Plusieurs grandes plumes du reportage de guerre ont débattu vendredi après-midi des mutations de leur métier de journaliste sur des terrains de guerre : l'Américain Jonathan Randal, les Français Alfred de Montesquiou et Florence Aubenas, ainsi que Pierre Bayle, directeur de la DICOD.
Florence Aubenas, Alfred de Montesquiou, Jonathan Randal, des signatures que les lecteurs de la presse écrite ont appris à reconnaître. Tous les trois sont ou ont été grand reporteur ou reporteur de guerre. L'Américain Jonathan Randal, lui, s'est fait une spécialité de couvrir tous les conflits armés de la planète et a le titre de correspondant de guerre. Journaliste sur des terrains de conflits armés, une pratique du métier qui comporte de hauts risques. Certains la paient de leur vie. D'autres, à l'instar de Florence Aubenas en 1995 en Irak, ont été victime de prises d'otages. La table ronde organisée en leur présence à la Maison de la magie devant une foule de lycéens s'interrogeait sur ce qu'est devenu leur profession.
Jonathan Randal, aujourd'hui retraité, a couvert pour le Washington Post la plupart des conflits armés de sa génération, notamment la guerre du Vietnam (1963-1973). Si les risques de se faire tuer étaient importants, il se souvient de la liberté - immense - dont il disposait pour travailler avec les forces en présence et raconter le conflit des deux côtés, américain et vietnamien. Une période qui se distingue des pratiques actuelles, notamment avec l'armée américaine pendant la dernière guerre en Irak, où les journalistes qui souhaitaient suivre le conflit se retrouvaient "embedded", c'est-à-dire intégrés au reste des troupes, avec l'uniforme et un badge de presse. Florence Aubenas estime qu'une "grande confusion des rôles" s'est installée. Un jour journaliste portant un uniforme, un autre en civil du côté opposé. Car le journaliste a toujours pour vocation de rendre compte des deux visages d'un même conflit, en toute neutralité.
Sur un terrain de guerre, la "confusion des rôles" évoquée par Florence Aubenas se manifeste par un changement dans la perception du rôle des
Pierre Bayle, aujourd'hui directeur de la DICOD, la délégation à l'information et à la communication de la Défense (service de presse des Armées), situe le point de basculement après la première guerre du Golfe, au début des années 90. "Pour moi, ça a été le dernier conflit conventionnel." Des journalistes couvraient encore le conflit des deux côtés. "Aujourd'hui, le journaliste est l'occidental. Il n'est plus le bienvenu dans l'autre camp. Et il est devenu une marchandise que l'on s'échange."
Alfred de Montesquiou, lauréat 2012 du prestigieux prix Albert Londres pour ses reportages lors de la révolution libyenne, a travaillé à plusieurs reprises comme journaliste "embedded" au sein d'une armée: les marines américains et la Légion étrangère. "J'ai toujours regretté que ce soit la seule manière d'accéder aux zones dangereuses. Car l'autre côté ne veut plus de nous. (...) (En Afghanistan), il fallait retourner bien plus tard pour pouvoir voir la vie du point de vue des Afghans." Le grand reporter de Paris Match se souvient néanmoins d'un moment en Libye "où (cette) ligne de partage s'est un peu floutée".
L'époque où la seule mention de sa profession de journaliste constituait une protection apparaît révolue. Florence Aubenas se souvient que dans les années 90, "indiquer 'press' sur son véhicule nous protégeait, ça faisait bouclier. Vingt ans plus tard, c'est l'inverse." Sur certains terrains de guerre, les journalistes sont considérés par les preneurs d'otages comme une cible potentiellement plus rentable pour obtenir une rançon que les humanitaires."