilisée comme engrais, qui présente des risques d'explosion dans certaines circonstances.
"Un à deux bateaux par an livrent des ammonitrates pour Triskalia" admet Thomas Guillemot, "selon les années, ce sont donc 3000 ou 6000 tonnes - en provenance de Pologne - qui transitent ici. Le port du Légué a le classement réglementaire pour recevoir ce type de produit. C'est une matière dangereuse, normée et surveillée comme telle. Interdite de stockage sur le port. Il ne doit pas y avoir plus de 600 tonnes à quai. Tout doit être évacué par camion dans les 24 heures après déchargement. Pour un bateau de 3000 tonnes, ça prend 48 heures. Ce n'est pas plus dangereux que des camions citernes qui transportent de l'essence."
Les riverains mobilisés ne décolèrent pas. Ce trafic d'ammonitrates à quelques centaines de mètres de chez eux, ils viennent de le découvrir.
"Risquer la vie des habitants, faire croire aux gens que le port est indispensable, rentable, qu'il crée de l'emploi et de l'activité ? On marche sur la tête", s'indigne Philippe, adhérent de l'association.
Le débat est désormais ouvert.