"La préhistoire continue à m'habiter, à me hanter": à 83 ans, le paléoanthropologue, d'origine bretonne Yves Coppens livre ses souvenirs dans un ouvrage où il évoque avec verve la naissance de sa passion pour l'archéologie et ses fructueuses expéditions en Afrique.
"Origine de l'Homme, origine d'un homme", c'est le titre de l'ouvrage d'Yves Coppens, sorti cette semaine en librairie. Le professeur émérite au Collège de France, originaire de Vannes en Bretagne, déjà auteur d'une vingtaine d'ouvrages grand public, a choisi de se prendre comme nouvel objet d'étude, sous l'amicale impulsion de son éditrice. "Odile Jacob a dû se dire : ouh là là, il vieillit; il est temps qu'il écrive ses mémoires", plaisante Yves Coppens dans un entretien à l'AFP.Son fils Quentin sa "plus belle découverte"
Le scientifique a choisi d'évoquer seulement "le pan professionnel" de ses mémoires. "Faire étalage de ma vie personnelle n'est pas dans mon habitude". Il glisse juste
une notation sur sa mère, pianiste, qui lui a "transmis son amour de la musique". Et son jeune fils Quentin, né en 1995, a droit à un joli chapitre. Il est "ma plus belle découverte", dit Yves Coppens, célèbre pour être le co-découvreur de plusieurs fossiles d'hominidés dont la célèbre australopithèque Lucy.
Un attrait pour l'ailleurs né à Vannes
Son "regard dans le rétroviseur" en 460 pages, souvent ponctué d'humour, commence en Bretagne, à Vannes, où Yves Coppens naît en août 1934. Très jeune, il attrape "l'exotite", l'attrait de l'ailleurs. Mais aussi "l'archéologite", avec comme premier terrain de fouilles sa région natale. Après des études scientifiques, le jeune paléontologue, spécialiste au départ de mammifères à trompe, entre au CNRS. En 1960, il s'envole pour la première fois pour l'Afrique. Direction le Tchad où il découvre un "joli caillou" qui se révèle être un intéressant fragment de crâne d'hominidé. "Il m'a permis d'entrer d'emblée dans la cour des grands".
Adaptation des préhumains au changement climatique
En 1967, il part fouiller dans la vallée de l'Omo (Ethiopie). La récolte de fossiles d'hominidés est riche. Leur étude sera précieuse. Yves Coppens émet l'hypothèse que "les préhumains sont devenus humains pour s'adapter à un changement climatique", il y a un peu plus de 2 et un peu moins de 3 millions d'années. "J'ai compris que le passage d'un environnement humide à un environnement sec a obligé le préhumain à évoluer. Le développement de son cerveau a permis un niveau de conscience beaucoup plus important. La transformation de ses dents l'a conduit à consommer de la viande. La modification de sa respiration a entraîné le langage articulé". "Quand j'ai publié en 1975 cette idée sur l'origine de l'homme, il y a eu des sourires. Ensuite cela m'a été beaucoup emprunté...".
Découverte de Lucy en 1974 en Ethiopie
En 1974, Yves Coppens part fouiller dans l'Afar (Ethiopie) dans le cadre d'une expédition internationale comprenant également l'Américain Donald Johanson. L'équipe met au jour 52 fragments d'ossements, appartenant au même hominidé. Il s'agit d'un Australopithecus afarensis, âgé de 3,2 millions d'années. Les chercheurs, qui marquent ses os en écoutant la chanson des Beatles "Lucy in the Sky with Diamonds", le surnomment Lucy, suivant en cela une suggestion d'"une jolie Américaine rousse" en visite sur le camp. Beaucoup d'auteurs, dont Donald Johanson, ont vu en Lucy un ancêtre direct du genre Homo. "Je ne le pense pas", indique son "papa français" pour qui il s'agit plutôt d'une très ancienne cousine de l'Homme.
Refus de condamner l'humanité
Yves Coppens, qui a dirigé le Musée de l'Homme, souligne qu'au delà de la science, ce sont les humains qui l'ont toujours intéressé. "Je grogne un peu contre les gens et les mouvements qui jettent la pierre à l'humanité", en se permettant de la "juger". "L'Homme s'est mis à puiser dans son environnement pour survivre" avant de "se rendre compte des dégâts qu'il a provoqués". Pour sa part, le scientifique, qui a préparé la Charte de l'Environnement intégrée en 2005 dans la Constitution française, se "refuse à condamner l'humanité". "Je trouve qu'au contraire, elle prend doucement conscience et qu'elle agit, évidemment pas aussi vite que ne le souhaiteraient ceux qui s'occupent d'environnement".