Pour la première fois, un inventaire critique des aires d'accueil et de grand passage pour les gens du voyage a été publié ce 16 avril. Bien souvent, les caravanes doivent s'installer loin des centre-villes et à proximité de stations d'épuration, de déchetterie ou au bord d'une autoroute.
Le 26 septembre 2019, vers 2 heures du matin, un gigantesque incendie consume l'usine chimique Lubrizol de Rouen. A seulement 500 mètres de là, coincées entre le quai d'Algérie et le vaste dépôt de Total Lubrifiants, les 25 familles habitant l'aire d'accueil pour les gens du voyage sont aux premières loges.
Pour William Acker, juriste et issu de la communauté des Voyageurs, c'est le déclic. Depuis 2019, il publie sur son compte Twitter le recensement des 1358 aires d'accueil et de grand passage en France. Avec un constat : celles-ci sont systématiquement mises à l'écart, isolées, voire carrément installées dans des lieux à risque.
Des "lieux de stockage de l'indésirable"
Cette inégalité sanitaire est environnementale n'a rien de nouveau, et remonte au moins à la loi dite "Besson II" de 2000 sur l'accueil des gens du voyage. "Cela fait 40 ans que ce discours est tenu par les collectifs de gens du voyage", insiste William Acker. Un discours auxquels les autorités opposent l'absence de réelles données chiffrées sur l'ampleur du phénomène.
Cette lacune est désormais en partie palliée grâce au livre Où sont les "gens du voyage" ? qu'il a publié le 16 avril aux Éditions du commun, ainsi qu'à la carte interactive disponible ici. Après un an et demi d'anayse de toutes les aires d'accueil et de grand passage, sur la base des travaux de l'anthropologue Lise Foisneau, la conclusion de l'auteur est sans appel : "70% d'entre elles sont isolées, éloignées du tissu d'habitation" et "51% sont localisées à proximité de sources de nuisance. Cela peut être une déchetterie, une autoroute, voire un site classé SEVESO".
Et le Centre-Val de Loire n'échappe pas à cette observation. La plupart des aires de la région recensées par William Acker sont isolées, reléguées au milieu de nulle part, quand elles ne sont pas à un jet de pierre d'un site SEVESO de seuil haut. A Châteauneuf-sur-Loire, dans le Loiret, les familles sont installées entre la forêt et la déchetterie. Entre Sargé-sur-Braye et Mondoubleau, dans le Loir-et-Cher, elles ont pour seule voisine une station d'épuration. En banlieue de Tours, que retenir entre l'aire de Saint-Pierre-des-Corps, toute proche d'un site de stockage d'hydrocarbure, ou celle de Chambray-lès-Tours, qui côtoie à la fois un cimetière, une départementale à quatre voie et une ligne à grande vitesse ?
Faute d'avoir pu recroiser certaines données, la recherche ne prend même pas encore en compte les zones inondables, comme celle où se trouve l'aire de Vineuil, au sud de Blois.
Pourquoi cet éloignement presque systématique ? Depuis 2000, la loi impose aux collectivités de plus de 5000 habitants de "prévoir les conditions de passage et de séjours" des Voyageurs "par la réservation de terrains aménagés à cet effet". Or cet accueil inscrit dans la loi "est une mesure politique fortement personnifiée" explique William Acker, "et à laquelle les électeurs peuvent se montrer défavorables". En clair : l'accueil des gens du voyage dans le centre-ville pourrait coûter sa réélection à l'élu qui s'y risquerait.
La logique est donc de créer ces lieux d'accueil sur "des terrains éloignés, et si possible peu chers à raccorder à l'eau courante et l'électricité". Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les aires se retrouvent au milieu des zones industrielles, ou groupées à d'autres "lieux de stockage de l'indésirable" pour reprendre la formule du juriste, comme les centres de rétention administrative pour migrants.
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— William Acker (@Rafumab) April 15, 2021
Aujourd'hui est un grand jour, 566 jours de travail plus tard nous mettons en ligne sur @visionscarto toutes les données de localisation des "aires d'accueil des gens du voyage" qui dans leur très grande majorité sont reléguées et polluées.⤵️https://t.co/JYm23WwsRh pic.twitter.com/EJVoW2y3fl
"On ne parle des gens du voyage que lorsqu'ils sortent des lieux où on les assigne"
Outre les problèmes sanitaires et environnementaux, cette mise à l'écart a pour conséquence méconnaissance et incompréhension, y compris d'un point de vue médiatique. "On apparaît beaucoup dans la presse quotidienne régionale, mais en général c'est seulement sous deux angles : les cas d'installations illégales, de dégradation, ou juste des faits divers". De fait, l'installation ou le passage de gens du voyage, comme à Nevoy dans le Loiret, fait régulièrement polémique, sans que l'avis des intéressés ne soit toujours sollicité. "On ne parle des gens du voyage que lorsqu'ils sortent des lieux où on les assigne."
Cerise sur le gâteau : une fois en règle avec l'obligation d'accueil des gens du voyage, une commune ou une intercommunalité peut interdire le stationnement sur tout le reste de son territoire, et saisir la préfecture pour faire respecter cette décision et expulser les contrevenants. Dans la pratique, une fois qu'une aire d'accueil existe sur un territoire, tout le reste de l'espace est donc par le fait même interdit aux gens du voyage.