Sur les côtes françaises, le pH des mers et des océans varie de 8,1 à 7,8. Mais depuis les débuts de l’ère industrielle, les océans se réchauffent, plus un degré, et s’acidifient, plus 0,1 unité de pH. En 2100, il pourrait avoir chuté à 7,8, soit 0,3 unités de pH en moins. Et cela a et aura évidemment un impact sur la vie marine. Ifremer et le CNRS ont lancé une étude CocoriCO2 pour mesurer l’impact de ces bouleversements et chercher des solutions.
"Les huîtres sont naturellement tolérantes aux variations de pH " rassure d’abord Fabrice Pernet chercheur à l’Ifremer. "Elles vivent en bord de côte, dans des estuaires ou dans des milieux où il y a parfois beaucoup d’eau douce". Mais aussitôt, le scientifique alerte. "Le problème c’est qu’on ne sait pas ce qu’elles vont supporter sur du long terme."
Depuis des milliers d’années, les huîtres grandissent et se reproduisent dans des mers dont les teneurs moyennes en pH oscillent entre 7,6 à 8,2. "Elles sont très robustes, et réussissent à s’acclimater à des pH qui descendent ponctuellement jusqu’à 7,1. Mais si les océans s’acidifient encore, les fluctuations de pH continueront mais les moyennes seront plus basses. Si on passe de 7,6 -8,2 à des taux de 7,3 -7,9, ce n’est plus du tout la même histoire "avertit Fabrice Pernet. "On voit déjà que les animaux sont de plus en plus souvent confrontés à des taux de 7,6 voire de 7,3."
Une étude sur plusieurs générations d’huîtres
"On a besoin de savoir quels sont les effets à long terme de l’acidification. On a mesuré sur des périodes courtes, comment un organisme pouvait d’adapter, il faut savoir ce qu’une modification du pH va entrainer sur une espèce à long terme. Soit elle va réussir à s’acclimater, soit, elle ne pourra pas résister, et elle va périr."
Les chercheurs ont installé des systèmes de surveillance du pH dans 12 sites dont 6 en zone conchylicole.
Les scientifiques vont y prélever de l’eau et vont la réchauffer et l’acidifier un peu pour voir comment l’huître résiste. "On va exposer les animaux aux différents seuils prévus par le GIEC à l’horizon 2050, 2075 et 2100" détaille Fabrice Pernet..
Pour que l’étude soit pertinente, il faut travailler sur plusieurs générations d’huîtres, au moins trois. Car cette modification du pH est pour elles, un nouveau stress.
Pendant 3 ans, les chercheurs vont observer la croissance, la survie, la physiologie, la qualité des coquilles et la valeur nutritionnelle des coquillages.
L’étude CocoriCO2 financée par le Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche est menée avec les Comités Régionaux et nationaux de la Conchyliculture.
Des coquilles plus fragiles
L'acidification de l'eau se traduit d’abord par une diminution de la concentration en carbonate de calcium dans l’eau. Or, c’est grâce à lui que les mollusques comme les huîtres fabriquent leurs coquilles.
Les premières analyses sur des huîtres ayant grandi dans des conditions même peu acides ont montré que leur coquille était moins épaisse et plus légère. Elles sauront donc moins bien résister aux chocs des vagues ou des manipulations des ostréiculteurs et à la prédation.
Des larves menacées
Dans ses premiers jours, avant qu’elle ne se fixe sur le fond, la larve de l’huître évolue dans l’eau. C'est à ce moment que la larve est la plus exposée aux dangers de l’acidification. Lorsque le pH descend sous 7,3, il n’y a plus de vie larvaire possible.
Fabrice Pernet prévient donc, "si on part sur les prévisions les plus pessimistes, en 2100, il n’y aura plus de captage en milieu naturel. On ne trouvera plus de larves que dans les écloseries parce que sur des bassins, on sait redresser le pH."
Des solutions ?
"Pour le réchauffement des océans, c’est simple, répond le chercheur, il n’y a pas de solutions miracle possibles. On ne sait pas refroidir les océans."
Pour l’acidification, en revanche, les scientifiques ont commencé à tester des remèdes.
L’alcalinisation
La première réponse parait simple, elle l’est sans doute un peu moins à mettre en œuvre. Fabrice Pernet prend une coquille d’huître dans sa main et explique, "c’est du bicarbonate de calcium. Si on prend les coquilles d’huîtres et qu’on les broie pour en faire une sorte de poudre, on peut apporter modifier le pH de l’eau. Un peu comme les agriculteurs amendent leurs terres, on pourrait amender les zones conchylicoles. Certains sites, en lagunes semi-fermées se prêtent parfaitement à ce type de procédure."
Les algues
Dans l’eau de mer, les algues piègent le CO2 (comme les végétaux sur terre). Fabrice Pernet envisage de végétaliser les parcs ostréicoles. "Si on cultive des algues autour des huîtres, elles pourraient peut-être mieux supporter les modifications du climat."
Les scientifiques ont testé trois grandes familles d’algues : vertes, rouges et brunes. Les ulves (algues vertes) ont eu un effet plutôt négatif, le fucus (algue brune) plutôt positif et les algues rouges ont permis aux huîtres de bien mieux résister aux maladies. D’autres expériences vont être menées avec des laminaires.
"Il semble assez facile de faire croitre les huîtres sur des cordes dans lesquelles ont été accrochées des laminaires" affirme Fabrice Pernet. "On va essayer."
Les recherches vont s’étaler sur plusieurs années. Les premières conclusions seront rendues en juillet 2023.