C'est une première en Centre-Val de Loire et le troisième cabinet de ce type en France. Grâce au collectif "Médecins solidaires", des généralistes volontaires vont se relayer chaque semaine dans une commune du Cher à partir du 15 janvier.
"Avec le départ de notre dernier médecin généraliste à la retraite en juin, entre 800 et 1200 patients se sont retrouvés sur le carreau. Certains sont allés grossir les cabinets déjà surchargés des communes autour, mais il fallait trouver une solution".
Pascal Aupy est maire de Charenton-du-Cher depuis 23 ans. Quand il a entendu parler du système de médecins tournants du collectif "Médecins solidaires-" située à une heure de route de sa commune à Ajain dans la Creuse, il s'est tout de suite dit que c'était une bonne idée. "C'est un système un peu particulier avec un médecin différent par semaine. Il a fallu expliquer le concept à nos concitoyens".
50 fois plus de chances qu'un médecin reste dans la commune
Jeudi 7 décembre, une réunion publique s'est tenue dans la salle des fêtes de Charenton-du - Cher. "400 personnes sont venues écouter la présentation de ce projet. Bien sûr, ça a posé un peu question parce que les gens sont habitués à avoir un médecin de famille depuis 25 ans. Mais le médecin de famille, c'est terminé. Et là, au moins, ils sont sûrs d'avoir un médecin chaque semaine" raconte le Maire, soulagé. "Les gens nous disent que c'est bien que c'est magnifique. Les patients sont ravis".
Il y aura seulement deux semaines d'inactivité pendant l'année : une semaine à Noël et une semaine en août. "Mais on aura 50 médecins venus de toute la France toute l'année. Soit 50 fois plus de chances qu'un généraliste choisisse de rester après sa semaine de consultations. C'est mieux que le médecin qui arrive par hasard à Charenton", espère Pascal Aupy.
Un gros effort financier pour la commune
Côté budget, la commune a dû mettre la main à la poche pour que le projet se concrétise. "On a racheté les locaux de l'ancien cabinet médical pour 65 000 euros puis il y a environ 140 000 euros de travaux. C'est un gros effort pour notre petite commune. Si on veut que la pharmacie reste ouverte et que les gens restent dans la commune, c'est un risque à prendre." La commune achète tout l'outillage médical, l'ordinateur, la mise en place du paiement indirect, le mobilier. Mais le maire est serein. "C'est un risque, mais on compte sur nos partenaires comme la Région, le département et la communauté de communes pour nous aider. Avec l'avancée des travaux, ils se disent très intéressés. Sinon, on aura recours à l'emprunt."
Seule inquiétude pour le maire : la demande de subventions pour les travaux. "On a dû réaliser les travaux en un temps record et il aurait fallu demander les subventions aux collectivités avant. Mais on n'avait pas le choix. Il est possible qu'on doive s'en passer. Là aussi, je prends le risque, mais c'est un risque calculé." Et il ajoute assez fier : "On est très heureux parce qu'on va être précurseur dans le département du Cher et les premiers de la région Centre-Val de Loire."
L'ouverture du cabinet médical de Charenton-du-Cher est annoncée pour le 1er février 2024. "Mais on devrait être prêt le 15 janvier" espère le maire selon l'évolution des travaux. Le centre de soins accueillera aussi deux kinésithérapeutes, un ostéopathe, un psychologue et une infirmière. Des professionnels de santé qui seront locataires et exerceront en libéral.
Une idée née dans la Creuse
L'idée de l'association "Médecins solidaires" est née dans la commune d'Ajain dans la Creuse. Le premier centre médical a ouvert le 31 octobre 2022 à Ajain et le second à Bellegarde-en-Marche le 19 juin 2023.
Le collectif "Médecins solidaires" est accompagné par l'association "Bouge ton Coq" qui a pour mission de rechercher des solutions pour améliorer la vie quotidienne des habitants des campagnes et d'aider à les mettre en pratique.
L'innovation organisationnelle : une solution aux déserts médicaux
Le Dr Martial Jordel, cofondateur de l'association "Médecins solidaires" et médecin généraliste au Dorat en Haute-Vienne explique la genèse du projet : "On a créé cette association en partant de l'idée que puisqu'on ne peut plus demander beaucoup à peu de médecins, on peut peut-être essayer de demander peu à beaucoup de médecins. Grâce à un collectif de médecins, on est en train de découvrir qu'une des réponses est l'innovation organisationnelle. Il faut arrêter de réfléchir dans une seule direction et chercher d'autres solutions".
Le concept est simple : les centres de soin accueillent un nouveau médecin chaque lundi.
Le système de rotation est rendu possible grâce près de 400 médecins volontaires qui donnent une semaine de leur agenda médical par an pour venir soigner les habitants qui n'ont plus de généraliste.
Quand on ne peut plus avoir de médecins de famille, on propose d'avoir une famille de médecins.
Gabriel du Passage, chargé de développement des centres médicaux "Médecins solidaires"
Il existe trois grandes catégories de médecins inscrits comme médecins solidaires. "Un tiers de l'effectif est constitué de jeunes diplômés pas encore installés, un tiers de retraités actifs qui peuvent ainsi poursuivre leur activité de façon moins dense et le dernier tiers, ce sont des médecins libéraux installés dans de grandes structures qui peuvent facilement se faire remplacer ou des médecins hospitaliers salariés de la fonction publique qui peuvent exercer plusieurs semaines par an pour des associations", décrit Gabriel du Passage, chargé du développement et du déploiement des centres médicaux de "Médecins solidaires".
"Quand on ne peut plus avoir de médecins de famille, on propose d'avoir une famille de médecins. Une famille au sens où ils s'entraident et se relaient pour soigner là où il n'y a plus de soin. C'est le collectif qui fait la force de cette action".
Assurer la continuité des soins malgré le roulement
Quand ils ont créé le concept, les fondateurs de "médecins solidaires" avaient une priorité : la continuité des soins malgré le changement de médecins chaque semaine. "Comme il n'y a plus de médecin traitant, le parcours de soins dans les déserts médicaux est déjà extrêmement fragmenté entre les urgences et un médecin qui peut vous prendre de temps en temps", note Gabriel du Passage. "Là, le seul moyen pour faire tourner les médecins en assurant une bonne continuité des soins était d'avoir un dossier médical absolument nickel, transmis de médecins en médecins. Chaque semaine, le médecin met toute son énergie dans le dossier du patient pour que le patient n'ait pas à réexpliquer ses problèmes de santé. "
Un an après l'ouverture du premier centre médical à Ajain dans la Creuse où se sont tenues 5 000 consultations, les fondateurs de "Médecins solidaires" constatent que sur le suivi médical, le système fonctionne bien ; mais ils ont aussi été surpris par les retours des patients : "Ils nous disent qu'ils ne veulent plus revenir en arrière. Ils sont rassurés d'avoir des regards de médecins différents sur leur santé. C'est pas moins bien que le médecin famille ou mieux. C'est juste un nouveau système qui semble convenir aux patients."
Les médecins logés et salariés
Pour le côté logistique, l'association "Médecins solidaires" s'occupe de tout. Elle paie le transport des médecins quel que soit son lieu d'habitation. Le médecin et sa famille s'il le souhaite sont logés dans un gîte à quelques kilomètres du centre médical. "On choisit soigneusement le gîte pour que médecin se sente bien. L'objectif à long terme est de provoquer la rencontre entre un médecin et le territoire", confie Gabriel du Passage. Enfin, l'association lui fournit un véhicule et le salarie 1000 euros la semaine. "C'est moins que ce qu'il gagnerait en restant dans son cabinet, mais c'est aussi là que la solidarité se traduit."
Le collectif a commencé avec huit semaines de médecins, il y a un peu plus d'un an, aujourd'hui, il en compte près de 400. "Très vite, des dizaines de médecins nous ont rejoints. Les médecins sont bouleversés par les déserts médicaux. Ils se sentent impuissants. Nous leur donnons un véhicule et un outil qui leur permettent d'agir et de retrouver cette fibre altruiste et humaniste qu'ils ont en tant que médecins".
L'association crée aussi deux emplois dans la commune : un temps plein et un mi-temps de secrétaire et assistants médicaux salariés par l'association. "Ce sont les visages et les piliers du centre médical. Ce sont des personnes très importantes qui font l'accueil et le relais entre les médecins et les patients et qui ont les clés de la boutique."
Cinq centres médicaux solidaires en Centre-Val de Loire d'ici 2026 ?
Avec 80 000 médecins généralistes en France dont 70 000 mobilisables, l'association ne compte pas s'arrêter là. "Si seulement 10% de ces médecins adhèrent au concept, ce sont entre 100 et 150 centres que nous pouvons ouvrir en France".
Pour qu'une commune puisse demander l'ouverture d'un centre médical à "Médecins solidaires", elle doit répondre à deux critères : le premier, se situer dans une zone de désert médical, une reconnaissance "d'urgence absolue" validée avec l'Agence régionale de santé. Le second critère est que la commune soit propriétaire du local où auront lieu les consultations. "Nous n'avons pas vocation à rester. On n'est propriétaire de rien. On arrive, on soigne et s'il faut s'en aller parce qu'un médecin s'installe on s'en va ailleurs. "
L'association a évidemment identifié la région Centre-Val de Loire comme une région prioritaire. "Si nous avons les ressources, nous allons implanter cinq ou six centres dans la région d'ici deux ans. C'est notre souhait le plus cher. On y travaille."
Dans les deux prochaines années, le collectif "Médecins solidaires" envisage d'ouvrir une quinzaine de centres médicaux en France.